Israël : nouvelle et dangereuse méthode de transferts des Palestiniens de Jérusalem

Munir Nuseibah – 12 avril 2016 – Al-Shabaka

Ultra-nationalist Israelis wave their national flags during the "flag march" through Damascus Gate in east Jerusalem on May 28, 2014 as the country celebrates the anniversary of its capture in the 1967 Six-Day War. Fearing clashes, police closed the flashpoint Al-Aqsa mosque compound to visitors and in Jerusalem Day speeches Prime Minister Benjamin Netanyahu pledged to never allow the city to be divided. Photo by Saeed Qaq
Photo by Saeed Qaq, APA Images

Israël est un expert pour créer de nouveaux réfugiés palestiniens et personnes déplacées internes, saisissant toute occasion pour cela et exploitant les crises temporaires afin de promouvoir des mesures permanentes. Aujourd’hui, il se sert de la récente violence dans les territoires palestinien occupés (TPO) pour donner un tour nouveau et dangereux à sa politique de révocations du droit de séjour de longue durée, pour forcer les Palestiniens à quitter Jérusalem-Est.

Ce nouveau concept – « manquement à l’allégeance » à l’État d’Israël – est aujourd’hui utilisé pour révoquer le droit de séjour des Jérusalémites palestiniens, en plus d’une possible démolition de leurs maisons familiales. Le gouvernement israélien présente ces actions comme des mesures normales visant à faire appliquer la loi, mais une analyse montre qu’elles s’intègrent en fait dans la politique constante de déplacements forcés, avec l’objectif d’apporter des changements démographiques à long terme et de maintenir une majorité juive écrasante à Jérusalem.

Le système juridique israélien et l’establishment militaire ont, depuis 1948, utilisé plusieurs méthodes pour réduire au minimum le nombre de Palestiniens dans les secteurs soumis au contrôle israélien, comme je l’ai exposé dans un précédent dossier politique d’Al-Shabaka, « Des décennies à déplacer les Palestiniens : comment procède Israël ». Ces mesures incluent la force armée, les restrictions sur l’état civil des Palestiniens, les restrictions sur les constructions, et la dépossession de leurs biens (surtout immobiliers), entre autres, forçant la plus grande partie de la population palestinienne à devenir des réfugiés ou des déplacés internes.

Le récent changement israélien marque un tournant qui est susceptible de produire des milliers de nouvelles victimes des transferts de population. C’est le troisième tournant réglementaire d’Israël dans ses tentatives pour « réduire » la population palestinienne de Jérusalem, comme on le verra ci-après. Le déplacement forcé des Palestiniens fait partie du système juridique d’Israël : cela doit être compris et contré avec plus de vigueur par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et la communauté internationale, à l’instar des organisations des droits de l’homme qui viennent de lancer une nouvelle campagne.

 

Tournants 1 et 2 : « Le centre de vie »

La politique constante d’Israël de révocations du droit de séjour est fondée sur la position de plus en plus avouée que les Palestiniens dans Jérusalem ne sont pas plus que des immigrants étrangers, qui peuvent facilement être transférés en dehors de ce qu’Israël considère comme son territoire souverain. Après qu’Israël a occupé et annexé illégalement Jérusalem-Est lors de la guerre de 1967, il a considéré les Jérusalémites palestiniens comme des immigrants en Israël n’ayant aucun droit de vote au parlement israélien, cela lui permettait d’éviter d’augmenter considérablement cette quantité de non-juifs à ses propres citoyens. Et avec le temps, le ministre de l’Intérieur, avec le consentement de la Cour suprême israélienne, a développé des moyens créatifs pour révoquer ce statut précaire. Résultat, depuis 1967, plus de 14000 droits de séjour ont été révoqués, la plupart datant d’après le lancement du soi-disant processus de paix au début des années 1990.

Les gouvernements israéliens successifs ont habilement choisi leur moment pour de nouveaux bouleversements réglementaires afin d’élargir la portée des révocations des droits de séjour, manœuvrant avec les crises temporaires pour y parvenir. Deux cas très remarqués ont contribué à façonner les piliers du régime actuel de révocations du droit de séjour. Le premier est celui du militant pour la paix Mubarak Awad, qui est parti aux États-Unis en 1970 où il s’est marié avec une citoyenne états-unienne. Awad était actif dans une résistance promouvant la non-violence, avant et pendant la Première Intifada, ce soulèvement populaire palestinien entre 1987 et 1991. En 1987, il a fait la demande au ministre de l’Intérieur pour le renouvellement de sa carte d’identité de Jérusalem et il apprend alors que son droit de séjour israélien a été révoqué suite à son séjour aux USA et au motif qu’il a reçu la citoyenneté états-unienne. Avec du recul, il est particulièrement paradoxal qu’aujourd’hui, quelque 15 % des colons qui remplacent les Palestiniens dans le TPO sont des juifs états-uniens israéliens.

Awad a par conséquent déposé une requête devant la Cour suprême israélienne où il a expliqué que son droit de vivre dans sa ville natale ne devait pas être remis en cause en raison de son séjour à l’étranger. Il soutient que les Jérusalémites palestiniens devraient posséder un statut de résidence irrévocable étant donné qu’ils ne peuvent pas être considérés comme de simples immigrants en Israël. La Cour suprême rejette cet argument et approuve la révocation de son droit à résidence. Dans un exposé à peine croyable, la Cour note que ses opinions politiques sont un élément qui a été pris en compte par le ministre de l’Intérieur quand il a décidé de révoquer son droit de résidence.

Pour étayer son argumentation, le ministère se repose sur l’opinion d’un dirigeant de l’Agence de sécurité israélienne (Shabak), désigné sous le pseudonyme de « Yossi », selon laquelle Awad préconise une solution à un État unique et qu’il appelle à la désobéissance civile. Si la Cour ne motive pas explicitement sa décision sur cette opinion, elle s’y réfère fréquemment dans son verdict. Créant un nouveau précédent, la Cour détermine que le statut de résident peut être refusé quand le « centre de vie » du résident ne se situe plus en Israël. En plus de la tragédie personnelle d’Awad, ce qui est extrêmement important c’est que ce précédent juridique va être par la suite utilisé pour refuser le statut de résident à des milliers de Jérusalémites.

En 1995, la Cour suprême rend un autre verdict crucial, cette fois contre Fathiyya Shiqaqi, épouse de Fathi Shiqaqi, fondateur du mouvement du Jihad islamique. Résident de Jérusalem, Shiqaqi a été forcée de partir en Syrie en 1988 avec son époux qui était expulsé. Six ans plus tard, elle revient à Jérusalem et veut renouveler sa carte d’identité et faire enregistrer ses trois enfants. Le ministère de l’Intérieur rejette sa requête et lui ordonne de quitter le pays. Jusqu’à cette date, Israël ne révoquait les droits de séjour soumis à une ordonnance écrite du ministère que si le résident avait été absent pendant sept années consécutives ou s’il avait obtenu un droit de séjour permanent ou une citoyenneté à l’étranger. Bien que le cas de Shiqaqi ne réponde pas à ces conditions, la Cour suprême, de nouveau, approuve la révocation de son droit de séjour au motif que Shiqaqi vit à l’étranger avec son époux et que son « centre de vie » ne se situe plus en Israël.

Après ce second tournant, des milliers de résidents palestiniens vivant à l’extérieur des limites municipales de Jérusalem, en Cisjordanie, à Gaza ou à l’étranger, commencent à perdre leur statut de résident. Toutes ces victimes des déplacements forcés ne sont pas des gens nécessairement impliqués dans une quelconque activité politique. La révocation de leur droit de séjour dépend uniquement du critère du « centre de vie ».

Ces deux cas importants semblent avoir été soigneusement sélectionnés. Dans la société juive israélienne, très peu de gens s’identifient à la situation dramatique d’un universitaire qui appelle à la désobéissance civile, ou à l’épouse d’un djihadiste islamique. Cependant, une fois que ces précédents sont créés, la population palestinienne de Jérusalem tout entière s’en trouvée menacée.

 

Tournant 3 : « Manquement à l’allégeance »

Le dernier bouleversement dans la politique de révocations d’Israël prend ses racines dans la révocation, par le ministère israélien de l’Intérieur, de trois membres élus au Conseil législatif palestinien (CLP) et du ministre palestinien des Affaires de Jérusalem, en 2006. Le ministère prétend qu’ils ont enfreint leur « obligation minimale de loyauté envers l’État d’Israël » en se faisant élire au CLP et s’affiliant avec le Hamas. Les organisations des droits de l’homme, israéliennes et palestiniennes, sont scandalisées par l’introduction d’une « allégeance » comme critère juridique pour un état civil, et le dossier est toujours en instance devant la Cour suprême israélienne depuis 2006. Si la Cour suprême approuve cette mesure, les autorités israéliennes seront dotées d’un nouveau prétexte pour des déplacements forcés, comme l’a déclaré Hasan Jabarin, directeur de l’organisation des droits de l’homme Adalah, basée à Haïfa.

Cependant, la récente flambée de violences dans le TPO donne à Israël une opportunité pour agir sans avoir à attendre le verdict de la Cour suprême. Comme précédemment le 14 octobre 2015, le « Cabinet de la sécurité » israélienne publie une décision selon laquelle « les droits à résidence permanente des terroristes seront révoqués », sans définir qui est terroriste. Une semaine plus tard, le ministère de l’Intérieur notifie à quatre Palestiniens, suspectés d’avoir commis des actes violents contre des citoyens israéliens (trois d’entre eux sont accusés de jets de pierres), que le ministre envisage d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour révoquer leurs droits à résidence au motif que les actes criminels dont ils sont accusés révèlent un « manquement manifeste d’allégeance » à l’État d’Israël. En janvier 2016, le ministère publie ses décisions officielles de révocation de résidence contre les quatre Jérusalémites.

Ainsi, il ne suffit plus pour un et une Jérusalémite palestinien-ne de vivre réellement à Jérusalem et de maintenir son centre de vie dans la ville. On attend maintenant des Jérusalémites palestiniens qu’ils se soumettent à ce nouveau critère de l’ « allégeance ». L’organisation israélienne des droits de l’homme HaMoked, basée à Jérusalem, a remis en cause cette nouvelle politique devant la Cour suprême israélienne. Mais la Cour n’a toujours pas statué sur le dossier. De la même manière, le cas des quatre dirigeants politiques palestiniens dont le droit de séjour a été révoqué en 2006 est toujours en instance.

Personne ne sait encore combien de droits de séjour ont été révoqués sur la base du nouveau critère de l’ « allégeance », mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a un peu plus de dossiers en instance de décision à la Cour suprême. HaMoked a déposé une requête en se basant sur la loi relative à la liberté de l’information pour forcer le ministère de l’Intérieur à révéler cette information.

Il faut noter que le droit humanitaire international interdit d’exiger une allégeance de la part d’une population sous occupation. Ainsi, justifier une révocation de résidence au motif d’un « manquement à l’allégeance » est contraire au droit international. En outre, il n’y a aucune justification à révoquer le droit de séjour de quiconque serait soupçonné d’un acte de violence, cela parce que le système de justice pénal israélien punit déjà tout acte violence – de même que beaucoup de non-violents – commis par les Palestiniens.

D’un point de vue juridique et historique plus large, Israël doit se rappeler que le déplacement forcé constitue un crime de guerre quand il est exécuté dans un territoire occupé, et un crime contre l’humanité quand il est généralisé ou systématique. Les récentes mesures du gouvernement israélien, combinées à celles existantes, devraient répondre au critère de déplacement systématique, et ainsi être assimilables à un crime contre l’humanité.

Résister à la politique de déplacement forcé

La lutte contre les révocations de résidence à Jérusalem a principalement lieu dans les salles d’audience où elle a, en général et jusqu’ici, perdu. Les tentatives de plusieurs organisations palestiniennes et israéliennes des droits de l’homme à soutenir devant la Cour suprême israélienne que les Jérusalémites ne sont pas des immigrants mais des natifs qui ont un droit inconditionnel à vivre dans leur propre ville, ces tentatives ont échoué. La Cour suprême israélienne maintient que le droit d’un Jérusalémite palestinien à vivre à Jérusalem-Est doit rester à la discrétion du pouvoir du ministère de l’Intérieur. L’actuel gouvernement de droite d’Israël utilise cette prérogative pour accélérer le retrait du nombre maximum possible de Palestiniens de Jérusalem.

En plus, il n’y a aucune contre-mesure claire, sur le plan diplomatique et international, contre les actions punitives d’Israël. L’OLP a obtenu la reconnaissance de l’État de Palestine par l’Assemblée générale des Nations-Unies, puis elle s’est associée à un certain nombre de conventions importantes relatives aux droits de l’homme et au droit humanitaire international, dont le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Cependant, on ne sait toujours pas clairement quel usage l’État de Palestine projette de faire de ce statut et de ces conventions pour résister aux révocations des droits de séjour à Jérusalem.

La plus grande partie du plaidoyer, après que la Palestine a rejoint la CPI, s’est concentrée sur les crimes commis durant la guerre contre Gaza, ce qui est évidemment important. Mais, j’avancerais que la question des déplacements forcés n’est pas moins importante. À Jérusalem et ailleurs en Cisjordanie, le déplacement forcé fait partie du régime juridique d’Israël. Il apparaît en tant qu’expression dans les lois israéliennes, dans les ordonnances administratives et dans les décisions judiciaires. Dans le cas spécifique de Jérusalem, l’administration et les institutions juridiques israéliennes ne prennent même pas en compte les arguments du droit international, parce qu’Israël considère Jérusalem comme israélienne, et non comme un territoire occupé.

Israël a besoin de recevoir le message fort de la part des institutions juridiques internationales et des milieux diplomatiques que, nonobstant la définition israélienne, la communauté internationale estime que Jérusalem est occupée et que le transfert de ses civils est une infraction pénale.

Dans ce contexte, plusieurs organisations palestiniennes des droits de l’homme à Jérusalem-Est et ailleurs en Cisjordanie (le Centre d’action communautaire de l’université Al-Quds, St Yves, le Centre des droits de l’homme et de l’aide juridique de Jérusalem, la Coalition civile pour les droits des Palestiniens à Jérusalem, Badil, Al-Haq et la Clinique des droits de l’homme Al-Quds) ont récemment lancé une campagne pour résister à la nouvelle politique israélienne de transferts contre les Jérusalémites. La campagne a débuté en portant cette question devant le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies pour la soulever avant les diplomates internationaux et les praticiens des droits de l’homme.

La campagne a décidé de se concentrer sur les révocations du droit de séjour à des fins punitives, parce que celles-ci n’ont pas encore été approuvées par la Cour suprême israélienne, ce qui les rend plus aisées à contester. Si cependant, la Cour décide que cette politique est légitime, alors ce sera inscrit dans le système juridique israélien et fera probablement déplacer encore plus de Palestiniens hors de Jérusalem.

Les institutions officielles palestiniennes, tout comme les organisations de la société civile, se doivent de travailler dur contre la politique israélienne systématique de déplacements forcés. Même si les Palestiniens, dans leur ensemble, estiment que le droit international n’a pas bien servi la cause palestinienne, on ne doit pas prendre cela comme excuse pour abandonner la lutte sur le terrain juridique. Cette lutte ne doit pas viser simplement les institutions juridiques d’Israël et leur politique discriminatoire, elle doit encore être portée au niveau international. La Cour suprême israélienne elle-même pourrait reconsidérer son approbation de la politique discriminatoire si elle sent que celle-ci fait l’objet d’une surveillance.

Que la pression de la campagne palestinienne locale arrive à renverser la politique de révocations de résidence, cela reste à voir. Ce qui est certain cependant, c’est que les droits des Palestiniens à Jérusalem doivent faire l’objet de plus d’attention, et que la question de la révocation des résidences à Jérusalem doit être à l’ordre du jour. Les avocats palestiniens, les organisations des droits de l’homme et les dirigeants devraient profiter de l’élan créé par l’accession de la Palestine à un certain nombre de traités relatifs aux droits de l’homme pour augmenter leur pression sur la communauté internationale. Il est temps pour la communauté international de respecter l’obligation qu’elle a de prendre toutes les mesures possibles pour mettre fin au crime de transfert forcé, de demander des comptes aux responsables de telles politiques et d’inverser leurs effets en octroyant des réparations aux victimes, notamment leur droit au retour dans leurs maisons. Les campagnes ciblées sur l’unique question des droits peuvent être plus efficaces au sens où les campagnes générales visent à sensibiliser les gens sur de multiples injustices.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Al-Shabaka

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