Persécutés parce qu’ils jouent au football

Hamza Abu Eltarabesh – The Electronic Intifada – 9 septembre 2019

Un poster commémore la mère et les sœurs de Mahmoud al-Neirab, tuées par une attaque israélienne, en août 2014. (Abed Zagout)

Les Palestiniens sont empêchés de jouer au football et même, parfois, de le regarder. J’ai appris cela alors que j’étais enfant.

Un jour de l’été 2004, je m’en allais voir un match dans un stade du sud de la bande de Gaza. Pour y parvenir, il me fallait passer par un check-point militaire israélien. 

Quand, avec d’autres supporters de football, nous sommes arrivés au check-point, les soldats nous ont dit d’attendre. Au bout d’une heure, nous avons été informés que nous ne pourrions pas nous aventurer plus loin pour des « raisons de sécurité » – cette excuse dont se sert souvent Israël pour empêcher les Palestiniens de vivre une vie normale.

L’incident m’a laissé un profond sentiment de colère. Le football est un sport apprécié universellement. Pourquoi ne serions-nous pas, nous aussi, autorisés à en profiter ? 

Depuis l’été 2004, Israël est censé s’être « retiré » de Gaza. Ses forces d’occupation se sont déplacées à la frontière entre Gaza et Israël, d’où elles ouvrent le feu fréquemment sur les Palestiniens.

J’aimerais pouvoir dire que la situation s’est améliorée à la suite de ce « désengagement ». En vérité, elle a empiré.

Mahmoud al-Neirab a été reconnu comme le meilleur footballeur de Gaza pour la dernière saison, et il a représenté la Palestine au niveau international.

En août 2014, Israël a attaqué la maison familiale d’al-Neirab à Rafah, la ville la plus au sud de la bande de Gaza. Arwa, la mère de Mahmoud, et trois de ses sœurs – Ibtisam, Duha et Ola – ont été tuées.

« Je ne peux pas décrire ce que l’on ressent quand on perd sa mère », dit Mahmoud, âgé aujourd’hui de 27 ans. « Mais cela ne m’a jamais empêché de poursuivre mon rêve. Par la suite, chaque but que j’ai marqué, je l’ai dédié à ma mère ».

« Un gros mensonge »

Mahmoud est membre de l’équipe de football Khadamat Rafah, laquelle s’est qualifiée pour la finale de la Coupe Palestine cette année, contre l’équipe Markaz Balata de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée.

Jouée à Rafah fin juin, la finale s’est terminée par un match nul, un  à un. Un match de retour a donc été prévu à Naplouse pour quelques jours plus tard.

La Fédération de Palestine de football a demandé que 35 personnes représentant Khadamat Rafah – dont les joueurs de l’équipe – soient autorisées à passer à Erez, le check-point militaire qui sépare Gaza et Israël, pour le match de retour. Mais l’armée israélienne n’a accordé des autorisations qu’à quatre personnes de la liste, dont une seule était un joueur.

La plupart des autorisations ont été refusées pour des « raisons de sécurité ». D’après des articles de presse, la police secrète israélienne, le Shin Bet, aurait prétendu détenir une information selon laquelle « la plupart des membres de l’équipe étaient liés au terrorisme ». Cette allégation a été qualifiée de « gros mensonge » par Jibril Rajoub, le président de la Fédération de Palestine de football.

À cause de cette position d’Israël, le match de retour n’a pu encore avoir lieu.

Mahmoud al-Neirab (à droite) avec Omran Abu Belal (à gauche) et Bader Mousa. (Abed Zagout)

« J’attendais ce match avec impatience » dit Mahmoud al-Neirab. « J’étais tout près de mon rêve de gagner la Coupe Palestine. Ce n’était pas assez pour Israël de tuer ma mère et mes trois sœurs. Maintenant, il a tué aussi mon rêve ».

Les restrictions imposées par Israël empêchent aussi les joueurs de football de Gaza de rejoindre les équipes basées en Cisjordanie.

Ces restrictions ont de graves conséquences sur le plan économique. Le salaire versé à un joueur professionnel à Gaza est d’environ 150 dollars (136 €) par mois. Selon un journaliste sportif local, les joueurs de Cisjordanie reçoivent 1400 dollars (1270 € par mois, soit près de dix fois plus.

Bader Mousa, joueur de Gaza, a signé un contrat de trois ans pour jouer dans une équipe d’Hébron, en Cisjordanie. Mais il est bloqué à Gaza : Israël refuse de lui délivrer un laissez-passer.

Mousa avait espéré que jouer en Cisjordanie l’aiderait à s’assurer une place dans l’équipe nationale de Palestine. « Israël a détruit mon rêve avant même que je puisse commencer » dit-il.

Cinq années sans famille

Un autre habitant de Gaza, Omran Abu Belal, a été sélectionné pour jouer pour Markaz Balata. En l’empêchant de prendre sa place, Israël prive sa famille d’un argent dont elle a cruellement besoin.

« Ma famille est dans une situation difficile » dit-il. « J’ai hâte de pouvoir les soutenir ».

Même si être sélectionné pour l’équipe nationale de Palestine est un honneur pour les joueurs de football, cela n’apporte aucune protection contre la cruauté d’Israël. 

En 2008, Suleiman al-Ubeid a quitté Gaza pour Ramallah, en Cisjordanie, pour pouvoir jouer dans l’équipe nationale. Israël n’a pas autorisé son épouse et ses enfants à se déplacer avec lui. Il ne les a pas vus jusqu’à son retour à Gaza, en 2013, un déplacement qui a nui à sa carrière.

« Pendant cinq années, je n’ai pas pu embrasser mes enfants », dit-il. « Cela a été une décision très difficile de sacrifier ma place dans l’équipe nationale. Mais Israël m’a forcé à décider entre garder mon travail ou garder ma famille ».

Deux mois après ses fiançailles en 2016, Ibrahim al-Nateel s’est vu proposer une place dans l’équipe Hilal al-Quds de Jérusalem. Après avoir quitté Gaza, il a passé l’année qui a suivi à tenter d’obtenir pour sa fiancée une autorisation de sortie, afin qu’elle puisse le rejoindre en Cisjordanie. Israël a refusé de la lui accorder. 

Sa fiancée s’est sentie si frustrée qu’elle a rompu ses fiançailles. 

« Ma fiancée ne pouvait plus attendre » dit al-Nateel. « Il a été très dur pour moi de mettre fin à mes relations avec elle. Mais j’ai dû respecter son choix ».

Ald-Nateel est rentré à Gaza en 2017, après avoir été blessé lors d’un match.

« Une guerre psychologique »

Selon Fadi Hijazi, directeur des sports au journal Alresalah, il y a environ 40 joueurs de football de Gaza en Cisjordanie. La plupart n’ont pas été en mesure d’amener leur famille avec eux.

« Il y a une guerre psychologique délibérée contre ces joueurs » dit Hijazi. 

Certains joueurs de Gaza – notamment ceux qui sont allés en Cisjordanie – ont été emprisonnés par l’occupation israélienne. 

Samy al-Daour est l’un d’eux.

En 2016, après une séance d’entraînement, il a été bloqué à un check-point militaire alors qu’il rentrait chez lui à Hébron – où il vivait à l’époque.

« Une soldate israélienne m’a demandé ma carte d’identité » dit-il. « J’étais en train de lui expliquer que j’étais joueur de football quand soudain, je me suis retrouvé à terre et ils m’ont arrêté. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai été arrêté ».

Khadamat Rafat célèbre sa victoire après avoir remporté la Coupe de Gaza, en avril 2019. (Abed Zagout)

Al-Daour, aujourd’hui joueur à al-Ahli Gaza, a passé dix jours dans la prison israélienne d’Ashkelon, sans inculpation ni procès.

Toujours en 2016, Fadi al-Sharif rentrait à Gaza après avoir été opéré d’un genou à Jérusalem, quand il a été appréhendé par les forces israéliennes.

« J’avais quitté l’hôpital et je rentrais directement à Gaza » dit-il. « Je n’imaginais pas que je serai arrêté, d’autant plus que j’étais incapable de bouger ma jambe. Je n’oublierai jamais les deux semaines que j’ai passées en prison ».

À l’époque, al-Sharif faisait partie de l’équipe al-Hilal Gaza, mais la détention l’a conduit à arrêter de jouer au football.

Le football est connu par un nombre incalculable de supporters comme un jeu magnifique. En persécutant les joueurs de Palestine, Israël cherche à lui voler sa beauté.

Hamza Abu Eltarabesh est un journaliste de Gaza.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

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