Liberté immédiate et sans condition pour Ramy Shaath!

Communiqué de presse d’Amnesty International, 3 septembre 2019

Les autorités égyptiennes doivent libérer immédiatement et sans condition le ressortissant égypto-palestinien Ramy Shaath, coordonnateur du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) en Égypte, a déclaré Amnesty International ce mardi 3 septembre 2019. 

Amnesty International considère Ramy Shaath comme un prisonnier d’opinion, car il est détenu uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression et à la participation aux affaires publiques. Dans l’attente de sa libération, il doit être autorisé à consulter ses avocats et traité dans le respect de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Amnesty International appelle également les autorités égyptiennes à enquêter sur le refus d’assistance consulaire qui a été opposé à l’épouse de Ramy Shaath, Céline Lebrun Shaath, ressortissante française, ainsi que sur l’expulsion illégale d’Égypte dont celle-ci a ensuite fait l’objet, et à lui offrir des voies de recours efficaces.

Ramy Shaath est en détention provisoire depuis le 5 juillet 2019, dans l’attente des conclusions d’une enquête sur des charges, dénuées de fondement, d’« assistance à un groupe terroriste ». Sa détention a une nouvelle fois été prolongée de 15 jours le 27 août 2019. 

Le 21 août 2019, sa famille a lancé une campagne appelant à sa libération. 

Arrestation arbitraire et disparition forcée

Selon la famille de Ramy Shaath, le 5 juillet 2019, vers 0 h 45, au moins une douzaine de policiers lourdement armés ont pris d’assaut son domicile cairote, sans s’identifier ni présenter de mandat d’arrêt. Les policiers ont ensuite commencé à fouiller les lieux et ont saisi des ordinateurs, des disques durs et des téléphones portables. Ils ont arrêté Ramy Shaath et Céline Lebrun Shaath, professeure d’histoire et responsable associative, qui a par la suite fait l’objet d’une expulsion illégale, alors qu’elle résidait en Égypte depuis mars 2012.

Dans l’intervalle, les forces de sécurité ont transféré Ramy Shaath dans un lieu tenu secret, et ont caché son lieu de détention pendant environ 36 heures. Lorsque sa famille et ses avocats ont signalé sa « disparition » au poste de police de Qasr el Nil, dans le centre-ville du Caire, les policiers ont affirmé qu’il n’était pas entre leurs mains. Par la suite, un avocat a informé la famille que Ramy Shaath avait comparu devant un procureur du parquet de la Sûreté de l’État, au Nouveau Caire. Il n’a pas été autorisé à appeler sa famille ni son avocat, et a été représenté pendant son interrogatoire par un avocat qui se trouvait sur place. 

Selon la famille, le procureur a informé Ramy Shaath qu’il était accusé d’« assistance à un groupe terroriste ». Cependant, il l’a interrogé uniquement sur la nature de ses activités politiques en Égypte et n’a présenté aucune preuve à son encontre ; il s’est appuyé sur un dossier secret de l’Agence nationale d’investigation, malgré un arrêt rendu en 2015 par l’une des plus hautes juridictions égyptiennes, la Cour de cassation, qui a statué que les enquêtes de cette agence ne constituaient pas des preuves à elles seules. En outre, le procureur n’a autorisé ni Ramy Shaath ni ses avocats à examiner les éléments d’enquête de l’Agence. 

Ramy Shaath est actuellement détenu dans l’attente des conclusions d’une enquête menée dans le cadre de l’affaire dite du « Plan Espoir », qui concerne au moins 105 personnes, dont beaucoup sont également en détention. Selon les autorités, cette enquête porte sur un « complot orchestré par des militants de la société civile en collaboration avec les Frères musulmans pour porter atteinte à l’État ». L’affaire concerne des personnes d’horizons politiques extrêmement variés, qui n’ont pas de liens entre elles. Parmi elles figurent au moins 15 responsables politiques, étudiants, journalistes et un défenseur des droits des travailleurs, qui sont détenus arbitrairement sur la base de charges sans fondement, liées à leurs activités politiques légitimes, à leurs activités de défense des droits humains et à l’expression pacifique de leurs opinions. 

Le 6 juillet, le procureur a ordonné le placement en détention de Ramy Shaath pour 15 jours, dans l’attente des résultats de l’enquête ; depuis lors, il renouvelle sa détention tous les 15 jours lors d’audiences de renouvellement automatique. En vertu du Code de procédure pénale égyptien et de la Loi de 2015 relative à la lutte contre le terrorisme, les procureurs peuvent ordonner la détention provisoire de personnes poursuivies dans des affaires « liées au terrorisme » pour une période pouvant aller jusqu’à 150 jours, sans les déférer à un juge.

Des conditions de détention déplorables

Ramy Shaath est actuellement incarcéré dans la prison de Tora (sud du Caire). Selon sa famille, il a passé son premier mois de détention dans une cellule surpeuplée d’environ 30 mètres carrés, avec une trentaine de codétenus. Il n’avait pas assez d’espace pour s’allonger et n’était pas autorisé à sortir pour faire de l’exercice. Au cours de la première semaine d’août, il a été transféré dans une cellule moins surpeuplée ; depuis lors, il est autorisé à passer une heure par jour en plein air. Cependant, sa famille reste très inquiète car Ramy Shaath a un taux de cholestérol élevé, ce qui nécessite une activité physique régulière, une alimentation saine et des médicaments. 

Le 21 août, la famille de Ramy Shaath a publié un communiqué sur son arrestation et sa détention. Depuis lors, il fait l’objet d’une campagne de diffamation dans les médias publics et privés, qui affirment qu’il n’est pas égyptien et l’accusent à tort d’avoir détourné des fonds palestiniens pour soutenir les Frères musulmans, financer des violences et « prendre pour cible » l’armée et la police égyptiennes. 

MILITANTISME POLITIQUE PACIFIQUE ET DÉFENSE PACIFIQUE DES DROITS HUMAINS

Ramy Shaath est un militant politique, qui a contribué à la fondation de divers mouvements politiques laïques en Égypte, dont le parti El Dostour. Il a également cofondé le mouvement BDS en Égypte, et en est le coordonnateur en Égypte depuis 2015. Le mouvement BDS mène campagne pour amener Israël à rendre des comptes pour les violations des droits humains et autres violations du droit international, en prônant des moyens non violents pour y parvenir. Dans le cadre de ses activités, Ramy Shaath sensibilise le public aux droits des Palestiniens et dénonce dans les médias l’occupation israéliennes des territoires palestiniens. Avant son arrestation, il a participé à des événements publics et donné à la presse des interviews dans lesquelles il exprimait sa vive opposition au plan américain visant à résoudre le conflit israélo-palestinien, baptisé « deal du siècle » par le gouvernement américain, et à la participation de l’Égypte à la conférence de Manama les 25 et 26 juin, consacrée à des discussions sur ce plan. 

Les autorités égyptiennes harcèlent Ramy Shaath depuis de nombreuses années en raison de son militantisme politique. En avril 2012, le ministère de l’Intérieur a refusé de renouveler son passeport égyptien, tentant de le priver de la nationalité égyptienne. Bien que Ramy Shaath ait obtenu gain de cause en 2013 devant le tribunal administratif du Caire, le ministère de l’Intérieur a fait appel de la décision en 2018 ; l’appel est toujours pendant. 

Amnesty International estime que les charges qui pèsent sur Ramy Shaath sont sans fondement, uniquement liées à son exercice pacifique du droit à la liberté d’expression et à la participation aux affaires publiques, et contraires à la Constitution égyptienne et aux obligations que l’Égypte a contractées en vertu du droit international relatif aux droits humains. L’article 65 de la Constitution égyptienne garantit le droit à la liberté d’expression. De plus, les articles 19 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Égypte est partie, garantissent respectivement le droit à la liberté d’expression et le droit de prendre part à la direction des affaires publiques. 

Expulsion illégale de Céline Lebrun Shaath

Après l’irruption de la police au domicile du couple, Céline Lebrun Shaath a tenté d’appeler ses amis et le consulat français, mais un policier l’en a empêchée. Lorsqu’elle a demandé aux policiers pour quels motifs on la privait du droit de contacter le consulat, l’un d’eux a répliqué : « Eh bien, puisque vous insistez pour appeler le consulat, nous avons le droit en tant qu’État de vous expulser. »

Céline Lebrun Shaath a indiqué que les policiers lui avaient laissé 10 minutes pour rassembler quelques effets puis l’avaient emmenée au poste de police de Qasr el Nil, dans le centre-ville du Caire, avant de la transférer à l’aéroport en vue de son expulsion. Ils ont saisi son téléphone et son ordinateur portable et l’ont empêchée de communiquer avec qui que ce soit, y compris avec le consulat français, jusqu’à son expulsion. 

Céline Lebrun Shaath a été contrainte à acheter un billet d’avion pour la France et a été retenue dans une pièce entre 2 heures du matin et le départ de son vol pour Paris, à 9 heures. Aucun responsable ne lui a expliqué les motifs de son expulsion ni permis de contester la décision à son encontre.

Sur la base des informations dont elle dispose, Amnesty International estime que l’expulsion de Céline Lebrun Shaath était illégale. Les expulsions d’étrangers depuis l’Égypte doivent être conformes au droit interne et aux obligations qui incombent à cet État en vertu du droit international. En conséquence, les autorités étaient tenues d’expliquer à Céline Lebrun Shaath les motifs de son expulsion et de lui donner la possibilité de contester la décision à son encontre, au titre de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. De plus, en privant une ressortissante française de la possibilité de prendre contact avec le consulat français, les autorités égyptiennes ont commis une violation de ses droits au titre de l’article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. 

Une prison à ciel ouvert pour les détracteurs du régime

L’arrestation de Ramy Shaath intervient dans le contexte d’une répression sans précédent contre les personnes critiques à l’égard du gouvernement égyptien, notamment les militants politiques, les journalistes, les fans de football, les artistes et les défenseurs des droits humains. Dans nombre de ces affaires, des personnes sont inculpées sur la base d’enquêtes secrètes de l’Agence nationale d’investigation auxquelles ni elles, ni leurs avocats ne peuvent accéder, et sont maintenues en détention provisoire pendant des mois avant d’être relâchées sans avoir été jugées.

Après leur libération, elles sont généralement soumises à des mesures strictes de mise à l’épreuve, qui les obligent à se présenter au poste de police toutes les semaines. Ces mesures facilitent d’autres violations des droits humains, comme des arrestations arbitraires, des mauvais traitements et des restrictions arbitraires des droits à la liberté de mouvement et d’expression. Elles interfèrent également avec la jouissance d’autres droits, notamment les droits au travail, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant. 

Répression du mouvement BDS

Ces dernières années, plusieurs États dans le monde ont restreint les activités du mouvement BDS et s’en sont pris à ses militants, par le biais de diverses politiques et dispositions législatives, parce que le mouvement promeut la protection des droits des Palestiniens. Au premier rang de ces États, Israël a adopté plusieurs lois qui érigent en infraction les activités du BDS et interdisent l’entrée dans le pays ou dans les territoires palestiniens occupés de toute personne soutenant ou travaillant pour une organisation perçue comme favorable à un boycott d’Israël ou d’entités israéliennes, notamment celles qui tirent profit des colonies de peuplement israéliennes illégales, telles que définies dans la Loi «anti-boycott» de 2011. 

Plusieurs pays européens prennent également des mesures légales contre le mouvement BDS. Ainsi, l’Espagne a engagé des poursuites contre des municipalités qui soutenaient le boycott d’Israël, et la France a poursuivi au pénal des militants du mouvement BDS pour provocation à la haine et à la discrimination. Cette année, le Parlement allemand a adopté une motion non contraignante définissant le mouvement BDS comme antisémite et appelant le gouvernement allemand à ne soutenir ni ce mouvement, ni les groupes appelant au boycott d’Israël ou soutenant activement le mouvement BDS, par un appui financier comme par la mise à disposition de locaux pour la tenue d’événements.

Amnesty International ne prend pas position sur les boycotts, mais elle soutient le droit de préconiser un boycott ou de participer à un boycott en tant que forme d’action protégée par le droit à la liberté d’expression. Il revient aux individus et aux organisations de déterminer les stratégies à mettre en œuvre pour faire progresser les droits humains. L’organisation estime que les partisans du mouvement BDS doivent pouvoir exprimer leurs opinions et mener leurs campagnes sans faire l’objet d’actes de harcèlement ou d’intimidation, de menaces, de poursuites sans fondement ni d’autres mesures contraires au droit à la liberté d’expression.

Source: Amnesty

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