Comment Israël utilise le gaz pour imposer la dépendance aux Palestiniens et promouvoir la normalisation

 

Par Tarek Baconi, 12 mars 2017

 

Vue d’ensemble

L’occupation par Israël du territoire palestinien n’est pas seulement pratiquée à la surface de la terre. Depuis 1967, Israël a systématiquement colonisé les ressources naturelles palestiniennes et, dans le domaine des hydrocarbures, il a empêché les Palestiniens d’avoir accès à leurs propres ressources de pétrole et de gaz. Ces restrictions ont assuré la dépendance des Palestiniens vis-à-vis d’Israël pour leurs besoins énergétiques.

Les efforts des Palestiniens pour développer leur secteur de l’énergie échouent à concurrencer l’hégémonie d’Israël sur l’ensemble des ressources palestiniennes. Ils poursuivent plutôt la croissance et la construction de l’État dans le cadre de l’occupation, renforçant encore, même involontairement, le déséquilibre entre l’occupé et l’occupant (1).

Même ainsi, du pétrole acheté pour produire de l’électricité à Gaza ne suffit pas à la demande locale et la bande de Gaza a souffert de pénuries d’électricité chroniques depuis qu’Israël a imposé le blocus.

Au début de l’année 2017, des manifestations ont éclaté dans tout Gaza quand les habitants de cette enclave côtière ont protesté contre le fait de n’avoir que trois à quatre heures d’électricité par jour. En plus des restrictions considérables que cette pénurie d’électricité impose aux aspects banals de la vie quotidienne, les coupures d’électricité ont un effet paralysant sur l’activité économique du secteur privé, sur la santé, l’éducation, les services de base tels que les usines de traitement des eaux. Les retards dans les activités de ces zones ont des conséquences à la fois immédiates et durables qui ont un effet sur les générations montantes.

Tandis qu’Israël se remplissait de gaz, la triste réalité de la bande de Gaza se faisait plus sombre que jamais.

Les reproches liés à la crise de l’énergie à Gaza s’enflamment de tous côtés. Des manifestants ont envahi les rues cet hiver en critiquant le Hamas, l’AP et Israël. La colère a directement visé le gouvernement du Hamas, qui est supposé avoir détourné des fonds destinés à l’achat de carburant nécessaire au fonctionnement de l’unique centrale électrique de Gaza vers d’autres activités, dont la construction de tunnels.

Des manifestants frustrés ont accusé l’AP de soutenir le blocus par le contrôle des achats de carburant et des transferts vers Gaza. La compagnie d’électricité elle-même, qui est privée, est régulièrement critiquée pour des profits qu’elle ferait sur le dos des Gazaouis ordinaires qui souffrent de ces coupures. Pour adoucir les mois d’hiver particulièrement pénibles, des interventions dans le secteur de l’énergie de Gaza ont été prévues à la fin de 2016 et au début de 2017, de la part de la Turquie et du Qatar, sous forme de livraisons de carburant permettant la reprise de l’activité de GPGC. Ces mesures sont au mieux des palliatifs de court terme, qui vont conduire les Gazaouis à une autre phase d’une crise chronique.

Dans cette vague de colère et de récrimination populaires, l’impact du blocus israélien dans la bande de Gaza et, plus largement, de l’occupation israélienne et de son contrôle sur les ressources palestiniennes, est dilué sinon renvoyé au second plan.

Pourtant les Palestiniens ont découvert des réserves de gaz presque dix ans avant le boom du gaz israélien. En 1999, le gisement de pétrole Gaza Marine a été découvert au large de la côte et une licence d’exploitation et de production a été délivrée au groupe BG, la plus grosse société britannique de pétrole et de gaz, acquise depuis par la Shell. Dans les premiers temps de cette découverte, ce trésor national fut acclamé comme une aubaine pour les Palestiniens. À un moment où les accords d’Oslo, signés en 1993, semblaient encore plausibles, la découverte de cette ressource a été vue comme la possibilité d’apporter aux Palestiniens un stimulant dont ils avaient grand besoin vers l’autodétermination.

La capacité de Gaza Marine estimée à 1 billion de pieds cubes de gaz, ne lui donne pas la possibilité d’exporter. Mais son volume de gaz peut rendre le secteur palestinien de l’énergie complètement autosuffisant. Non seulement les Palestiniens n’auraient pas à importer du gaz ou de l’électricité d’Israël ou d’Égypte, mais la bande de Gaza ne souffrirait d’aucune pénurie d’électricité. De plus, l’économie palestinienne jouirait d’une source de revenus significative.

Cette évolution vers la souveraineté ne s’est pas produite. Malgré les tentatives répétées des propriétaires du gisement de pétrole et d’investisseurs pour développer Gaza Marine, Israël a mis des restrictions inflexibles qui ont empêché toute mesure d’être prise. Et ce, en dépit du fait que l’exploitation et la production de Gaza Marine seraient relativement simples étant donné la faible profondeur de la réserve et sa localisation proche des côtes palestiniennes (2).

Selon des documents découverts par Al-Shabaka, Israël a initialement empêché le développement du gisement parce qu’il aspirait à obtenir des termes de l’échange commercial favorables pour le gaz produit. Quand Israël a découvert ses propres ressources, il s’est mis à parler de « problèmes de sécurité » aggravés par la prise du pouvoir par le Hamas sur la bande de Gaza.

Bien que Netanyahou ait probablement pensé permettre aux Palestiniens, en 2012, d’exploiter Gaza Marine, dans le cadre d’une stratégie plus large de stabilisation de la bande de Gaza, ces mesures peinent à se concrétiser. La récente acquisition du groupe BG par la Shell et le programme de cette dernière de désinvestissements des actifs globaux, il y a des chances que Gaza Marine soit vendu.

Tant qu’Israël maintient l’étranglement de l’économie palestinienne, cet atout palestinien restera probablement inutilisé. La façon dont les découvertes de gaz palestinien et israélien ont modelé le développement économique en Israël et dans les territoires palestiniens met en lumière la disparité du pouvoir entre les deux parties. Contrairement à Israël, qui a rapidement assuré son indépendance énergétique après la découverte de ses gisements gaziers, les Palestiniens sont dans l’impossibilité d’accéder à une ressource qu’ils ont découverte il y a près de vingt ans.

Plutôt que de traiter la cause à la racine du blocus et du régime d’occupation qui les a empêchés d’avoir le contrôle de leurs ressources comme Gaza Marine, les Palestiniens sont obligés de recourir à des mesures d’atténuation de la pression de la misère à laquelle ils sont confrontés. Bien que ce soit compréhensible dans le contexte de la brutalité de l’occupation, les efforts pour rehausser la qualité de vie sous occupation négligent l’objectif stratégique à plus long terme de sécurisation de l’indépendance énergétique au sein d‘un objectif plus large de libération de l’occupation et de la jouissance de leurs droits pour les Palestiniens.

La paix économique et la normalisation

Les découvertes israéliennes de gaz sont souvent annoncées comme capables d’entraîner une transformation régionale. Le positionnement de l’État d’Israël en tant que fournisseur d’énergie à des voisins pauvres en ressources, est  considéré comme un moyen sûr de faciliter l’intégration économique entre des pays tels que la Jordanie et l’Égypte aussi bien que des Palestiniens. L’avantage économique qu’un pipe line de gaz à faible coût pourrait offrir à ces pays est vu comme susceptible de contrebalancer tout problème social et politique ressenti par leurs citoyens au sujet des relations avec Israël. Cette ligne de pensée avance qu’à travers l’intégration économique, une stabilité s’ensuivrait, qui amoindrirait les perspectives d’instabilité dans une région explosive, Israël et ses voisins s’intégrant en une dépendance mutuelle.

La notion de « paix économique » a une longue histoire dans la région ; elle s’est manifestée de plusieurs façons dont récemment dans la proposition de développement économique du Secrétaire d’État John Kerry. C’est aussi ce qui paraît avoir les faveurs de l’ambassadeur de l’administration Trump en Israël, David Friedman. Plutôt que de s’adresser directement à l’impasse politique causée par la poursuite de l’occupation par Israël et par ses autres violations du droit, de telles propositions renvoient à des questions de qualité de vie, de commerce ou de croissance économique, tremplin présumé vers la paix. C’est avec cela en tête qu’après la découverte de gisements de gaz par Israël, l’administration Obama a commencé à explorer des moyens de positionner Israël comme centre énergétique pour la région.

Les Palestiniens sont forcés de recourir à des mesures qui adoucissent la pression de la misère à laquelle ils sont confrontés.

Les tenants de cette approche séparant les droits nationaux et politiques des incitations économiques, argumenteraient qu’il y a un avantage commercial évident à ce que le gaz israélien soit utilisé dans le territoire palestinien et en Jordanie. Israël a maintenant un excédent de gaz et ces régions dépendent toujours d’énergie importée. Dans le cas du territoire palestinien, la dépendance vis-à-vis d’Israël est déjà avérée, non seulement à Gaza : près de 88% de la consommation palestinienne est fournie par Israël, la Cisjordanie important d’Israël la presque totalité de son électricité. Les partisans de la paix économique croient que les perspectives d’instabilité s’affaiblissent lorsqu’une  telle dépendance mutuelle est renforcée.

Le Département d’État des États Unis, ancré dans cette conviction, a facilité une grande partie des négociations sur le gaz entre Israël, la Jordanie et les Palestiniens. Le poste nouvellement créé d’Envoyé Spécial et Coordinateur pour les affaires énergétiques internationales, grâce auquel les USA ont renforcé leur bras diplomatique sur l’énergie à l’échelle mondiale sous l’administration Obama, a encouragé des discussions pour permettre l’exportation du gaz israélien en Jordanie et vers les Palestiniens, avec un succès évident.

La Jordanie n’est pas le seul client possible pour le gaz israélien. En 2010, l’AP a approuvé un projet de création d’une Compagnie Palestinienne d’Énergie Électrique (PPGC), la première de ce type en Cisjordanie et la seconde dans le territoire palestinien après GPGC. Située à Jénine, cette centrale électrique d’une puissance de 200 megawatt est conduite par des investisseurs privés (dont PADICO et CCC). Ceux-ci travaillent à renforcer le secteur de l’énergie palestinien en sécurisant la production d’électricité en Cisjordanie et en réduisant le coût élevé des importations d’électricité d’Israël. PPGC est entré en négociation avec Israël en vue d’acheter du gaz de Leviathan pour la production d’électricité. Les Palestiniens ont protesté contre cette décision et appelé à s’efforcer d’exploiter Gaza Marine au lieu de compter sur le gaz israélien. Les discussions ont échoué en 2015, mais on ne sait pas clairement si elles ont été simplement suspendues.

Les dangers d’une souveraineté tronquée

Cette pression pour une intégration plus étroite via des contrats gaziers présente plusieurs dangers à l’échelle nationale et régionale, en l’absence d’efforts parallèles sur le front politique. Le premier danger réside dans le fait que la sécurité énergétique est étroitement liée au bon vouloir israélien. Israël peut, et a déjà utilisé ce pouvoir par le passé pour fermer effectivement le robinet aux consommateurs palestiniens. La manifestation la plus évidente (et la plus violente) de la volonté d’Israël de retirer le pouvoir aux Palestiniens est la décision qu’il a prise de détruire sans hésitation la seule centrale électrique de la bande de Gaza pendant ses bombardements de l’enclave côtière en 2006 et de nouveau en 2014.

Deuxièmement, cette approche légitime l’occupation israélienne qui va bientôt entrer dans sa cinquantième année. Non seulement Israël empêche, sans que cela ne lui coûte, la construction de l’État de Palestine, mais il retire plutôt un bénéfice sous forme de revenus de la vente de gaz à des territoires maintenus à l’infini sous le contrôle territorial d’Israël.

Troisièmement, et c’est peut-être là le plus important, cet échange et ce commerce de l’énergie dans la poursuite d’une paix économique en l’absence de toute perspective politique consolide simplement le déséquilibre du pouvoir entre les deux parties, l’occupant et l’occupé. Une telle intégration propage une fiction de relations souveraines normatives entre une puissance occupante et une économie captive en Cisjordanie et à Gaza.

On pourrait penser à des initiatives pour une qualité de vie similaire lancées dans les années 1980, directement encouragées par la Maison Blanche de Reagan, comme alternative ratée à un engagement politique avec l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Les efforts constants pour contourner les exigences politiques palestiniennes avec de telles mesures ont permis à Israël de gérer plutôt que de résoudre le conflit.

La diplomatie américaine facilite des négociations qui laissent les Palestiniens attachés à Israël.

Le cas du gaz démontre plus sombrement comment les efforts de construction étatique palestiniens à travers le développement de ressources nationales ont été omis en faveur de l’allègement des crises énergétiques dans le cadre d’une souveraineté tronquée. Au lieu de s’adresser à l’impossibilité pour les Palestiniens d’explorer leurs propres ressources naturelles, les diplomates américains travaillent activement avec Israël à faciliter des négociations qui améliorent la « qualité de vie » des Palestiniens pour au final les laisser attachés à Israël à perpétuité.

Cette approche comporte aussi des dangers au niveau régional. La Jordanie est actuellement dépendante d’Israël pour environ 40% de ses importations énergétiques. La volonté de la Jordanie d’entrer dans ce type d’engagement, en dépit de plusieurs inconvénients géostratégiques, fait avancer la normalisation dans la région alors même qu’il maintient son occupation du territoire palestinien.  Cette disposition annonce plusieurs menaces au moment où l’administration Trump propose la poursuite de mesures diplomatiques « dedans dehors » qui pourraient complètement échapper aux Palestiniens.

Stratégies de recul

Dans des conditions normales, la dépendance mutuelle et le développement économique sont certes des ancres contre l’instabilité et présentent l’avantage d’améliorer la qualité de vie des habitants d’une région. Il ne faut cependant pas les voir comme une fin en soi et certainement pas comme un substitut à l’assomption des Palestiniens à leurs droits. Une vision aussi dépolitisée se pose là. Se centrer uniquement sur la paix économique a des conséquences néfastes précisément parce que c’est négliger le contexte historique plus large qui a conduit à la dépendance palestinienne et peut-être régionale.

La croissance économique ne supprimera jamais les appels palestiniens à la souveraineté et au respect de leurs droits ni l’exigence d’autodétermination. C’est une leçon qui a été complètement en phase avec l’éruption de la première intifada voici près de 30 ans, après des décennies de relations économiques normalisées entre Israël et les territoires maintenus sous son occupation. Tandis que la « paix économique » pourrait offrir un soulagement à court terme, elle ne fera que paver le chemin d’une plus grande stabilité si elle n’est pas bâtie sur un socle d’égalité et de justice.

Le droit des Palestiniens à l’accès à leurs propres ressources est soumis à des négociations statutaires avec les Israéliens. Le contrat en cours sur le gaz va créer une infrastructure de dépendance qu’il sera difficile de dénouer dans le cas d’un règlement négocié. Plus important, étant donné que l’espoir s’efface d’une solution négociée à deux États, ces contrats ne font que concrétiser le statu quo.

Donc, alors que les relations économiques doivent être maintenues pour éviter une souffrance humanitaire, ce qui pourrait être le cas avec l’accroissement de la fourniture de pétrole et d’électricité à Gaza, l’OLP et l’AP comme la société civile palestinienne et le mouvement de soutien à la Palestine doivent continuer à se servir de tous les outils à leur disposition pour aller dans le sens de la justice et des droits des Palestiniens.

Dans un futur proche, si des contrats gaziers sont maintenus en dépit de l’opposition populaire, les négociateurs palestiniens impliqués dans des contrats gaziers à venir doivent au moins insister sur des dispositions qui ne bloquent pas les perspectives d’obtenir du gaz de Gaza Marine. Cela pourrait passer par la création de mécanismes juridiques permettant l’introduction de tiers dans les accords de fourniture. Bien que la négociation de telles disposition s’annonce difficile, elle est d’une importance vitale parce que cela laisse place à de la souplesse dans la fourniture à venir de Gaza Marine et dans une dépendance moindre vis-à-vis d’Israël. Les contrats de fourniture de gaz devraient aussi inclure des dispositions pour la révision des termes de l’accord dans le cas d’évolution importante sur le front politique.

Les négociateurs palestiniens devraient aussi être attentifs à la résistance de la société civile et la renforcer plutôt que de chercher à la rejeter ou à l’écraser. Il y a des modèles à suivre là où les négociateurs sont capables de se greffer sur le pouvoir des mouvements populaires contre certains de ces contrats. En ce qui concerne les droits sur l’eau, par exemple, il existe un groupe de plaidoyer (EWASH) qui coordonne le travail de groupes locaux et internationaux. EWASH  a mené une campagne qui a mis en avant le vol de l’eau des Palestiniens par les colonies israéliennes et qui a soulevé le problème auprès du Parlement Européen. Peut-être une telle coalition pourrait être mise sur pied afin de mobiliser sur la souveraineté énergétique.

En même temps, l’OLP/AP doit mettre à profit des négociations économiques  comme moyen de s’assurer qu’Israël rende des comptes plutôt que d’en faire une façon de consentir à une dépendance renforcée. En particulier, le statut de membre non-observateur que la Palestine a acquis à l’ONU doit être utilisé  pour faire du lobbying dans des forums juridiques internationaux comme la Cour Pénale Internationale, pour pousser Israël à assumer ses responsabilités de puissance occupante dans le droit international. Cela veut dire qu’il a la charge  de préserver la subsistance des habitants sous son contrôle, dont la fourniture d’électricité et de carburant et qu’il a des comptes à rendre sur les décisions qu’il serait amené à prendre pour « fermer les robinets ».

Certains éléments de la paix économique peuvent servir aux Palestiniens à court terme en renforçant la croissance économique et le développement. Mais cela ne peut se faire aux dépens d’un état de dépendance et de souveraineté tronquée indéfiniment. Les Palestiniens doivent agir sur deux fronts : ils doivent pousser à ce que l’occupation israélienne doive rendre des comptes dans des forums internationaux. Et ils doivent assurer qu’aux perspectives d’intégration économique forcée et qu’à toute tentative par Israël d’imposer une réalité d’État unique d’apartheid, soit opposé un appel aux droits et à l’égalité. Quelle que soit la vision politique adoptée concernant Israël et les Palestiniens, la direction palestinienne doit formuler une stratégie sur ces contrats de gaz et remettre ces notions de développement économique dans le contexte plus large de la lutte pour la libération de la Palestine.

Notes:

  1. L’impact politique de l’aubaine du gaz d’Israël

Jusqu’à des années récentes, Israël comme la Jordanie comptait assez fortement sur les importations de gaz égyptien. En 2011-2012, et en particulier après la chute du régime du président Hosni Moubarak, les exportations de gaz d’Égypte n’étaient plus fiables. C’était dû à la fois à des problèmes domestiques dans le secteur de l’énergie égyptien et à une instabilité croissante dans la péninsule du Sinaï où se trouvait la principale voie du pipe line acheminant le gaz vers Israël et la Jordanie. Avec la chute des importations égyptiennes, Israël et la Jordanie ont commencé à chercher des alternatives. En 2009, un consortium israélo-américain de firmes d’énergie a découvert Tamar, un gisement situé à environ 80 km de la côte au large de Haïfa, d’une capacité de 10 billions de pieds cubes (tcf) de gaz. Face au péril dans lequel se trouvait la sécurité énergétique d’Israël, le consortium est rapidement passé à la production et le gaz est arrivé en 2013. Un an après la découverte de Tamar, le même consortium a identifié le gisement de gaz Leviathan, beaucoup plus important, d’une capacité estimée à environ 20 billions tcf.

Visuel: Réserves de gaz en méditerranée orientale

En  l’espace de quelques années, Israël a évolué du rôle d’importateur régional de gaz à l’acquisition d’un potentiel le faisant exportateur. Il a considéré les marchés locaux, les pays voisins et d’autres plus éloignés afin d’identifier des destinations possibles pour l’exportation.  Dans la proximité immédiate, les perspectives de normalisation économique étaient évidents : comme l’a récemment déclaré le président Benjamin Netanyahou, la production de gaz de Leviathan « fournira du gaz à Israël et promouvra la coopération avec les pays de la région ».  La Jordanie a été le premier pays à s’engager à acheter du gaz israélien.

Les négociations ont commencé entre la Jordanie et Israël peu après la découverte de Leviathan et un Memorandum de compréhension (MoU) a été signé en 2014. Cette même année, des accords de vente de gaz ont aussi été finalisés entre les propriétaires de Tamar et deux acteurs industriels jordaniens, les sociétés Jordan Bromine et Arab Potash. Le MoU signé avec le gouvernement de Jordanie comprenait un engagement de la Jordanie à acheter du gaz israélien sur une période de 15 ans.

Cela s’est heurté à de vigoureuses protestations en Jordanie : de nombreux militants rejettent du fait de traiter avec Israël,  notamment étant donné son attaque sur la bande de Gaza cette année-là et des parlementaires jordaniens ont voté contre l’accord. Au début de 2017, le gaz est arrivé d’Israël chez Jordan Bromine et Arab Potash, bien que ces acteurs aient fait profil bas pour éviter de raviver des manifestations. La colère motivée par le fait que la Jordanie finance le secteur du gaz israélien a été aggravée par le fait que la Jordanie avait d’autres possibilités pour l’achat de gaz. Après le déclin du gaz égyptien,  la Jordanie avait construit un terminal pour l’importation de gaz naturel liquide à Akaba, sur la côte de la mer Rouge, qui a commencé à fonctionner en 2015.  De plus, la découverte par l’Égypte du gisement de gaz super géant de Zohr en 2016 a ressuscité les perspectives pour l’Égypte, de retrouver son rôle de fournisseur régional de gaz.

La Jordanie néanmoins, et sans doute sous l’influence de pressions externes, a formalisé son Memorandum de compréhension (MoU)  avec Israël en septembre 2016, passant par dessus les objections parlementaires et les manifestations populaires. Avec la crise de l’énergie qu’Israël impose à Gaza et à la Palestine : alors qu’Israël regorge de gaz, la triste réalité de la bande de Gaza est devenue plus sombre que jamais. La bande de Gaza est sous blocus depuis 2007.

La compagnie de production d’électricité de Gaza (GPGC), la seule société de ce type dans la bande de Gaza, fonctionne actuellement avec du fuel liquide acheté et transporté dans la bande de Gaza par l’Autorité Palestinienne (AP) de Cisjordanie. Pour compléter la production de la GPGC, Gaza achète de l’électricité auprès de la compagnie israélienne d’électricité et du réseau électrique égyptien. Ces mesures d’achat et de transport de fuel sont cohérentes avec le Protocole des Relations Economiques aussi appelé le Protocole de Paris entériné par Israël et l’OLP comme part des accords d’Oslo.

  1. Gaza Marine n’est pas la seule ressource que les Palestiniens n’ont pas eu la possibilité d’exploiter. Les gisements de pétrole de Cisjordanie ont aussi rencontré des problèmes d’accessibilité à cause des restrictions israéliennes.

Tareq G. Baconi est le correspondant d’Al-Shabaka aux USA. Son livre « Hamas : la politique de résistance, le retranchement à Gaza » doit paraître aux éditions Stanford University Press.  Tareq a fait un doctorat en relations internationales du Kings College de Londres, qu’il a achevé tout en menant une carrière de consultant en énergie. Il est aussi diplômé de l’université de Cambridge (en ingénierie chimique). Tareq est membre adjoint du projet USA Moyen Orient. Il a contribué par ses écrits à Affaires Étrangères, Sada : engagement de Carnegie pour la paix internationale, le Guardian, le Huffington Post, le Daily Star, Al Ghad et Open Democracy.

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Traduction: Al-Shabaka

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