En assiégeant les Palestiniens, Israël s’est assiégé lui-même

Par Mariam Barghouti, 13 novembre 2018

Un nouveau cycle de violence s’est engouffré à Gaza. Après une opération de renseignements sabotée dans laquelle un officier israélien a été tué ainsi que sept membres palestiniens du Hamas, le Hamas a répondu à l’incursion israélienne en lançant des roquettes sur Israël.

Israël a immédiatement forgé une histoire de défense. L’armée israélienne a raconté que l’opération qui a déclenché cette série d’attaques n’était « pas faite pour tuer ou enlever des terroristes, mais pour renforcer la sécurité d’Israël ». Et un bus que le Hamas ciblait n’était pas plein de soldats mais de « civils ». Certaines agences israéliennes ont même tweeté une photo datant de 2015 qui, ça tombait très bien, montrait quelques civils alentour.

Tromperie accrue ici quand Israël essaie de faire croire qu’il s’agit d’un « bus civil », alors même que la vidéo montre qu’il faisait partie d’un convoi militaire, en utilisant l’image de l’incendie d’un bus près de Jérusalem plusieurs années plus tôt.

Un bus israélien frappé par une roquette du Hamas depuis Gaza. Le Hamas continue à cibler les civils israéliens, plutôt que d’aider la population de Gaza.

Pour nous Palestiniens, cette façon qu’a Israël de nous dépeindre nous est bien trop familière. Qu’il s’agisse du Hamas ou d’enfants palestiniens, la menace est toujours imminente et c’est toujours la faute des Palestiniens.

Nous sommes assiégés par des murs. Mais les Israéliens sont assiégés par des fictions – à notre sujet.

C’est vrai que des roquettes sont tirées par le Hamas vers Ashkelon. Et pourtant, le récit israélien s’est immédiatement écarté de cette réalité, à la fois de sa propre opération militaire israélienne ratée et, plus largement, du contexte historique des attaques sur Gaza.

C’est à dessein.

Cela demande beaucoup de travail à Israël de se présenter constamment comme une victime. Les FDI ont un budget de 17 milliards de dollars, après tout. La prouesse militaire est une des principales exportations d’Israël, atteignant un record de 9 milliards de dollars l’année dernière.

Pourtant, cet effacement de la puissance militaire d’Israël par rapport aux Palestiniens fait partie intégrante du déni systématique plus vaste – du fait que les Palestiniens vivent en état de siège.

La ville de Gaza vit sous un siège long d’une décennie qui l’a transformée en une prison à ciel ouvert. La Cisjordanie est de plus en plus asphyxiée par l’accélération de la colonisation illégale israélienne. Et même les Palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne sont criminalisés par leur identité palestinienne et traités comme des citoyens de seconde et troisième zone.

En tant que Palestinien, je ne sais que trop à quel point il est suffocant de vivre en Palestine. L’un des aspects les plus frappants et douloureux dans l’accomplissement des routines quotidiennes alors qu’on est sous occupation, c’est cette impression d’être bloqué et isolé. Je ne peux me déplacer dans aucune direction pendant une demie heure sans rencontrer un checkpoint israélien et des soldats en armes qui exigent de voir mes papiers d’identité, parfois fouillant à corps les Palestiniens et, à certaines occasions, nous attaquant même mortellement sous prétexte de défense sécuritaire. Il est tout aussi difficile de voyager hors de Palestine ; Israël contrôle les points de sortie ainsi que la question des documents et des visas.

Et puis, il y a le mur, autre exemple des tentatives d’Israël pour faire passer son agression pour de la défense. Pour le dire objectivement, c’est un mur qui renforce un système d’apartheid entre Israéliens et Palestiniens. Du côté palestinien du mur, Juifs israéliens et Palestiniens – même ceux qui ont la citoyenneté israélienne – dépendent de deux systèmes juridiques différents et sont fondamentalement inégaux au regard de la loi.

Cela n’empêche pas le ministère israélien des Affaires étrangères de l’appeler « barrière de sécurité ». En réalité, la violence du mur repose sur cette fonction.

Car le mur ne fait pas qu’enfermer les Palestiniens. Il enferme les citoyens israéliens hors de la vérité sur ce que fait leur gouvernement. Il protège les Israéliens, non seulement des Palestiniens, mais aussi du regard porté sur ce à quoi ressemble l’occupation – et même de sa simple existence.

C’est un mur, mais c’est aussi un masque. Le côté israélien du mur d’apartheid est soigneusement dissimulé derrière des arbres et de fresques colorées, servant de voile à Israël, un siège mental qui garantit que les Israéliens en tant que population ne sont pas confrontés au produit de leur oppression.

En d’autres termes, ce rideau est stratégiquement disposé pour, non seulement faire obstacle aux Palestiniens, mais aussi cacher à la population israélienne ce qui nous arrive à nous Palestiniens.

C’est intentionnel et stratégique, comme les grandes signalétiques rouges installées par le gouvernement israélien qui mettent en garde les citoyens israéliens d’entrer dans les zones palestiniennes, représentant un « danger pour [leurs] vies ».

Mes amis et moi, lorsque nous roulons à travers la Cisjordanie, nous rions, souvent à contrecoeur, en reconnaissant à quel point ces signes sont tragiques. Non seulement ils nous déshumanisent et nous réduisent à l’état de monstres, mais ils ne font aucune référence à l’occupation.

Mais ils sont là pour une raison. Ils renforcent le discours d’Israël comme quoi ses citoyens (juifs) sont assiégés par des monstres, et ils cachent la réalité de l’occupation à quiconque pourrait la remettre en question.

C’est une seule et même chose. Car la violence perpétrée contre nous dépend du discours qui la nie.

Et c’est ainsi que notre réel état de siège pousse la société israélienne dans son propre blocus métaphorique.

Ce que fait le gouvernement israélien, c’est filtrer l’accès à la réalité, comme le font les régimes autoritaires de notre époque, remodelant ses propres actions pour qu’elles s’accordent à une image de défense, de sauvegarde, de stabilité nationale et de sécurité.

Et, comme ces autres régimes, Israël ne fait pas qu’exercer de la violence et des violations sur les Palestiniens qu’il opprime. Il crée ainsi toute une société qui s’enferme dans un état de déni, renforcé par un kaléidoscope d’excuses qui vont de la déshumanisation de l’autre à l’appui sur des traumatismes historiques, à son propre isolement et à la mise à l’écart de toute perspective de réflexion personnelle.

Cela devient si routinier et les horreurs sont si bien cachées que les nouvelles générations commencent simplement à agir, sans questions ni souvenirs sur le passé sanglant, sauf à travers les lentilles des batailles victorieuses et des honorables soldats.

Ce qu’on laisse aux nouvelles générations, ce sont les drapeaux israéliens qui entourent leurs maisons – tandis que les drapeaux palestiniens sont interdits et criminalisés – et un héritage impératif de « se protéger ».

Il n’y a pas de contexte contre lequel ils se protègent, si ce n’est la peur angoissée des monstres derrière le mur. Et quand les Palestiniens se soulèvent ou protestent, pour les Israéliens, il s’agit d’une attaque personnelle contre eux, pas de l’occupation qu’ils soutiennent.

Pour la Cisjordanie et Gaza, le siège est absolument visible et concret. Il est là pour nous  rappeler que nous sommes sous contrôle israélien.

Mais du côté israélien, c’est plus subtil ; il est là pour que les Israéliens oublient.

C’est cette dissimulation et cet oubli qui sont le point de départ de la politique israélienne, du mur d’apartheid au dernier projet de loi Etat-Nation.

Et on peut très bien voir que cela ne blesse pas que nous. Cet isolement transcende les Palestiniens. C’est facile à voir quand Israël interdit l’entrée aux militants de la solidarité, même lorsqu’ils sont juifs. Ou quand la politique israélienne s’exporte à l’étranger pour empêcher des militants de s’exprimer contre les violations des droits de l’Homme mises en œuvre par Israël. On le voit dans le ciblage de militants par des sites tels que la Mission Canary qui découvre des militants qui promeuvent « la haine ». Ces méthodes exportent la mentalité de siège.

Ceci non plus n’est pas choquant. L’autoritarisme est en hausse ; ce que les Israéliens exportent est en forte demande.

Les Israéliens doivent être assez courageux pour se remettre en question et sincèrement réfléchir à ce qu’ils doivent préserver et ce pour quoi ils doivent se battre. De nombreux Israéliens ont dépassé ces justifications, prenant la responsabilité de choisir de ne pas rester dans le déni. D’autres peuvent aussi rejoindre ce processus de désapprentissage et affronter sincèrement la réalité qu’ils ont construite. Même quand le dernier Palestinien sera parti, Israël aura quand même perdu.

Il est de la plus grande importance pour les Israéliens de mettre au défi leur propre état de siège, pas seulement pour la sauvegarde des Palestiniens, mais pour la sauvegarde de leur propre humanité.

Mariam Barghouti est une écrivaine qui vit à Ramallah.

Les idées et opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Forward.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : The Forward

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