Comment ont évolué les tendances de la cause palestinienne depuis 1967

 

Photo : Mahfouz Abu Turk

Par Nadia Hijab et Mouin Rabbani – Al Shabaka, le 5 juin 2017

La cause palestinienne aujourd’hui, à certains égards, est revenue là où en elle était avant la guerre de 1967. Il est intéressant de retracer cette trajectoire pour comprendre comment elle est arrivée à la situation actuelle, et se faire une idée, partant de là, sur vers quoi elle se dirige.

Un regard en arrière

À la veille du 5 juin 1967, les Palestiniens sont dispersés à travers Israël, la Cisjordanie sous gouvernement jordanien (dont Jérusalem-Est), la bande de Gaza administrée par l’Égypte, et les communautés de réfugiés en Jordanie, Syrie, au Liban, et au-delà. Leurs aspirations au salut et à l’autodétermination sont rattachées aux promesses des dirigeants arabes de « libérer la Palestine » – se référant alors à ces parties de la Palestine mandataire devenues Israël en 1948 – et en particulier, à celles du dirigeant charismatique égyptien, Gamal Abdel-Nasser.

La guerre des Six-Jours, qui aura pour résultat l’occupation par Israël de la Cisjordanie palestinienne, de Jérusalem-Est, de la bande de Gaza, du plateau du Golan syrien, et de la péninsule égyptienne du Sinaï, apporte des changements dramatiques à la géographie du conflit. Elle provoque également un changement radical dans le corps politique palestinien. Rompant nettement avec les décennies précédentes, les Palestiniens deviennent maîtres de leur propre destin, et non plus les spectateurs des décisions régionales et internationales qui affectent leur vie et décident de leur sort.

L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), qui a été créée en 1964 sous l’égide de la Ligue arabe lors de sa première réunion au sommet, est prise en main en 1968-1969 par les groupes de guérilla palestiniens qui se sont organisés clandestinement depuis les années 1950, avec le Fatah (le Mouvement de libération national palestinien) à leur tête. La défaite arabe de 1967 crée un vide dans lequel les Palestiniens sont en mesure de reprendre la main sur la question de la Palestine, de transformer les parties dispersées de la population palestinienne en un peuple unifié et en un acteur politique, et de placer la cause palestinienne au cœur du conflit arabo-israélien.

En tant que réalisation la plus importante peut-être de l’OLP, c’est ce qui maintiendra l’esprit de la quête palestinienne pour l’autodétermination, en dépit des innombrables blessures infligées par Israël et certains États arabes – et en dépit aussi des blessures auto-infligées. Les revers essuyés par l’OLP sont nombreux, alors même qu’elle réussit à mettre la question palestinienne en haut de l’agenda international. Il est intéressant de réexaminer les succès et les défaites de l’OLP afin de bien comprendre comment le mouvement national palestinien est arrivé là où il est aujourd’hui.

La première victoire de l’OLP sème en même temps les graines d’une défaite. La bataille de Karameh en Jordanie, en 1968, dans laquelle les guérilleros et l’armée jordanienne repoussent une force expéditionnaire israélienne bien supérieure, apporte de nombreux adeptes palestiniens et arabes au mouvement, des réfugiés, des guérilleros, ou des entrepreneurs, couvrant tout le spectre politique. En même temps, la menace implicite pour la monarchie hachémite est claire, et les relations palestiniennes avec la Jordanie empirent au point  que l’OLP est expulsée de Jordanie pendant Septembre noir, en 1970. Cela signifie en réalité que l’OLP n’a plus d’option militaire crédible contre Israël, en supposant qu’elle en ait eu une. Même si les Palestiniens peuvent maintenir une présence militaire importante au Liban, jusqu’en 1982, ce n’est qu’un piètre succédané pour la plus longue frontière arabe avec la Palestine historique.

Durant la guerre d’Octobre 1973, l’Égypte et la Syrie remportent des victoires partielles contre Israël mais subissent aussi de graves revers, ce qui démontre que les États arabes, eux aussi, n’ont que des options militaires limitées contre Israël. À la même époque, le mouvement national palestinien atteint son apogée internationale avec le discours du défunt dirigeant palestinien Yasser Arafat à l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1974, avec une OLP maintenant reconnue comme le seul représentant légitime du peuple palestinien. Cette année-là, l’OLP jette les bases d’un règlement à deux États quand son parlement, le Conseil national de Palestine, adopte un plan en dix points pour l’instauration d’une « autorité nationale » sur la partie de la Palestine qui est libérée.

Le processus est nécessairement douloureusement lent, car il conduit la majorité des Palestiniens à reconnaître qu’un éventuel État palestinien ne s’établira plus sur tout l’ancien Mandat britannique. À partir de 1974, l’acceptation de la réalité d’Israël en tant qu’État, et la création d’un État palestinien sur la Cisjordanie, avec Jérusalem-Est, et la bande de Gaza, deviennent peu à peu l’objectif du mouvement national palestinien

1977. La visite du défunt président égyptien, Anwar El-Sadate, à Jérusalem en 1977, qui aboutira aux Accords de Camp David en 1979 et au retrait d’Israël de la péninsule du Sinaï qui s’achèvera en avril 1982, ouvre la voie à l’invasion du Liban par Israël cette même année. Le premier objectif d’Israël est de chasser l’OLP du pays, et de consolider l’occupation permanente du Territoire palestinien occupé (TPO). Une fois le plus puissant des États arabes hors du conflit, la capacité de l’OLP à parvenir à un règlement à deux États devient sérieusement circonscrite, et le conflit arabo-israélien se métamorphose graduellement en un conflit israélo-palestinien, infiniment plus avantageux pour Israël.

Alors que l’OLP tente de se regrouper en Tunisie et dans d’autres pays arabes, l’un des plus grands défis pour Israël émerge de l’intérieur des TPO, avec le déclenchement de la Première Intifada en décembre 1987, dirigée en grande partie par un commandement local. Elle vient ressusciter l’option d’une confrontation pouvant être victorieuse contre Israël, sur la base d’une mobilisation de masse, non violente, et à une échelle jamais vue depuis la fin des années 1930.

Malgré tout, l’OLP se révèle incapable de tirer parti du succès local et général de la Première Intifada. Finalement, la direction exilée de l’OLP met ses propres intérêts, principalement son ambition pour un appui occidental et particulièrement américain, au-dessus des droits nationaux du peuple palestinien comme exprimés dans la Déclaration d’Indépendance de 1988, adoptée à Alger.

Ces contradictions deviennent ambiguës quand la direction palestinienne doit faire le choix entre, soutenir la position de négociation de la délégation palestinienne à Washington qui insiste pour un moratoire total sur l’activité de colonisation israélienne comme condition préalable à un arrangement de transition pour une autonomie, et des négociations secrètes avec Israël qui lui apportent beaucoup moins mais qui restaurent sa pertinence internationale dans le sillage du conflit du Koweït en 1990-1991. Conformément aux Accords d’Oslo de 1993, l’OLP reconnaît Israël et son « droit d’exister en paix et en sécurité » dans le cadre d’un document qui se dispense d’évoquer l’occupation, l’autodétermination, l’État palestinien, et le droit au retour. Sans surprise, les décennies qui suivent vont connaître une accélération exponentielle du colonialisme de peuplement par Israël, et l’autodestruction effective des dispositions relatives à l’autonomie spécifiées dans les différents accords israélo-palestiniens.

Tourné vers l’avenir

À certains égards, la situation aujourd’hui boucle la boucle, et ce depuis 1967. Le mouvement national palestinien largement unifié qui a prédominé des années 1960 aux années 1990 s’est désintégré, peut-être définitivement. Actuellement, il est déchiré entre le Fatah et le Hamas, ce dernier étant comme le Jihad islamique toujours exclu de l’OLP, pendant que règnent les divisions entre Fatah et OLP. Les Palestiniens à Gaza souffrent atrocement sous une décennie d’un blocus israélien qui va en s’empirant en raison de la pression de l’Autorité palestinienne (AP) et des Israéliens sur le Hamas. Les Palestiniens dans les camps de réfugiés, en Syrie et au Liban, souffrent énormément des conflits civils en Syrie et du morcellement antérieur de l’Iraq, ainsi que des conflits dans les camps entre les différents groupes.

Quant à Israël, 1967 l’a transformé d’État régional en puissance régionale. Il est pressé de normaliser ses relations avec l’Arabie saoudite et les États arabes du Golfe, se servant de l’Iran comme d’un croquemitaine pour nourrir ces relations. À son tour, il veut utiliser cette alliance pour imposer un accord aux Palestiniens qui perpétuera réellement sa domination, en concluant un traité de paix final par lequel il gardera le contrôle sécuritaire sur tous les TPO, il y maintiendra ses colonies de peuplement, et il continuera de les coloniser.

Mais des obstacles perdurent sur le chemin d’Israël vers la légitimation de son occupation, obstacles qui laissent la porte ouverte à un mouvement palestinien et à une stratégie pour obtenir les droits et la justice. Ce n’est pas rien que, pendant toute une période d’un demi-siècle, aucun État n’ait officiellement approuvé l’occupation israélienne du territoire palestinien – et syrien. Si les gouvernements européens, par exemple, craignent que d’agir ainsi mette en danger leurs relations avec les autres États de la région, ils sont aussi parmi les plus engagés à faire respecter un ordre international basé sur le droit ; les souvenirs de la Première et de la Deuxième Guerres mondiales ne sont pas oubliés. De sorte qu’ils ne peuvent reconnaître l’occupation israélienne, même s’ils faillissent à défier Israël comme ils ont affronté l’occupation russe de la Crimée.

De plus, l’élection de Donald Trump comme président des États-Unis, alors que le Royaume-Uni vient de voter, l’an dernier, son retrait de l’Union européenne, accélère la détermination de l’Union européenne à consolider sa puissance économique et politique et à réduire sa dépendance à l’égard des USA pour sa protection. Ceci fournit une occasion aux Palestiniens de renforcer les modestes mesures de l’UE, telles que d’interdire le financement d’une recherche pour les entreprises coloniales israéliennes, d’étiqueter les produits des colonies, et de pousser à faire la différence entre Israël et son entreprise coloniale, en s’appuyant sur le langage de la Résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, de décembre 2016.

Israël est aussi confronté à une résistance là où il ne s’y attendait pas. Alors que le mouvement national palestinien s’affaiblit, le mouvement mondial de la solidarité avec la Palestine, notamment le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) dirigé par les Palestiniens et lancé en 2005, a rapidement prospéré, particulièrement à la suite des agressions répétées d’Israël contre la bande de Gaza. Ceci contraste avec la situation des années 1970 et 1980 où les opinions occidentales tendaient à soutenir largement Israël. Israël repousse férocement ce mouvement en amalgamant la critique d’Israël avec l’antisémitisme, et en incitant la législation aux États-Unis et en Europe à interdire les initiatives de boycott. Cependant, il n’a pas encore réussi à bloquer le débat ou à empêcher les groupes confessionnels et étudiants aux USA de soutenir des activités de solidarité avec le peuple palestinien.

La capacité d’Israël à s’y opposer se trouve aussi affaiblie à cause d’une troisième tendance qui est entièrement de sa fabrication. Le fait qu’il ait pu violer le droit international, sans être contesté, dans son occupation des territoires palestiniens comme de ses propres citoyens palestiniens, conduit à des excès. Même la détermination de Trump à « faire un accord » qui donnerait certainement à Israël de vastes étendues de terres palestiniennes et un contrôle sécuritaire permanent risque de buter contre le mouvement de la droite, de plus en plus puissant, qui rejette sur le principe toute concession aux Palestiniens.

En effet, le nombre croissant de ce qui peut être décrit que comme des lois racistes dénonce non seulement ses actes actuels, mais aussi ceux de la période d’avant et d’aussitôt après 1948. Par exemple, pour n’en citer que quelques-uns, la loi sur la citoyenneté et la famille qui est renouvelée tous les ans depuis 2003 dénie aux citoyens palestiniens d’Israël le droit d’épouser un-e Palestinien-ne des TPO, comme de plusieurs autres pays ; la destruction permanente des villages palestiniens, tant en Israël qu’en Cisjordanie ; et la loi pour légaliser rétroactivement le vol de la terre privée palestinienne en Cisjordanie. Tout ceci fait qu’il est impossible de prétendre qu’Israël partage les valeurs universelles ou « occidentales », telles que la primauté du droit et l’égalité.

Un bon indicateur de l’impact de ce qui se révèle ainsi est l’accroissement rapide du nombre de juifs non-israéliens s’éloignant de plus en plus d’Israël, incluant des organisations comme Une Voix juive pour la paix. Quand ils viennent à s’exprimer, les accusations pro forma d’antisémitisme contre eux sont facilement détournées, et ils stimulent les autres à prendre des positions similaires.

Un autre domaine où Israël est allé trop loin, c’est d’avoir fait en sorte qu’il s’agisse d’une question partisane. Comme le Parti républicain veille à ce que rien ne le sépare d’Israël, l’opinion dans la base du Parti démocrate évolue constamment vers un soutien aux droits des Palestiniens, et les représentants démocrates s’enhardissent lentement à s’exprimer dans ce sens.

Ces tendances à plus long terme, agissant à l’encontre des violations par Israël des normes internationales, ne peuvent par elles-mêmes garantir les droits des Palestiniens. Le basculement d’une maîtrise arabe sur la question de la Palestine vers une maîtrise palestinienne a conduit finalement au désastre d’Oslo. Ce qui est nécessaire, c’est d’associer une mobilisation palestinienne, locale et à l’étranger, avec une stratégie arabe afin de parvenir à l’autodétermination. Et, bien que les tentatives pour réformer l’OLP en un représentant national réel aient échoué à ce jour, il existe des moyens pour faire pression sur les fractions de l’OLP qui fonctionnent encore – par exemple, dans les pays où certaines éléments de la représentation diplomatique palestinienne restent réels – avec, en vue, de faire revivre l’agenda national et une stratégie.

Les Palestiniens aujourd’hui sont, sans aucun doute, dans la position la moins enviable qu’ils ont eue à connaître depuis 1948. Cependant, s’ils mobilisent les ressources qui sont à leur disposition – d’abord et avant tout leur propre peuple et le réservoir grandissant du soutien mondial à leurs droits et liberté – alors, ils peuvent encore élaborer, et mettre en œuvre avec succès, une stratégie pour assurer leur place au soleil.

Nadia Hijab

Nadia Hijab est directrice exécutive d’Al-Shabaka : réseau politique palestinien qu’elle a co-fondé en 2009. Elle intervient fréquemment comme conférencière et commentatrice dans les médias, et elle est un membre éminent de l’Institut des études palestiniennes. Son premier livre, sur les femmes au travail, Womanpower : The Arab Debate on Women at Work, a été publié par la Presse de l’université de Cambridge, et elle est co-auteur de Citizens Apart : A portrait of the Palestiniens Citizens of Israel (I.B. Tauris).

Mouin Rabbani

Conseiller politique d’Al-Shabaka, Mouni Rabbani est un écrivain indépendant et un analyste spécialisé dans les affaires palestiniennes et le conflit arabo-israélien. Il est un membre éminent de l’Institut des études palestiniennes, et il contribue à la rédaction du Middle East Report. Ses articles sont aussi publiés dans The National et il a fourni des commentaires pour The New York Times.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source : Al-Shabaka

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