A Jérusalem, « la guerre de religion » sert de couverture au colonialisme

par Nur Arafeh, le 3 février 2015

Photo:  Mahfouz Abu Turk

Aperçu

Les affrontements croissants entre colons israéliens et Palestiniens de Jérusalem sont les signes avant-coureurs d’une éruption majeure avec des conséquences incalculables. Immédiatement qualifiés de « guerre de religion » par les médias et la droite israélienne, ils sont en fait le résultat de projets israéliens très anciens pour judaïser la ville et la vider de ses habitants palestiniens. Membre politique d’Al-Shabaka, Nur Arafeh analyse les changements majeurs qu’Israël a imposé à Jérusalem et traite de l’abandon effectif par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP)/Autorité Palestiniene (AP) de la population livrée à elle-même. Elle conclut avec des recommandations politiques à l’OLP/AP, aux universitaires et analystes palestiniens et au mouvement de solidarité internationale.1

Le mythe de la guerre de religion

Jérusalem s’est retrouvée sous les projecteurs à cause des récents affrontements entre colons israéliens et Palestiniens de la Mosquée Al Aqsa. Egalement appelée Al Haram al-Sharif ou le Noble Sanctuaire, le complexe comprend Al Aqsa elle même, troisième lieu saint de l’Islam, et le Dôme du Rocher, d’où on dit que le prophète Mohammed est monté au ciel. Les Juifs vévèrent le site parce qu’ils croient que c’était autrefois l’emplacement des anciens temples juifs.

Nombre de Juifs ultra-orthodoxes ont régulièrement violé le statu quo mis en place depuis 1967 en faisant des incursions dans le complexe d’Al-Aqsa et en appelant Israël à construire un troisième temple sur ce qu’ils appellent le Mont du Temple.2 Une vidéo récemment postée sur YouTube par l’Institut du Temple, qui fait partie du soi-disant Mouvement de Fidélité au Mont du Temple et à la Terre d’Israël, représente un troisième temple qui remplace la Mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher

Les récents affrontements entre Palestiniens, colons israéliens, et la police de Jérusalem, ont été émaillés d’horribles agressions comme l’enlèvement et le meurtre en juillet 2014 du jeune Palestinien, Mohammed Abu-Kdheir. Après que Yehuda Glick, personnage clef de l’Institut du Temple et fervent avocat de son projet messianique, ait été soi-disant abattu par un Palestinien, des membres du Mouvement du Mont du Temple ont multiplié les incursions dans la mosquée d’ Al-Aqsa et, le 30 octobre 2014, Israël a interdit, pour la première fois depuis 1967, l’entrée des fidèles dans le complexe. Les tensions à Jérusalem ont atteint leur paroxysme après qu’une attaque menée le 18 novembre 2014 par deux Palestiniens ait tué quatre Juifs et un officier de police druze. Le Nouvel An a commencé avec une mise en garde par le Mufti de Jérusalem contre le projet israélien d’enregistrer la Mosquée Al-Aqsa comme propriété israélienne.

Mais peut-on réellement décrire ceci comme le commencement d’une guerre de religion ? Le conflit politique s’est-il vraiment changé en guerre de croyances ? Selon The Guardian, « C’est à cela que ressemble une guerre de religion ». Un commentateur palestinien d’Al-Hiwar a approuvé. Le député à la Knesset Moshe Feiglin est même allé plus loin en la décrivant comme un combat mondial « contre les forces du mal et l’islam le plus extrême ». Pire, le Mouvement du Mont du Temple inverse la réalité en proclamant que l’un de ses objectifs sur le long terme est de « libérer le Mont du Temple de l’occupation arabe [islamique] », décrivant ainsi les colonisateurs comme des colonisés.

Pourtant, la présentation de ces événements comme une guerre de religion non seulement ignore la réalité du déséquilibre des forces entre le colonisateur et le colonisé, mais échoue aussi à étudier l’histoire et le contexte dans lequel les récents événements se sont déroulés.

Le vieux ciblage de la Mosquée Al-Aqsa par Israël

Le droit religieux juif interdit aux Juifs de prier dans le complexe d’Al-Aqsa ; on attend seulement des Juifs qu’ils vénèrent le site, mais pas qu’ils s’y rendent ou  en prennent possession, de peur de profaner le saint des saints du supposé Temple, et ils sont censés prier au Mur Al-Buraq (renommé le Mur Occidental). Néanmoins, les extrémistes ont très tôt ciblé la Mosquée Al-Aqsa avec l’intention de reconstruire le Temple. En 1982, Meir Kahane, chef du parti d’extrême droite Kach, a défilé sur le complexe avec des projets de construction du Temple sur les ruines d’Al-Aqsa. En 1990, 21 Palestiniens ont été tués et 150 blessés dans des affrontements avec des membres du Mouvement du Mont du Temple qui essayaient d’entrer dans Al-Aqsa et d’y déposer la première pierre du Temple. En 1996, des fouilles et le percement de tunnels près d’Al-Aqsa ont déclenché des violences qui ont abouti à la mort de 70 Palestiniens et de 15 soldats israéliens.

Le gouvernement israélien a également soutenu les efforts pour assurer le contrôle du complexe par les Juifs. Presque la moitié des membres du Likoud soutiennent le Mouvement du Mont du Temple, qui a récemment obtenu un financement du gouvernement. Entre 2008 et 2011, l’Institut du Temple a  perçu 107.000 $ par an du ministère de l’Education, et du ministère de la Culture, des Sciences et des Sports. En 2012, une unité éducative de l’Institut du Temple s’est vu offrir un supplément de 50.000 $ par le ministère de l’Education.

Cependant, on ne devrait pas considérer les actions de groupes spécifiques pour prendre le contrôle d’Al-Aqsa comme des incidents isolés, mais plutôt comme une partie d’un plus vaste projet sioniste pour judaïser Jérusalem et assurer une suprématie juive sur la ville.

Création d’une nouvelle réalité à Jérusalem

Depuis le début de l’occupation en 1967, Israël s’est engagé dans la transformation d’une ville multi-religieuse et multi-culturelle en une ville juive « réunifiée », sous le contrôle et la souveraineté exclusifs d’Israël. Il a rapidement mis en œuvre la judaïsation de la ville grâce à une politique qui impacte l’espace géographique et physique, et dont le but est de combattre la « menace démographique » que représente la population palestinienne.

D’emblée en 1967, Israël a illégalement annexé 70 km² de la Cisjordanie, dont Jérusalem Est (6,5 km²), afin de maximiser la zone de terre expropriée tout en minimisant le nombre de Palestiniens. Il a aussi rasé les quartiers arabes de Bab al-Magharbeh et Harat al-Sharaf pour construire le Quartier juif, l’esplanade du Mur Al-Buraq, des maisons pour les colons et des synagogues. Israël a par ailleurs remodelé le paysage physique de Jérusalem en construisant un anneau de colonies autour de la ville, reliées à des routes de contournement pour assurer une continuité géographique avec les autres colonies israéliennes de Cisjordanie.3

La fragmentation physique et politique de Jérusalem qui s’en est suivie est allée de concert avec l’isolement économique bien avant qu’Israël ne s’embarque en 2002 dans la construction du Mur d’Apartheid, qui a redessiné les frontières loin de la ligne d’armistice d’avant 1967. La construction du Mur a été délibérément prévue pour passer à l’intérieur de la ville et en exclure des zones peuplées de Palestiniens afin d’y assurer une majorité juive.

Afin de traiter la « menace démographique » représentée par les Palestiniens, Israël a désigné les Palestiniens vivant à Jérusalem comme des « résidents permanents » – statut civil généralement réservé aux citoyens étrangers et qui ne garantit pas les droits de séjour. Sur cette base, les cartes de résidents sont souvent révoquées. Entre 1967 et 2013, Israël a révoqué les cartes d’identité de plus de 14.309 résidents palestiniens. Selon la Loi d’Amendement Temporaire de Citoyenneté et d’Entrée en Israël de 2003 (amendée en 2005 et en 2007), les citoyens de Cisjordanie mariés à des résidents de Jérusalem ne sont pas qualifiés pour le statut de résidents et n’obtiennent que des permis temporaires , à titre exceptionnel. A l’opposé, les Juifs qui immigrent pour vivre à Jérusalem obtiennent immédiatement la citoyenneté, ce qui reflète le caractère d’apartheid du régime israélien.

Tout en renforçant la présence des Juifs à Jérusalem, Israël souhaite maîtriser l’expansion urbaine et démographique des Palestiniens, au moyen d’ une politique de zonage urbain conforme à du nettoyage ethnique. Plus d’un tiers des quartiers palestiniens a été classé en « zones de paysage ouvert » où toute construction est interdite, ne permettant des constructions palestiniennes que sur seulement 14 % de la terre de Jérusalem Est, provoquant ainsi une crise aiguë du logement. Par ailleurs, depuis 1967, Israël a détruit 1.673 logements, affectant environ 8.000 personnes entre 1967 et 2013. Avec la mise en vigueur de toutes ces réglementations, Israël cherche à atteindre le ratio de 30 % d’ « Arabes »  et de 70 % de Juifs à l’intérieur de la municipalité de Jérusalem.

La politique discriminatoire d’Israël est également visible dans les différences d’attribution de services entre les quartiers arabes et les quartiers juifs. Moins de 10 % du budget municipal est alloué aux districts palestiniens, même si les Palestiniens paient le même montant d’impôt « arnona  » (de propriété) que les citoyens juifs.

La judaïsation s’est accompagnée d’une « dé-palestinisation » pour éradiquer l’identité palestinienne de Jérusalem. Par exemple, la rue Sultan Suleiman al-Qanuni (sultan de l’empire ottoman) a été renommée rue du Roi Salomon, et le district de Wadi Hilweh à Silwan a été renommé « la cité de David ». Par ailleurs, des rues sans nom dans les zones palestiniennes ont récemment reçu des noms arabes dépourvus de connotations politiques et nationales. Ce processus de ré-appellation est en lien avec la réécriture de l’histoire conformément aux préceptes du sionisme, processus selon lequel l’archéologie et les fouilles sont exploitées pour créer une histoire juive fictive de la ville, tandis que l’héritage des autres zones est ignoré.

Le contrôle du récit historique par Israël s’étend au système éducatif. Depuis mars 2011, Israël a tenté d’imposer aux  écoles palestiniennes  percevant des aides provenant des autorités israéliennes à utiliser des manuels scolaires préparés par l’Administration de l’Education de Jérusalem (jusqu’ici, cinq ont obtempéré). Ces livres présentent aux élèves palestiniens une histoire unilatérale et censurent tout sujet en lien avec l’identité et l’héritage palestiniens.

Les institutions palestiniennes de Jérusalem ont également été visées pour éradiquer le militantisme palestinien dans la ville. Depuis 2011, Israël a fermé au moins 31 institutions palestiniennes, dont la Maison d’Orient, ancien quartier général de l’OLP, et la Chambre de Commerce et d’Industrie.

Parmi les autres étapes de dé-palestinisation de Jérusalem, on trouve le dernier plan « de développement » socio-économique sur cinq ans des zones palestiniennes, approuvé en juin 2014 par le conseil des ministres israélien. Ce plan met l’accent sur les énormes différences d’infrastructures, d’éducation et d’emploi entre les quartiers palestiniens et juifs, en tentant apparemment d’encourager l’intégration des Palestiniens en Israël et d’améliorer la sécurité en contrecarrant la « violence » et les « jets de pierres ».

En d’autres termes, le pseudo développement n’est qu’un outil pour renforcer le contrôle de Jérusalem par Israël et pour réprimer la résistance des Palestiniens à l’occupation israélienne. Ainsi, on ne cherche certainement pas à évaluer la détérioration des conditions socio-économiques des Palestiniens à Jérusalem, ni le taux extrêmement élevé de pauvreté (75 % des résidents palestiniens sous le seuil de pauvreté israélien, l’effondrement des secteurs du commerce et du tourisme, le manque d’investissements, l’épuisement des services de santé et d’éducation, les taux élevés de chômage (16,7 % en 2014), et le coût élevé du coût de la vie.

Dans ce contexte, on devrait considérer les affrontements des Palestiniens avec les Juifs israéliens comme des actes de résistance et de désespoir dans le cadre de la plus grande lutte historique des Palestiniens contre l’occupation, l’apartheid, le nettoyage ethnique, le vol des terres, la dépossession, les déplacements forcés et la marginalisation économique. L’intensification récente des incursions à Al-Aqsa et les appels à la construction d’un troisième temple ont simplement rallumé les braises de ces tensions qui couvaient. Mettre l’accent sur la dimension religieuse pendant cette récente agitation tout en négligeant ses causes profondes ne conduirait qu’à de nouveaux violents affrontements et à des éruptions d’une magnitude sans précédent. La religion est exploitée  en faveur  des objectifs politiques et nationaux d’Israël, et conforte sa politique coloniale d’apartheid.

L’absence de leadership laisse les Palestiniens impuissants

Il faut considérer les derniers heurts de Jérusalem, au cours de laquelle les Palestiniens ont eu recours à de nouvelles formes de résistance telles que l’utilisation de véhicules et de feux d’artifices, dans le contexte plus large d’une ville qui manque de leadership politique. L’Autorité Palestinienne a fait preuve d’un réel manque d’investissement sincère à Jérusalem depuis la signature en 1993 de la Déclaration de Principes à Oslo, dont l’AP fut elle-même un produit. C’était déjà une évidence lorsque l’OLP a accepté de différer la question de Jérusalem jusqu’aux négociations sur le statut final des Territoires Palestiniens Occupés (TPO). Tandis que l’OLP/AP est étroitement accrochée au grotesque processus de paix, Israël a enraciné son occupation et son contrôle sur Jérusalem.

Divergeant clairement de sa rhétorique de soutien, l’AP alloue un budget négligeable à la ville. Le budget total alloué au ministère des Affaires de Jérusalem et au Gouvernorat de Jérusalem était d’environ 15 millions $ en 2014, ce qui représente 0,4 % des dépenses budgétaires de l’AP cette année là. Comparez cette allocation budgétaire honteusement insignifiante avec le capital supposé de l’État palestinien et ses 27 % du budget alloués au secteur de la sécurité la même année. En plus, la majeure partie de ce budget est versée dans les zones de Jérusalem qui tombent sous l’administration palestinienne et de l’autre côté du Mur. Des lieux tels que Shu’fat et Beit Hanina qui se trouvent à l’intérieur des frontières municipales israéliennes de Jérusalem reçoivent rarement quelque financement que ce soit.4

Ce maigre budget est la principale raison qui a poussé Hatem Abdel-Qader à démissionner promptement 40 jours après sa nomination en tant que premier ministre des Affaires de Jérusalem en 2009. Il faisait remarquer que « le gouvernement palestinien faillit au respect de ses engagements envers la ville, qui subit une période difficile ». Un autre intellectuel palestinien, qui a servi de représentant de l’AP à Jérusalem, a également avancé que : « La conduite de l’AP n’a jamais été conforme à ses buts déclarés. Elle a constamment failli à concrétiser les nombreuses études et projets faits pour la ville. »5

Tandis qu’Israël transforme sa vision de Jérusalem en réalité grâce à de nombreuses décisions politiques et plans directeurs (2020, 2030 et 2050), une stratégie cohérente pour l’avenir de la ville par le leadership palestinien n’existe toujours pas. C’était déjà visible dans l’omission d’un plan de développement pour Jérusalem dans le Plan National de Développement 2014-2016. Bien qu’il soit vrai que ce document fasse référence au Plan de Développement Stratégique Multi-secteurs pour Jérusalem Est (PDSM) 2011-2013 émis par l’Unité Jérusalem au Bureau du Président, le PDSM a été publié en 2010 et nécessite une mise à jour. Par ailleurs, l’Unité Jérusalem elle même, qui recevait auparavant la majeure partie des financements pour Jérusalem, a été fermée en 2010.6

Encore plus significatif, l’approche de développement utilisée dans le PDSM déconnecte le développement des réalités politiques et coloniales ; elle réduit le combat des Palestiniens à celui de la « survie » au lieu de la liberté et prend pour acquise l’occupation israélienne au lieu de chercher à y mettre fin. Comme le dit la partie introductive du PDSM : « Comment l’OLP peut-elle aider les Palestiniens de Jérusalem à survivre et à prospérer dans le contexte existant afin d’avoir un fondement solide pour la capitale de leur futur Etat palestinien ? » (C’est moi qui souligne)

Le manque d’intérêt officiel sincère pour la ville, l’émergence de Ramallah comme capitale de facto, et l’absence de leadership politique palestinien à Jérusalem laisse aux Palestiniens un sentiment d’abandon et de rancoeur envers l’OLP/AP. Le président de l’AP Mahmoud Abbas continue à user de belles paroles envers les Palestiniens de Jérusalem tout en refusant de mettre fin à la collaboration sécuritaire avec Israël ou de soutenir les moyens non-violents de résistance tels que le boycott des produits israéliens.

En attendant, Israël a répliqué aux manifestations et à la résistance palestinienne sans leader avec une force caractéristique qui comporte la confiscation des terres, les démolitions de maisons, et des punitions collectives telles que des incursions brutales dans les maisons, le déversement d’eau putride dans les quartiers et les arrestations massives. Par exemple, entre juin et septembre 2014, environ 700 Palestiniens ont été arrêtés à Jérusalem, dont la majorité étaient des enfants, selon l’association Addameer pour les Droits de l’Homme.7 Les colons israéliens qui commettent des crimes brutaux contre les Palestiniens ne subissent aucune peine. En réalité, le gouvernement israélien a allégé les restrictions sur les armes et a augmenté le financement pour la protection des colons à Jérusalem – preuve supplémentaire de la discrimination institutionnalisée à laquelle sont soumis les Palestiniens.

Protéger Jérusalem et ses Palestiniens

Les remous actuels à Jérusalem sont le résultat de l’assujettissement colonial, de la discrimination institutionnalisée, de la dépossession et de l’installation des faits sur le terrain par Israël pour s’assurer qu’il maintient sa suprématie sur la ville. Il faudrait donc résister aux projets d’Israël localement et internationalement, avant tout en augmentant leur coût pour Israël. Le système d’apartheid d’Afrique du Sud n’a commencé à s’effilocher que lorsque le coût de préservation de la suprématie blanche est devenu trop lourd à supporter.

Avant tout, les Palestiniens ont besoin d’un leadership dynamique qui propulse le statut de Jérusalem au premier plan des engagements du gouvernement et au coeur du combat national de toute urgence. Il est vital que les Palestiniens aient une vision claire de Jérusalem pour contrer la vision israélienne qui prévaut. L’information et la communication sont des outils essentiels pour contrer la réécriture de l’histoire par Israël et l’étouffement du récit palestinien.

En particulier, le leadership palestinien devrait affronter les tentatives israéliennes de présentation de sa politique coloniale sous des termes religieux et devrait rappeler au monde que les questions fondamentales sont celles de l’occupation, de la dépossession et du vol de la terre. Il est impératif de défier la puissance du discours israélien en révélant ses records honteux d’oppression à Jérusalem et dans le reste des territoires occupés. L’OLP/AP devrait elle aussi davantage s’appuyer sur le statut durement gagné dans les organisations internationales telles que l’UNESCO pour entreprendre des démarches juridiques pour protéger Al-Aqsa et la Vieille Ville de Jérusalem.

Deuxièmement, les universitaires et les analystes politiques peuvent jouer un rôle essentiel en mettant Jérusalem au premier plan. A ce jour, les intellectuels palestiniens ont été orientés vers l’analyse du développement socio-économique en Cisjordanie et, dans une certaine mesure, dans la Bande de Gaza, au détriment d’un débat à propos de Jérusalem. Les Palestiniens doivent mettre Jérusalem en avant dans leur discours et avancer au-delà d’un simple diagnostic des problèmes pour inventer des solutions. Le concept de développement sous occupation a lui-même besoin d’être revu et redéfini comme une forme économique, politique et sociale de résistance intégrée dans une plus large lutte historique des Palestiniens pour l’autodétermination, la liberté et la justice.

Enfin, le boycott local des produits et des services israéliens est un moyen vital de résistance à l’occupation israélienne. Non seulement c’est un devoir moral pour tout Palestinien, mais par ailleurs, le boycott des produits israéliens augmente le coût du système d’apartheid d’Israël et renforce la capacité productive de l’économie palestinienne. Parallèlement, il faut réfléchir aux moyens de développer une économie palestinienne capable de résister à l’intégration et à la dépendance à l’économie israélienne et qui puissent établir les fondations d’une base politique solide d’où puisse émerger une société émancipée et autodéterminée.

Au niveau international, il faudrait maintenir et intensifier le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) et la pression qu’il impose sur Israël dan le monde entier. Les pays arabes doivent s’engager de façon significative pour isoler Israël dans ses desseins sur Jérusalem et ses multiples violations des droits de l’Homme.

Sans des efforts concertés des Palestiniens avec le soutien des Arabes et de la communauté internationale pour faire observer les droits des Palestiniens à Jérusalem, les petits incendies actuels dans la ville pourraient se transformer en une explosion dommageable pour l’héritage palestinien et arabe de la ville et pour la présence des Palestiniens de Jérusalem dans la ville de leurs ancêtres.

Notes :

1. Al-Shabaka publie tous ses textes à la fois en anglais et en arabe (voir le texte arabe ici). Pour lire cet article en français ou en italien, SVP cliquez ici, ou ici. Al-Shabaka est reconnaissant envers les défenseurs des droits de l’Homme pour la traduction de ses textes en français et en italien, mais n’est pas responsable de tout changement possible du sens.

2. A la suite de l’occupation et de l’annexion illégale de Jérusalem Est par Israël en 1967, le contrôle de la mosquée et du Noble Sanctuaire a été transféré à un -waqf- (fiducie) islamique jordanien. L’accord Wadi Araba de 1994 entre la Jordanie et Israël a prévu la tutelle de la Jordanie sur tous les sanctuaires sacrés de Jérusalem.

3. Deux plans ont été spécifiquement élaborés dans ce but : Le Projet de Grand Jérusalem prévoyait la création d’un « plus grand Jérusalem » s’étendant sur une surface de 600 km², et le plan E1 demandait l’expansion de la colonie de Ma’ale Adumim pour assurer sa connexion avec Jérusalem. L’un et l’autre plans provoqueraient une discontinuité géographique entre le nord et le sud de la Cisjordanie et isoleraient encore plus l’est de Jérusalem du reste du Territoire Palestinien Occupé.

4. Interview de l’auteure.

5. Sauf autre mention, toutes les citations sont issues d’interviews menées par l’auteure en 2014.

6. Interview de l’auteure.

7. Interview de l’auteure.

Nur Arafeh

Nur Arafeh est membre politique d’Al-Shabaka, le Réseau Politique Palestinien. Elle travaillait auparavant comme chercheur à l’Institut Ibrahim Abu-Lughod d’Etudes Internationales à l’université de Birzeit, comme chercheur associé à l’Institut de Recherche de Politique Economique de Palestine (MAS), et comme professeur de sciences économiques au Collège Bard Honors d’Al-Quds, université d’Al-Quds. Nur a une double licence en sciences politiques et en économie de Sciences Po (France) et de l’université Columbia (USA), et elle a obtenu une maîtrise de philosophie en Etudes de Développement de l’université de Cambridge (GB). Ses principaux centres d’intérêt comportent l’économie politique de développement au Moyen Orient, la sociologie et la politique de développement, et les formes économiques de résistance.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Al-Shabaka

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