Le discours qui affirme qu’Israël laisse s’exprimer librement les LGBT+, alors que le reste du Moyen-Orient les persécute sans relâche, construit une fausse opposition.
(Wouter van Vliet/Wikimedia Commons)
Par Haneen Maikey et Hilary Aked
L’exploitation des identités LGBT+ pour des raisons de relations publiques – le « pinkwashing » – n’est pas nouvelle. Mais l’État d’Israël, qui la pratique depuis longtemps, semble être passé à la vitesse supérieure avec l’organisation du concours de chant de l’Eurovision qu’il accueillera en mai.
Depuis l’adoption de son programme officiel de création d’une « marque Israël » (« Brand Israel ») en 2005, l’instrumentalisation des droits des queers et le mode de vie libéré des homosexuels ont été des éléments essentiels de la campagne de propagande israélienne.
En soi, l’Eurovision – l’ultime célébration du maniérisme et de la flamboyance, appelée les « Jeux olympiques homosexuels » – est l’occasion idéale pour Israël d’utiliser les LGBT+ pour camoufler son déni systématique des droits des Palestiniens.
Février – le mois dédié à l’histoire des LGBT+ – a vu la sélection par un vote public du jeune chanteur Michael Rice pour représenter la Grande-Bretagne et Graham Norton, personnalité gay bien connue, a été confirmé comme animateur de la BBC pour couvrir l’événement.
En avril, de nombreux candidats, dont Bilal Hassani de France et Miki d’Espagne, participeront à une fête officielle de l’Eurovision à Londres, un événement incontournable depuis longtemps sur l’agenda gay.
Mais il y a également eu des appels de personnalités telles que Vivienne Westwood, Peter Gabriel et Wolf Alice, demandant à la BBC qu’elle exige que l’Eurovision se tienne ailleurs, afin de respecter l’appel au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions (BDS) à l’encontre d’Israël, jusqu’à ce qu’il cesse de dénier leurs droits aux Palestiniens.
Et depuis que les groupes queer alQaws et Pinkwatching Israel ont émis leur appel de Palestine pour un boycott de l’Eurovision, près de cent groupes LGBT+ du monde entier l’ont signé.
Les communautés LGBT+ soutiennent de plus en plus les Palestiniens au lieu de céder au pinkwashing d’Israël. Ils considèrent que dans une perspective de libération collective, les luttes pour la libération des Queers et des Palestiniens sont inséparables.
Israël commercialise la ville de Tel Aviv, qui accueillera l’Eurovision en mai, comme un havre de paix pour les touristes homosexuels. Il semble croire que cet aspect soi-disant libéral et progressiste de sa société compensera ou effacera d’une certaine manière, en terme de relations publiques, les critiques du régime d’occupation et d’apartheid qu’il impose aux Palestiniens.
L’image de tolérance du pays vis-à-vis des LGBT+ a prévalu depuis longtemps à l’Eurovision, depuis 1998 déjà, année de la victoire de sa représentante, la chanteuse transgenre Dana International. Quant à la gagnante de l’an dernier, la chanteuse israélienne Netta Barzilai, elle a beaucoup de fans parmi les LGBT+.
Le gouvernement israélien a vu la victoire de Netta Barzilai comme un triomphe diplomatique et le Premier ministre Benjamin Netanyahou lui a téléphoné juste après pour la féliciter d’être « la meilleure ambassadrice d’Israël ».
Netanyahou est également responsable de la répression brutale des manifestations palestiniennes hebdomadaires à Gaza, qui ont commencé en mars dernier. Depuis, les forces israéliennes ont tué plus de 200 Palestiniens et en ont blessé environ 18 000, alors qu’ils manifestaient pour leur droit – en tant que réfugiés – à rentrer dans leur pays.
À l’apogée de ces massacres, Netta Barzilai s’est produite lors d’un événement organisé par le gouvernement pour célébrer sa victoire à l’Eurovision et elle a déclaré « nous avons des raisons d’être heureux ». Le même jour, le 14 mai 2018, a été le plus sanglant. L’armée israélienne avait massacré au moins 58 Palestiniens.
L’Eurovision se tiendra le 18 mai 2019, presqu’une année après le jour où ce massacre a eu lieu, et seulement quelques jours après celui où Israël célèbrera son Indépendance : le 15 mai. Pour les Palestiniens, cette date commémore la Nakba (la catastrophe), le nettoyage ethnique de plus de 750 000 personnes en 1948. La Nakba continue aujourd’hui lorsqu’Israël révoque les permis de résidence de Palestiniens ; c’est encore une forme de déplacement forcé.
On ne pourrait pas voir plus clairement que rien n’est apolitique en ce qui concerne Israël. C’est pourquoi l’idée qu’organiser l’Eurovision en Israël n’est « qu’un peu d’amusement » est tellement malencontreuse.
En fait, nous pouvons dire par expérience personnelle que le pinkwashing a des effets profondément dommageables, en particulier sur les queers palestiniens. Le discours qui affirme qu’Israël laisse s’exprimer librement les LGBT+, alors que le reste du Moyen-Orient les persécute sans relâche, construit une fausse opposition.
Non seulement c’est de la propagande, qui rend le sionisme plus attirant aux groupes queers, les amenant même parfois à choisir de soutenir directement le régime d’apartheid d’Israël ; mais cela constitue également une forme de violence envers les queers palestiniens, en rendant invisibles les forces progressives présentes à l’intérieur de la Palestine, et notamment en effaçant les succès qu’a remporté le mouvement queer palestinien.
Ce récit encourage les Palestiniens LGBT+ à croire que leurs familles, la société et leurs amis les rejetteront toujours et qu’il n’existe aucune chance de défier l’homophobie – alors que celle-ci existe également en Israël, malgré les efforts réalisés pour la cacher.
Par-dessus tout, le pinkwashing d’Israël est une tentative cynique de normaliser son régime d’apartheid qui discrimine, dépossède et soumet tous les Palestiniens, qu’ils soient queers ou non.
Cependant, alors que le bas-ventre fasciste de la politique israélienne devient de plus en plus visible – et que des politiciens d’extrême droite du monde entier sont à l’unisson avec son agenda politique – nous continuons à espérer que le pinkwashing israélien de l’Eurovision ne réussira pas.
Alors qu’Israël veut utiliser le spectacle de l’Eurovision comme un instrument de propagande culturelle pour montrer au monde « son plus joli visage », de nombreux queers dans le monde montent au créneau pour dire qu’il n’y a « pas de fierté dans l’apartheid israélien ». Par exemple, lorsque Netta Barzilai a joué dans le club londonien gay Heaven récemment, une manifestation animée et bariolée, emmenée par les queers, a protesté contre son spectacle.
C’est sur de telles initiatives que reposent les espoirs des Palestiniens queers pour une libération de toutes les oppressions.
Haneen Maikev dirige alQaws for Sexual & Gender Diversity in Palestinian Society, une organisation politique de base des Palestiniens queer basée à Jérusalem.
Dr Hilary Aked est une autrice, une chercheuse et une militante basée à Londres, dont le premier livre sur le lobby israélien au Royaume-Uni, basé sur sa thèse de doctorat, sera publié chez Verso.
Traduction : MUV pour l’Agence France Palestine
Source : The Independent