J’ai assisté à la mort de mon père et de mon frère, tués par les balles israéliennes. Pour moi, le commerce des armes au Royaume-Uni est profondément personnel

J’ai assisté à la mort de mon père et de mon frère, tués par les balles israéliennes. Pour moi, le commerce des armes au Royaume-Uni est profondément personnel

Amal Samouni – 5 septembre 2019

Pour la première fois, le Royaume-Uni a invité officiellement le gouvernement israélien au plus grand salon des armes au monde, le salon DSEI, qui va se tenir à Londres ce mois-ci. J’appelle les citoyens britanniques à faire entendre leur voix.

Pour beaucoup de personnes qui ont vécu à l’abri de la guerre et d’une occupation militaire, le commerce mondial des armes peut paraître comme une question lointaine, voire hors de propos. Mais pour les Palestiniens comme moi, c’est une réalité indéniable, et douloureuse.

J’ai 19 ans, j’ai passé toute mon enfance dans la bande de Gaza, un endroit parfois décrit comme la « plus grande prison à ciel ouvert » au monde. Cela en raison du blocus militaire paralysant qui est imposé sur la région par l’État israélien, lequel refuse, jour après jour, de reconnaître nos droits fondamentaux et nos ressources.

Non seulement cela, mais au cours de ma vie, Gaza a été la cible de plusieurs assauts importants à la bombe par les forces israéliennes. L’agression, dans l’ « Opération Plomb durci », a duré 22 jours en 2008-2009, alors que j’avais à peine 10 ans, et elle a changé ma vie à jamais.

Au beau milieu des bombardements, le 4 janvier 2009, les forces israéliennes ont pris d’assaut la maison de ma famille, elles ont ordonné à mon père de sortir, et elles l’ont abattu, devant notre porte. Puis, elles ont mis le feu à notre maison et ont commencé à tirer sur nous, blessant Ahmed, mon petit frère de 4 ans, et deux autres enfants. Ensuite, plus de 100 membres de la famille élargie ont été regroupés, et ils ont été forcés d’entrer dans la maison de mon oncle Wa’el al-Samouni, et nous y sommes restés un jour et demi avec seulement la nourriture et l’eau qui se trouvaient dans la maison.

C’est là que mon petit frère a succombé à ses blessures, car aucun des blessés n’avait été autorisé à partir, et une de mes tantes a accouché pendant cette épreuve. Un cousin et deux de mes oncles ont été mitraillés et tués alors qu’ils cherchaient du bois de chauffage ou qu’ils se tenaient debout à la porte. Le gouvernement israélien nie avoir donné l’ordre aux habitants de se rassembler dans une seule maison.

Finalement, les forces israéliennes ont bombardé l’immeuble, tuant 23 membres de la famille et me laissant, pendant trois jours, coincée sous les décombres à côté de leurs corps. Le 7 janvier, j’étais retrouvée, vivante. Plus de 29 membres de ma famille élargie ont été tués durant ces jours-là, et beaucoup d’autres, blessés à vie. Des éclats d’obus, que je sens encore, sont restés logés dans mon cerveau et, alors que je grandis, ils me font subir des saignements de nez, des douleurs dans les yeux et les oreilles, et des maux de tête qui persistent encore aujourd’hui.

Aucun être humain ne devrait avoir à endurer ce genre de traumatisme et de violence, et encore moins un enfant. Pourtant, l’opération Plomb durci a tué, à elle seule, 1400 personnes, dont plus de 330 enfants. Mon histoire n’est que l’une des milliers d’autres qui ont été vécues par les Palestiniens à Gaza – et les attaques meurtrières contre mon peuple se poursuivent encore aujourd’hui.

Dix ans plus tard, moi et ma famille continuons de résister à la brutalité d’Israël et à son oppression de notre communauté. Depuis mars de l’année dernière, des centaines de milliers de Palestiniens manifestent à la clôture de Gaza dans une série de manifestations appelées la « Grande Marche du retour. Nous réclamons la fin du siège et la concrétisation de nos droits fondamentaux tels que consacrés par le droit international, notre retour dans les maisons dont la majorité des Palestiniens ont été déplacés par la force.

En réponse, alors qu’il refuse d’admettre que ses troupes prenaient délibérément pour cibles les civils, Israël fait face à nos manifestations, non armées, avec des tirs violents à balles réelles, tuant 250 Palestiniens et en blessant plus de 27 000. Dix ans après l’opération Plomb durci, les balles et les bombes israéliennes continuent de déchirer notre communauté.

Alors comment un gouvernement ou une organisation qui prétend défendre les droits de l’homme peut-il tolérer ces crimes ? Je voudrais poser cette question en particulier au gouvernement britannique.

Pour la première fois, le Royaume-Uni a invité officiellement le gouvernement israélien au plus grand salon des armes au monde, le salon DSEI (Defense and Security Equipment International), qui va se tenir à Londres ce mois-ci. Ceci malgré mon histoire, malgré les milliers d’autres témoignages de Palestiniens et même un rapport d’une Commission d’enquête des Nations-Unies qui a conclu, plus tôt cette année, que les forces israéliennes s’étaient rendues coupables de graves violations à l’encontre des manifestants à Gaza, violations qui peuvent avoir constitué « des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ».

En accueillant les entreprises d’armement israéliennes qui vendent leurs armes comme « testées au combat » – parce qu’elles les ont testées sur nous, les Palestiniens de Gaza -, le gouvernement britannique se rend directement complice des crimes continuels du gouvernement israélien contre nous, crimes bien documentés par toutes les grandes organisations de défense des droits de l’homme.

Mais ceci n’est que la moitié de l’histoire.

Depuis les bombardements de Gaza en 2009, la Grande-Bretagne a aussi augmenté ses importations et exportations d’armes vers et depuis Israël. Le commerce des armes d’Israël avec d’autres pays entretient notre oppression systématique – et des pays comme le Royaume-Uni en tirent profit directement. Il nous a été dit que la politique du Royaume-Uni en matière d’exportations des armes interdirait, si elle est appliquée systématiquement, la vente des armes quand il y a un risque qu’elles soient utilisées pour des violations des droits de l’homme et de graves violations du droit international.

En tant que tel, le gouvernement britannique fait preuve d’un mépris total pour la vie des Palestiniens et pour la mémoire de tous ceux qui ont été assassinés par l’État israélien, dont mes chers père et frère que j’ai perdus, sous mes yeux, quand j’étais enfant.  

J’appelle les citoyens britanniques à faire preuve d’une solidarité internationale avec les Palestiniens en se joignant à ces centaines de militant des droits de l’homme qui agissent contre le prochain salon des armes DSEI. J’appelle aussi le gouvernement britannique à mettre en œuvre un embargo immédiat sur les armes entre le Royaume-Uni et Israël, et dans les deux sens, jusqu’à ce que celui-ci cesse ses violations contre moi et mon peule.

Un engagement envers les droits de l’homme ne veut rien dire si ce ne sont que des mots sur une feuille de papier. Le gouvernement britannique doit agir, immédiatement, pour mettre un terme à sa complicité avec la violente répression du peuple palestinien. Pas seulement en mémoire de mon père, de mon frère et de toutes les autres victimes des bombardements réguliers d’Israël sur notre peuple, mais aussi pour empêcher que de nouvelles tragédies ne frappent d’autres familles, comme elles l’ont fait pour la nôtre.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source : The Independant

Retour haut de page