Nadia Hijab et Alaa Tartir: « Et après le départ d’Abbas ?

Par Nadia Hijab et Alaa Tartir, 4 septembre 2015 (publié initialement sur le site internet du Monde Diplomatique version anglaise).

Une rencontre du Conseil National Palestinien (CNP) est attendue ce mois pour sa première session depuis 2009 en vue d’accepter la démission de Mahmoud Abbas comme président de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) en même temps que celle de la moitié du Comité Exécutif de 18 membres. Le CNP a évidemment la possibilité de refuser certaines démissions, voire toutes, et de toutes façons, Abbas porte encore plusieurs chapeaux : il reste le chef de l’état, le Président de l’Autorité Palestinienne, le commandant en chef et leader du parti politique Fatah. Qui plus est, tous ceux qui démissionnent sont libres de se présenter de nouveau.

Les Palestiniens, chez eux comme en exil, ne savent pas s’ils doivent rire ou pleurer à ce spectacle, qui peut annoncer une processus de succession. Abbas, agé maintenant de 80 ans, apparaît avoir choisi lui-même Saeb Erekat, qui a son propre pesant record de démissions passées, pour traiter avec la communauté internationale et le chef des services de renseignements Majid Faraj pour diriger les affaires intérieures.

Les fuites des «Documents Palestine* » ont révélé que Erekat s’était mis en quatre pour satisfaire Israël, allant jusqu’à renoncer au droit de retour des réfugiés à leurs maisons et à leur pays. Comme Faraj, il a usé d’une main de fer pour stabiliser la Cisjordanie et il a supervisé la collaboration sécuritaire haïe avec Israël qui laisse les Palestiniens sous occupation et assujettis. Quelque soit le Comité Exécutif élu (ou réélu) par le CNP, il est peu probable qu’il ait beaucoup d’influence dans ces domaines.

Où tout cela conduit-il le peuple palestinien et sa quête de justice et de respect des droits humains ? C’est un triste paysage, quoique avec quelques zones plus lumineuses.

Sur le front politique, la division entre les deux principales factions palestiniennes, le Fatah et le Hamas, s’approfondit davantage chaque jour. Le Hamas, qui n’est pas représenté dans le CNP, est soupçonné de négocier un cessez-le-feu de longue durée avec Israël, malgré les démentis.

En interne au Fatah lui-même, il y a une intense bataille politicienne pour les postes principaux en préparation de la septième assemblée générale prévue en novembre. En fait, il est à craindre de voir la rivalité déborder dans la la rue et les Palestiniens de Cisjordanie se retrouver à accueillir un homme fort comme Faraj simplement pour assurer la sécurité.

Ces disputes internes laissent la direction palestinienne encore plus incapable de traiter les nombreux problèmes auxquels les réfugiés palestiniens font face dans les pays arabes.

Les réfugiés palestiniens de Syrie ne sont pas protégés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) et ne peuvent compter que sur ce que l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA : United Nations Relief and Works Agency) sous-financé peut leur fournir. Pendant ce temps, les réfugiés palestiniens du camp Ain Al Hilweh, le plus grand au Liban, fuient la féroce bataille entre le Fatah et un groupe islamiste.

Le désordre politique des Palestiniens, supervisé par Abbas, laisse le champ libre à Israël pour poursuivre sa colonisation implacable des territoires palestiniens. L’établissement de colonies juives et la destruction des zones palestiniennes sont des opérations routinières. Israêl balaie de la main sans problèmes les protestations de l’Union Européenne et des Etats-Unis.

L’évidence de l’indifférence du gouvernement d’extrème-droite d’Israël à la communauté internationale s’est manifestée dans la nomination de Danny Danon pour le représenter à l’ONU. Danon a appelé à l’annexion de « la majorité » de la Cisjordanie, n’y laissant qu’« un minimum de Palestiniens ».

Il est difficile de voir comment le plan de succession de Abbas pourra faire une différence pour la protection des Palestiniens ou pour le plein respect de leurs droits. Les Palestiniens ont fait de nombreux sacrifices pour obtenir que l’OLP soit reconnue comme leur seul représentant légitime. La légitimité de l’OLP a toutefois été sérieusement entamée depuis que Yasser Arafat a signé les accords d’Oslo avec Israël. Sous la direction de Abbas, la représentativité de l’OLP s’est réduite à des enclaves sans connexion de la Cisjordanie où les forces de sécurité de l’Autorité Palestinienne ont servi de sous-traitants d’Israël et ont permis son projet illégal de colonisation.
Il y a quelques lueurs d’espoir. Les citoyens palestiniens d’Israël sont l’une d’entre elles.

La façon dont ils ont surmonté leurs différences pour devenir le troisième plus important parti d’Israël aux élections de mars dernier, avec une direction intelligente, perspicace et unifiée devrait être un modèle pour le reste du peuple palestinien.

La société civile palestinienne est une autre lueur d’espoir : Elle s’est, de façon répétée, relevée de ses cendres – avec ténacité et créativité. Le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) créé par les Palestiniens il y a 10 ans a aidé à consolider et faire croître les actions dispersées de boycott et de désinvestissement aux Etats-Unis et en Europe. Il a mis les partisans d’Israël aux Etats-Unis sur la défensive et les a forcé à dépenser des millions pour contrer la lutte non violente des Palestiniens pour leurs droits.

Pourtant, il y a des limites à ce que la société civile peut faire. A présent, elle est assez forte pour aider à empêcher la liquidation des droits des Palestiniens en vue d’obtenir un accord avec Israël. Et, plus important, elle peut garder vive la flamme jusqu’à ce qu’il y ait un renouveau du personnel politique. Les Palestiniens savent, que plus que n’importe quoi d’autre, ils peuvent recréer des institutions représentatives qui couvrent la bande de Gaza assiégée et meurtrie et la Cisjordanie, les réfugiés encore échoués à travers le monde arabe, et les exilés qui brulent de rentrer chez eux.

* Note du traducteur:

[Les documents Palestine sont des documents secrets sur les négociations de paix israélo-palestiniennes, révélés par Al Jazeera et appelés en anglais « The Palestine Papers ». Les documents détenus par la chaine d’information sont publiés à partir du 23 janvier 2011 dans la soirée, et fourniraient les vrais détails tenus secrets des négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël pendant la décennie écoulée.]

Traduction: Roger M. pour l’Agence Média Palestine

Source: Le Monde Diplomatique

Retour haut de page