Des palestiniens essayent de reconstruire une radio féminine progressiste

Par Daoud Kuttab, journaliste palestinien

Quand j’ai rencontré Islam Barbar dans un restaurant de Gaza en 2012 durant une mission sur les droits de l’homme, j’ai été impressionné par son attitude joviale mais décontenancé par le désespoir qu’elle ressentait. Bien que Barbar publiaient des rapports médiatiques, gérait son propre centre de formation aux médias et était active dans le domaine des droits des femmes, le seul endroit où elle rêvait d’aller était la Cisjordanie occupée. Non seulement elle n’avait jamais visité d’autres endroits en Palestine, mais à 26 ans elle n’avait jamais quitté la bande de Gaza assiégée. Le rapport qu’a publié l’Institut International de Presse après notre visite mettait en évidence le besoin de liberté de mouvement entre Gaza et à la fois la Cisjordanie et Israël.

Pour ma part, j’ai réussi à faire venir Islam au Caire en 2013 pour participer à une conférence sur la radio communautaire Aswatona dans laquelle j’étais impliqué. Les praticiens de la radio participant ont échangé des idées sur la façon d’établir, de gérer et de financer une station communautaire. Une idée souvent discutée était de commencer par une radio en ligne et ensuite d’évoluer vers la sphère FM. Energisée par la possibilité de radiodiffuser, Islam est rentrée à Gaza et s’est fixée pour objectif de créer une station de radio spécialisée sur les problèmes des femmes. En un an elle a réussit à obtenir une petite subvention des programmes britanniques de soutien aux médias communautaires au travers de l’Institut Média Oarva, une ONG palestinienne qui lui a aussi apporté un support technique. Nissagaza.com fut lancée le 30 avril 2014 depuis son centre médiatique de la ville de Gaza avec la participation d’associations locales de femmes, de femmes activistes et de dirigeants locaux de tous horizons. Le jour du lancement, Islam était particulièrement excitée par le jingle musical créé pour la nouvelle station pour les femmes par un supporter masculin. Elle utilise cette histoire ainsi que la présence d’hommes et de femmes à sa station pour ramener à la maison l’idée que les questions de genre ne sont pas l’apanage des femmes.

Barbar, qui vient d’une famille progressive de la région de Jabalya au nord de Gaza a commencé à passer de longues heures dans le studio/bureau. Les volontaires devaient être formés, les programmes radios supervisés, et des financements modestes devaient être trouvés. Elle senti qu’elle devait former les femmes à la technique et au journalisme ainsi que les sensibiliser aux enjeux sociaux élémentaires. Après plusieurs mois d’émission sur les ondes, la station bourdonnait de gens et d’idées. En un temps record elle et la station furent connues, des plaques et certificats d’appréciation ornèrent son bureau et sa radio. Les idées de programme et les appels pour des coopérations et partenariats commencèrent à pleuvoir.

Quatorze programmes radios indépendants principalement produits et présentés par des volontaires furent émis durant cette saison estivale de Ramadan. Alors que la diffusion se faisait toujours en ligne, elle fut agréablement surprise de voir le nombre d’auditeurs actifs augmenter. « Au départ, quand un programme atteignait les 500 auditeurs, je célébrais. Depuis, nos deux programmes principaux haki sabaia (discussion de filles) et dunia nisaa (le monde des femmes) ont atteint les 2000 auditeurs »  expliqua-t-elle. Les réactions sur l’usage des médias sociaux furent aussi excitantes et réconfortantes. Des journaux arabes de premier plan décrivirent la radio comme le succès des femmes de Gaza.

La principale plainte qu’elle recevait venait d’auditeurs qui voulaient que la radio émette sur les ondes FM pour que d’autres puissent profiter de la programmation et de la musique qu’elle supervisait personnellement. Haki sabai, qu’Islam animait, présentait quatre jeunes femmes qui échangeaient des problèmes quotidiens intéressants les jeunes palestiniens. Dunai Nisaa s’adressait à une génération légèrement plus âgée et traitait de problèmes tels que les crimes d’honneur, les violences domestiques et le divorce. Durant Ramadan un des épisodes populaires traita de la nervosité des hommes palestiniens due aux longues heures de jeûne. Des recherches sur le divorce avaient démontré un fait important. Khula’, le droit pour les femmes de divorcer de leur maris, était apparemment applicable à Gaza bien que peu de femmes le sache et qu’encore moins en aient concrètement fait usage.

NisaaGaza n’a jamais eu la chance d’informer ses auditeurs de cette importante découverte.

Le lundi 25 aout, Islam a travaillé jusqu’à 19h00. Avant de partir elle a supervisé un programme médical présenté par un nutritionniste, le Dr Mahammad Hamodeh, qui avec l’aide de deux animatrices, Hiba Zagout et Isra Baba, essayait de prodiguer des conseils santé à leur audience radio. Elle fit aussi le suivi, avec l’une de ses collègues, du rapport qui devait être présenté dans Dunia Nisaa le jour suivant pour informer les femmes de Gaza qu’elles avaient le droit de Kula (divorcer) si elle souhaitaient l’utiliser.

De retour à la maison, Islam a apprit pas les informations que les Palestiniens dans les tours hautes comme celle dans laquelle elle travaille avaient été évacués suite à des appels des israéliens informant que leurs immeubles allaient être ciblés. Tout le monde savait que la guerre à Gaza allait se terminer et il était clair que les israéliens voulaient améliorer leur position de négociation. Islam était inquiète concernant l’évacuation de son immeuble mais considéra qu’il s’agissait de mesures de précaution et que si quelque chose devait être touché il s’agirait d’un bureau spécifique.

Islam n’était pas inquiète ; sa station de radio n’était pas politique et il y avait peu de chance qu’elle soit ciblée.

Ce ne fut pas le cas.

L’immeuble Basha de 13 étages entier était la cible. A 4h du matin les combattants israéliens ont largué des explosifs faisant s’effondrer la structure de la tour et la réduisant en gravats.

Islam était dévastée.

Islam visita les décombres et essaya en vain de trouver quelques restes de son rêve. Pas un microphone, pas un papier et aucune des récompenses et plaques qui avaient été donné à la jeune station. Islam participa à quelques manifestations mais fut en dépression pendant des semaines.

Mais les espoirs d’Islam se sont réanimés quand des amis et collègues se sont réunis et ont commencé un effort de financement participatif en utilisant l’application indiegogo avec l’espoir de réunir assez de fonds pour retourner sur les ondes. Cette fois-ci, Islam dit que son rêve est d’émettre directement sur les ondes FM. En attendant, l’autre rêve d’Islam de visiter la Cisjordanie, même pour quelques jours, ne s’est toujours pas réalisé.

Traduction: Julie V. pour l’Agence Média Palestine

Source: Huffington Post

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