Son cri de l’intérieur de l’occupation : Janna Jihad est une voix pour les enfants palestiniens

Un entretien d’une jeune journaliste et militante palestinienne, âgée de 13 ans, avec le journal Street Roots pour partager son point de vue sur ce qui arrive aux enfants de Cisjordanie.

Par Emily Green – Street Roots News – 9 août 2019

Janna Jihad s’entretient avec un journaliste au siège du Street Roots, à Portland. Sa visite à Portland a inclus une projection, le 29 juillet 2019, de « Radiance of Resistance (Le rayonnement de la Résistance) », un film documentaire sur son activité militante et celle de sa cousine. (photo Kat Berbari)

Le bruit des explosifs résonne en bruit de fond sur la vidéo postée sur Facebook, le 20 avril 20181 (https://www.facebook.com/pg/Janna.Jihad/videos/?ref=page_internal).

Une jeune fille se tient debout, à l’extérieur d’un village palestinien, pendant que d’autres se hâtent tout autour, elle parle arabe devant la caméra, avant de passer à l’anglais.

 « Comme vous pouvez le constater, les soldats de l’occupation israélienne étaient juste cachés dans le garage », déclare-t-elle, d’un ton décontracté. « Puis, quand les enfants sont montés un peu plus haut, ils se sont mis à lancer sur nous un tas de lacrymogènes, comme vous pouvez l’entendre en ce moment même ».

« Depuis ici, nous envoyons notre message à l’attention du monde, que nous ne renoncerons jamais » dit-elle avec de conclure : « De Nabi Salih, Janna Jihad, Palestine occupée ».

Cette vidéo n’est que l’une des centaines de vidéos que la journaliste-militante de 13 ans a téléchargées sur Internet depuis son domicile, en Cisjordanie occupée. Son incursion dans le journalisme a débuté alors qu’elle jouait avec le iPhone de sa mère, elle avait alors 7 ans. Elle s’était filmée en train de dire ce qu’elle observait lors des manifestations hebdomadaires contre l’occupation dans son village, Nabi Salih. Sa mère – Nawal Tamimi, militante et directrice des Affaires des femmes au ministère palestinien du Développement social – a trouvé les enregistrements que sa fille avait laissés sur son téléphone et elle a commencé à les télétransmettre dans les médias sociaux.

Aujourd’hui, Jihad a sa propre page Facebook (https://www.facebook.com/Janna.Jihad/), avec plus de 300 000 fans du monde entier, où elle donne un aperçu de ce que c’est d’être un enfant qui grandit sous une occupation.

Son petit village est un foyer d’activités militantes. Soixante pour cent de Nabi Salih se trouvent dans ce qu’on appelle la « zone A ». En vertu des Accords d’Oslo de 1995, cette zone de la Cisjordanie est censée être transférée progressivement à l’Autorité palestinienne, mais Israël en a conservé le contrôle du maintien de l’ordre et de la construction à l’intérieur de ses frontières. Dans sa courte vie, Jihad a été la témoin de plusieurs meurtres et de ce qu’elle décrit comme des raids quasi quotidiens.

Depuis qu’elle a pris de l’importance sur le réseau, Jihad a également commencé à partager son histoire lors de tournées de conférence, d’abord en Afrique du Sud et maintenant, aux États-Unis.

Janna Jihad, 13 ans, est une journaliste et militante palestinienne. Elle grandit dans le village de Nabi Salih, en Cisjordanie. (Photo Kat Berbari)

Elle s’est arrêtée à Portland pour parler à une foule de près de 200 personnes, le 29 juillet, à la Première église unitarienne, dans le centre-ville. Elle y a présenté une projection de « Radiance of Resistance (Le rayonnement de la Résistance), un documentaire sur son activité militante et celle de sa cousine, Ahed Tamimi.

En ville, elle s’est entretenue avec Street Roots pour échanger sur ce qu’est l’impact de l’occupation sur les enfants en Cisjordanie.

Il nous faut indiquer qu’une recherche Google sur « Janna Jihad » fera apparaître un tas de critiques sévères, des critiques qui viennent principalement d’organisations basées en Israël, qui la décrivent comme un outil de la propagande palestinienne. Elle appartient à la grande famille militante des Tamimi, et ce lien est utilisé pour entacher sa crédibilité. 

Street Roots, après s’être entretenu avec plusieurs sources réputées connaissant bien Jihad, sa famille, et la propagande israélienne, a établi que même si Jihad est un peu hyperbolique – après tout, c’est une adolescente –, sa voix est authentique, et son expérience est réelle.

Du fait qu’elle est née en Floride, où son père gère des affaires, Jihad a la citoyenneté états-unienne. C’est un statut qui peut expliquer pourquoi elle a échappé aux arrestations et à la persécution auxquelles font face les autres membres de sa famille. Bien qu’elle ne soit pas la seule jeune femme fougueuse dans la famille Tamimi, qui fait partie du village d’environ 550 personnes où elle vit depuis l’âge de trois mois.

Les vidéos qu’elle télécharge comprennent des manifestations pacifiques, des jets de pierres par des enfants sur les véhicules de l’armée israélienne, des entretiens avec des dignitaires en visite, ses cris sur les soldats israéliens et, dans un cas, les suites du meurtre de son ami, tué, affirme-t-elle, par les soldats israéliens. C’était la quatrième fois que quelqu’un qu’elle connaissait était tué, devant elle, déclare-t-elle à Street Roots.

« La première fois, c’était mon ami Mustafa, alors que je n’avais que 4 ½ ans » dit-elle. « La deuxième fois, c’était mon oncle Rushdie (Tamimi), j’avais seulement 5 ans ».

Elle a aussi parlé de son cousin Muhammad Tamimi, qui a son âge. Il a reçu une balle en caoutchouc (balle d’acier enrobée de caoutchouc – ndp) dans la tête, ce qui causa la perte du tiers de son crâne et nécessita une chirurgie reconstructive. Il a été arrêté et interrogé trois fois depuis, dit-elle.

« Nous essayons fondamentalement de sensibiliser sur ce qu’il se passe avec ces enfants, lors des arrestations, comment leurs droits sont violés », dit-elle. « Vous pouvez vous faire arrêter si vous avez 12 ans et plus. Et même cette loi illégale, comme je l’appelle, est parfois violée. Par exemple, l’an dernier, mon cousin de 11 ans a été arrêté ».

Elle dit que les enfants, quand ils sont interrogés, peuvent être soumis à une violence physique et psychologique qui les traumatise. Les interrogatoires peuvent durer des heures, jusqu’à des mois. Les enfants peuvent être arrêtés pour avoir lancé des pierres, avoir suivi une manifestation, voire parfois sans aucune charge, dit-elle.

Un rapport de l’UNICEF de 2013 révèle que, chaque année, ce sont environ 700 enfants palestiniens, de 12 à 17 ans, qui sont arrêtés, détenus et interrogés par les forces israéliennes. Pour la majorité d’entre eux, ils sont accusés de jets de pierres. Entre 2003 et 2013, environ 7000 enfants palestiniens ont été arrêtés. Le dernier rapport bimensuel disponible des Nations-Unies montre que durant les deux dernières semaines de juin de cette année, les forces israéliennes ont arrêté 13 enfants.

Après avoir interrogé des enfants palestiniens et leurs parents et avoir examiné les preuves que les familles avaient recueillies, Human Rights Watch conclut que : « Les forces de sécurité avaient étouffé des enfants, lancé sur eux des grenades assourdissantes, les avaient frappés en détention, menacés et interrogés sans la présence de parents ou d’avocats, et elles avaient refusé de faire savoir à leurs parents où ils se trouvaient ».

Selon Jihad, depuis qu’elle a commencé à télécharger des vidéos, il y a 6 ans, la situation des enfants a empirée.

« Il y a davantage d’enfants qui sont tués, davantage d’enfants qui sont blessés, beaucoup de personnes sont arrêtées » dit-elle.

Les arrestations de ses cousins ont commencé quand son village a subi une augmentation des raids israéliens, suite à la déclaration de Donald Trump qui affirme que les États-Unis reconnaissaient Jérusalem comme la capitale d’Israël, dit-elle. L’annonce de Trump a rompu avec une politique de longue date sur le statut de la ville qui est revendiquée à la fois par les Israéliens et par les Palestiniens.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations-Unies (OCHA), l’année 2018 a connu le nombre le plus élevé de victimes palestiniennes depuis que l’agence a commencé à les suivre, les forces israéliennes ayant tué 295 Palestiniens – dont 57 enfants – et blessé plus de 29 000, dont 7 000 enfants. Au cours de la même période, 14 Israéliens ont été tués et 137 blessés par les Palestiniens.

Le rapport des Nations-Unies constate aussi que près de 70 % des personnes vivant dans la bande de Gaza étaient en insécurité alimentaire en 2018. Et dans le même temps, l’aide alimentaire n’a jamais été aussi faible.

Jihad dit être consciente de vivre sous une occupation depuis aussi longtemps qu’elle s’en souvienne.

« Je ne me souviens pas que mes parents me l’aient expliqué, mais je me souviens des soldats qui venaient faire des raids la nuit » dit-elle. « Ce serait une journée normale, décontractée, et mes amis et moi, nous jouerions dehors, et cette jeep israélienne arriverait, et nous nous mettrions à courir, et rien qu’en la regardant, ce n’était pas normal ».

Vivre sous occupation peut constituer un fardeau pour la vie quotidienne. Jihad dit s’être souvent confrontée à trois check-points sur le chemin de son école dans la ville voisine de Ramallah.

Parfois, un check-point érigé constitue une barrière infranchissable, ce qui veut dire que son voyage de 25 minutes peut prendre plusieurs heures car elle doit chercher une autre route. Parfois, cela veut dire aussi devoir attendre dans une longue file pendant que les véhicules sont fouillés et les gens interrogés.

« Ils ont mis des check-points sur notre chemin de l’école pendant la période où nous devons aller à l’école » dit-elle. « Ils ne veulent pas que cette génération soit éduquée ».

Les check-points sont aussi un problème pour sa grand-mère qui a besoin d’une dialyse trois fois par semaine. 

« Quelquefois, à cause des check-points, elle ne peut pas aller à l’hôpital » dit-elle. « Beaucoup de femmes accouchent à ces check-points, dans les voitures ».

Quand on lui demande comment elle a eu le courage de s’approcher des soldats israéliens et de leur crier au visage, elle répond : « Premièrement, pour être claire, je ne vais pas vers eux ; ce sont eux qui viennent vers moi. Ils viennent dans mon village tout à côté de ma maison ». Petite fille, elle disait qu’elle vivait dans une peur constante, se cachant sous la table ou dans la salle de bain quand les soldats étaient tout près. Mais plus maintenant.

« Après cela, j’ai appris qu’il est très important de maîtriser notre peur, et de ne pas laisser nos peurs nous contrôler, parce que si ce sont nos peurs qui nous contrôlent, alors ne nous sommes plus capables de vivre, ni de résister, ni de faire quoi que ce soit » dit-elle.

Shamsaan, ce qui signifie « 2 soleils », a parrainé la tournée de Jihad aux États-Unis. C’est une organisation sud-africaine qui défend les droits des enfants, dont Jihad est ambassadrice. Amnesty InternationalJewish Voice for Peace (sections Portland et PSU), Rise Up InternationalKBOO, et d’autres, ont parrainé sa venue à Portland.

Elle a passé une semaine de son temps aux États-Unis à discuter avec des membres du Congrès à propos de l’occupation, et pendant son séjour à Washington D.C., elle a également eu un entretien avec deux élues à la Chambre des représentants, Mme Rashida Talib (D. Mich.), qui est fille d’immigrants palestiniens, et Mme Betty McCollum (D-Minn.), qui a présenté un projet de loi pour promouvoir les droits humains des enfants palestiniens en interdisant le financement des centres de détention militaires pour enfants, en tout pays.

Mme McCollum a déclaré aux participants à la conférence nationale de la Campagne pour les droits des Palestiniens, l’an dernier, qu’elle espérait que son projet de loi allait obliger les décideurs à réfléchir sur la façon dont l’aide de 3,8 milliards de dollars que les USA accordent à Israël « contribue à rendre possible, à faciliter et à renforcer l’occupation militaire des terres des Palestiniens et la répression du peuple palestinien ».

Nous avons demandé à Jihad comment les enfants de son âge en Cisjordanie pensent à leur avenir.

« Sous l’occupation, si vous voulez rêvez, vous avez des limites » dit-elle. « Nous essayons de franchir ces limites, et nous essayons d’avoir de grands rêves ».

Elle dit qu’elle croit que l’occupation prendra fin au cours des dix prochaines années.

Pour envoyer un courriel à Emily Green : emily@streetroots.org. Pour la suivre sur Twitter : @greenwrites.

Traduction: JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Streetroots.org

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