L’UNRWA en temps de crise: Distinguer les fausses pistes des insuffisances avérées

Ardi Imseis – 8 octobre 2019

Un garçon palestinien assis près du siège de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) dans la ville de Gaza le 6 janvier 2018. L’envoyé américain auprès de l’ONU Haley a averti que le soutien américain à l’UNRWA prendrait fin si l’AP refusait d’entamer des négociations avec Israël. Malgré le message de M. Trumps Twitter, Chris Gunness, un porte-parole de l’Unrwa, a déclaré que l’agence n’avait reçu aucune notification formelle que l’administration Trump avait l’intention de réduire son financement. Les États-Unis sont le principal bailleur de fonds de l’Unrwa et, selon les chiffres publiés en 2016, ils ont versé près de 369 millions de dollars. Photo par Ashraf Amra

L’Office de Travaux et de Secours des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine a été confronté à de fortes turbulences ces dernières années. En août 2018, les États Unis ont annoncé qu’ils ne financeraient plus l’UNWRA, retirant les plus de 300 millions de dollars (273 millions €) qu’ils avaient fourni chaque année, auparavant. Bien que d’autres, comme l’UE, le Qatar et le Japon aient apporté de nouveaux subsides ou aient augmenté leur participation pour combler le fossé, l’Agence souffre toujours d’un manque. Des services vitaux pour les réfugiés palestiniens des territoires palestiniens occupés (TPO), de Syrie, du Liban et de Jordanie, tels que l’éducation de base et les soins de santé, ont connu, de ce fait, des coupes dévastatrices.

Pire encore, en juillet 2019, on a appris l’existence d’un rapport d’éthique interne de l’UNWRA, donnant des détails sur des allégations d’abus d’autorité par la direction centrale de l’Agence. En réponse, la Belgique, les Pays Bas, et la Suisse ont suspendu leurs contributions financières et l’administration Trump et ses alliés ont utilisé le rapport comme une occasion de dénigrer encore plus l’organisation dans son ensemble, sur la base de réclamations fallacieuses et de manœuvres de diversion conçues pour brouiller les pistes sur ce qu’ils exècrent réellement : l’UNWRA comme un rappel gênant des droits historiques légitimes, légaux et politiques des réfugiés palestiniens et, plus largement, la responsabilité permanente de l’ONU sur la question de la Palestine. L’ancien ambassadeur des États Unis à l’ONU, Nikki Haley, par exemple, a clamé sur Twitter : « C’est exactement pour cela que nous avons cessé de financer l’UNWRA »

Alors que ces faits et le cycle d’informations qui les couvre sont importants pour comprendre les dilemmes actuels de l’UNWRA, ils n’apportent pas une compréhension correcte des défis plus fondamentaux et des problèmes auxquels l’Agence fait face. Le présent commentaire éclaire les éléments nouveaux du rapport d’éthique, les défis véritables de l’UNWRA et les raisons pour lesquelles le mandat de l’Agence devrait être étendu dans la perspective d’arriver à des solutions durables pour les réfugiés palestiniens dans la ligne du droit international et de ses pratiques.

Comprendre le rapport d’éthique

Le rapport d’éthique est certes déconcertant. Mais, loin d’être une preuve d’un niveau de corruption prétendu requérant la réponse la plus draconienne consistant à priver l’UNWRA et les réfugiés palestiniens qu’elle dessert, de l’assistance humanitaire dont elle a un besoin criant, il démontre en vérité le professionnalisme d’entreprise de l’UNWRA. Le fait même que la rédaction du rapport ait été engagée et publiée montre à l’évidence que le cadre de régulation qui préside au comportement de l’équipe de direction est bien vivant, qui exige des comptes de tout le personnel, dont les plus hauts responsables.

Si l’on part du principe que les États membres de l’ONU ont un intérêt légitime à assurer l’intégrité et la responsabilité des opérations de l’ONU qu’ils soutiennent, la décision d’un petit nombre d’États qui ont suspendu leur financement de l’UNWRA semble au mieux hâtive et au pire cynique. Nous ferions bien de nous rappeler que ce qu’avance le rapport est encore en cours d’examen de la part du bureau des services de contrôle interne de l’ONU, ce qui veut dire qu’il faut encore que ce soit finalement validé par le système de justice interne à l’ONU. Jusqu’à ce que ce processus soit achevé, il serait imprudent et irresponsable de sauter sur des conclusions sur la gouvernance actuelle de l’Agence, voire d’appeler à sa suppression totale.

Même s’il se trouvait que ce qui est avancé dans le rapport était vrai, il semble qu’un petit nombre d’individus seraient impliqués au maximum, dont au moins deux ont déjà quitté l’Agence. Pour mettre les choses en perspective, en termes de personnel, l’UNWRA est la plus grosse opération de l’ONU au monde : elle fournit protection et assistance à plus de 5,5 millions de réfugiés palestiniens enregistrés. Environ 33 000 personnes travaillent pour l’Agence, dont des milliers d’enseignants, de médecins, de personnels de santé, de travailleurs sociaux et d’autres. Suggérer que les services humanitaires qui sont source de vie, rendus par l’UNWRA, devraient se voir massivement refuser des fonds, et donc être interrompus à cause d’actes supposément commis par quelques personnes, est inconcevable. Cela ne résiste tout simplement pas à un examen sérieux.

Des défaillances avérées

Aucune organisation, dont l’UNWRA, n’est au-dessus de la critique. Mais pour que la critique soit légitime, elle doit être précise et remise en contexte. Le contexte actuel doit compter avec le travail humanitaire vital et tourné vers le développement humain que l’UNWRA et son personnel ont accompli depuis 1950. Il n’est certes pas exagéré de dire que sans ce travail, le peuple palestinien dans son ensemble serait en bien pire condition qu’il ne l’est aujourd’hui, si cela peut seulement être imaginé. Cela dit, au-delà du focus biaisé sur le rapport d’éthique et autres fausses pistes, deux défaillances de l’Agence sont claires.

La première est la discrimination de genre qui se poursuit de la part de l’UNWRA dans les règles qui président à l’éligibilité au titre de réfugié palestinien. Conformément au droit international sur les réfugiés et à sa mise en œuvre universellement appliqués, les règles internes d’enregistrement de l’Agence prévoient correctement qu’en l’absence d’une solution à leur détresse, l’éligibilité au statut de réfugié de Palestine peut être transmise aux descendants de réfugiés enregistrés. Le problème se situe dans le fait que selon les règles de l’UNWRA ce droit ne s’applique qu’aux descendants de réfugiés masculins enregistrés. Il résulte de cette discrimination de genre que des centaines de milliers de personnes – quatre générations d’hommes, de femmes et d’enfants ont été privés à la fois du droit d’être enregistrés et donc d’être comptés comme réfugiés, et du droit de recevoir les services dispensés par l’Agence. Aucune semblable discrimination de genre ne s’applique dans le droit international et dans sa mise en œuvre dans d’autres situations de crise prolongée concernant des réfugiés.

Etant données les difficiles conditions dans lesquelles vivent les réfugiés de Palestine dans les zones d’opération de l’UNWRA, l’impact de cette donnée a été immense. L’Agence n’a cependant pas pu fermer les yeux sur le besoin de corriger cela. Depuis le début des années 2000, des efforts pour recueillir le soutien de partenaires-clef, dont les principaux donateurs et pays hôtes, a donné lieu à un amendement aux règles de l’Agence, qui a rendu éligibles aux services de l’Agence des personnes concernées. Pour autant, cette éligibilité reste soumise à la disponibilité des fonds qui ne s’est pratiquement pas matérialisée ou a été limitée, notamment pour les raisons évoquées ci-dessus. Ainsi, des personnes concernées n’ont toujours pas le droit d’être enregistrées comme réfugiés de Palestine et bien d’autres restent dépourvues des services de l’Agence dont elles ont désespérément besoin.

Les détracteurs de l’UNWRA ridiculisent souvent à tort l’Agence en l’accusant de gonfler le nombre de réfugiés de Palestine. Ce que démontre le paragraphe précédent est qu’en fait, c’est l’inverse qui est vrai. Mais à cause de la discrimination de genre systématique et légalisée pratiquée par l’UNWRA depuis soixante dix ans, le nombre de réfugiés de Palestine enregistrés devrait être bien plus élevé que le chiffre actuel de 5,5 millions.

La deuxième faiblesse de l’UNWRA a à voir avec le fait qu’elle n’est pas mandatée pour trouver ce que des juristes internationaux appellent « des solutions durables » pour les réfugiés de Palestine. Les solutions durables concernent le besoin de chercher activement une solution à la crise des réfugiés, cohérente avec le droit international et les bonnes pratiques. Ce droit et ces pratiques sont personnifiés par le travail du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) pour lequel les solutions durables résident dans les trois options suivantes, par ordre de priorités : 1) rapatriement volontaire ; 2) intégration sur place ; 3) réinstallation. Au lieu de cela, le mandat de l’UNWRA ne recouvre que l’aide humanitaire et l’assistance via ses programmes centraux : l’éducation primaire, les soins de santé primaires et les secours et services sociaux.

À la différence de mandats combinant les solutions humanitaires et durables conférées au HCR, en 1949, l’Assemblée Générale de l’ONU a séparé ces fonctions en ce qui concernait les réfugiés de Palestine. La fourniture d’aide humanitaire fut confiée à l’UNWRA, tandis que la recherche d’une solution durable fut implicitement laissée à la Commission de Conciliation des Nations Unies pour la Palestine (CCP) qui fut chargée de faciliter la négociation d’une solution politique au conflit israélo-arabe. Les raisons en sont claires mais, à la base, le dossier des Nations Unies démontre qu’il était fortement ancré dans la conscience de l’Assemblée Générale des Nations Unies, que la commission jouait un rôle pivot dans le démantèlement de la Palestine et dans la création du problème des réfugiés de Palestine par la mauvaise gestion de la fin du mandat sur la Palestine et sa tentative de partition du pays à l’encontre les vœux expressément exprimés de sa population majoritairement indigène en 1947. A l’époque, personne ne pouvait certes prévoir raisonnablement qu’une paix négociée demeurerait inaccessible et que les réfugiés de Palestine resteraient en exil forcé pendant des générations. Ce vide de solutions durables deviendrait particulièrement évident lorsque les efforts politiques de la CCP se sont de fait asséchés au début des années 1960. Dans ce cadre, le mandat humanitaire temporaire de l’UNWRA a été continuellement renouvelé par l’Assemblée Générale sans aucun renouvellement comparable d’un mandat de solutions durables pour le peuple concerné.

Les défaillances citées plus haut ne sont pas directement attribuables à l’UNWRA d’aujourd’hui ni à son personnel. Parce que l’Agence est un organe subsidiaire de l’Assemblée Générale, cette responsabilité est pleinement celle des États membres de l’ONU et en particulier des principaux donateurs de l’UNWRA et de sa Commission Consultative. Ce que cela veut dire est que jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de pression pour peser sur ces États pour accroître la base financière de l’UNWRA et élargir de façon constructive le mandat de l’Agence, il y a peu d’espoir qu’il soit remédié à ces défaillances. Au final, le problème dépend de la volonté de l’Assemblée Générale d’apporter davantage de soutien à l’UNWRA en accord avec sa propre déclaration de « responsabilité permanente sur la question de la Palestine jusqu’à sa résolution à tous points de vue en conformité avec le droit international ».

L’ONU et la question de la Palestine : l’état de droit

Loin d’être des questions ponctuelles posées en toute discrétion, les insuffisances établies plus haut font partie d’un problème plus large tenant à la gestion de la question de la Palestine par l’ONU. Ceci étant un des débats les plus longs du programme des Nations Unies, la sagesse conventionnelle veut que la position de l’ONU sur la Palestine présente la seule base règlementaire d’une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens, fondée sur le droit international. Contrairement à cette position, ma recherche – qui sera traitée en détails dans un livre à venir – montre qu’il y a eu un gouffre continu bien que vacillant entre les exigences du droit international et la position de l’ONU, qui a aidé à frustrer plutôt qu’à faciliter la recherche d’une paix juste et durable1.

Dans ce but, le livre examine un certain nombre de secteurs dans lesquels l’ONU a joué un rôle dirigeant sur la question de la Palestine depuis 1947, au nombre desquels, outre le problème des réfugiés de Palestine, on peut citer l’impact de l’ordre juridique international d’entre deux guerres sur la Palestine hérité de l’ONU, le plan de partition de l’Assemblée Générale de 1947, le traitement par l’ONU des TPO depuis 1967, et la qualité de membre de l’État de Palestine dans l’organisation. Explorer de façon critique les tensions existant entre d’un côté les positions adoptées par l’ONU sur ces questions et, d’un autre côté, les diverses exigences du droit international, révèle que les idées reçues quant à l’engagement de l’ONU vis-à-vis de l’état de droit international peuvent être plus exactement décrites comme une autorité internationale de droit. De par les actions de l’organisation, la Palestine et son peuple ont été plongés dans un état que j’appelle une Subalternité Légale Internationale, selon lequel la promesse de justice par le droit international a été constamment proférée sous le couvert d’une légitimité politique fournie par la communauté internationale, tandis que sa réalisation a été interminablement différée.

En ce qui concerne l’UNWRA et les réfugiés de Palestine, cet examen critique a son importance. Notamment parce qu’il est nécessaire, si nous voulons mieux comprendre à la fois les perspectives et les limites de l’ONU et du droit international en appuyant leurs doits collectifs et individuels légitimes. C’est aussi important en ce temps où il est devenu banal pour des raisons de convenance politique, pour certains acteurs politiques occidentaux, de mettre en question l’existence même de ces droits parce qu’ils se rapportent aux réfugiés de Palestine, allant jusqu’à attaquer l’intégrité de ceux qui, au sein de la communauté humanitaire de l’ONU ont mandat de les défendre.

Le Dr Ardi Imseis est professeur assistant de droit à la Queen University, où il s’est spécialisé en droit public international. Entre 2002 et 2014, il a occupé des postes de direction en droit et politique à l’UNWRA dans le territoire palestinien occupé. Il a fourni des rapports d’expertise au Conseil de sécurité de l’ONU, aux membres de la Chambre des Lords du Royaume Uni et au Sénat français. Son érudition apparaît dans un large éventail de publications internationales, dont l’American Journal of International Law, le Harvard International Law Journal, et le Oxford Journal of Legal Studies. Il est le rédacteur en chef sortant du Palestine Yearbook of International Law (2008-2019), et ancien chercheur du département Harlan Fiske Stone et chargé des droits humains de la faculté de droit de Columbia.

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine
Source : Al Shabaka

1 Ceux qui sont intéressés à en savoir plus sur la recherche sous-jacente au prochain livre peuvent consulter Les Nations Unies et la Question de la Palestine : Étude sur la subalternité juridique internationale, 2019, thèse de doctorat de Ardi Imseis.

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