Une juge condamne à une amende des plaignants qui contestaient les ventes d’armes d’Israël aux Philippines

Par Orly Noy | publié le 17 octobre 2019

Une juge impose une amende à des plaignants qui intentaient un procès au gouvernement pour tenter de mettre fin à ses exportations d’armes vers les Philippines, envoyant un message clair à ceux qui protestent contre la complicité d’Israël avec certains des régimes les plus répressifs du monde. 

Gardes-côtes philippins présentant une livraison de 70 mitraillettes israéliennes dans le port de leur quartier général le 7 mai 2018. (Philippines Coast Guard)

La juge Gilia Ravid du tribunal du district de Tel Aviv a rendu jeudi une décision concernant la requête déposée par l’avocat des droits humains Eitay Mack au nom de plus de 50 militants des droits humains, qui réclamaient qu’Israël cesse ses exportations d’armes vers les Philippines. Comme il est habituel dans les requêtes de ce genre, l’audition a eu lieu à huis clos et la décision elle-même a été soumise à embargo. Cependant, dans un geste inhabituel, la juge a imposé aux requérants le paiement de 10000 shekels (environ 2500 euros) pour frais juridiques — la seule partie de la décision autorisée à être rendue publique.

En réponse à la requête de l’état, l’audition s’est tenue à huis clos « pour empêcher toute atteinte à la sécurité de l’état et aux relations étrangères ». Même si c’est la norme pour de tels procès, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le motif sous-jacent et l’efficacité d’une telle exigence, puisque la majeure partie des preuves fournies par les requérants étaient déjà dans le domaine public et avaient été discutées par les médias, tant israéliens qu’internationaux. 

La requête était basée sur des communiqués de presse officiels des autorités philippines qui exposent en détail les achats d’armes à Israël. Les preuves incluent des posts sur la page Facebook de la police philippine, des gardes-côtiers et d’une compagnie d’armes qui facilite les ventes avec Israël, en plus des rapports officiels publiés par la police philippine, le ministère de la Défense et les médias gouvernementaux. 

Pendant la visite en Israël du président des Philippines Rodrigo Duterte en septembre 2019, il a admis avoir donné l’ordre à ses forces de sécurité de n’acheter des armes que d’Israël, puisque, contrairement aux Etats-Unis, à l’Allemagne et même à la Chine, Israël ne met aucune restriction à ces ventes d’armes. Il a fait cette déclaration à une conférence de presse à Jérusalem, en présence du président israélien Reuven Rivlin et de plusieurs dirigeants internationaux.

La manière dont le gouvernement de Duterte utilise ces armes n’est pas non plus un secret. Selon les groupes des droits humains, depuis que Dutertre est entré en fonction en juin 2016, la police philippine et les milices associées ont tué au moins 12 000 personnes sans aucune procédure légale, dans le cadre de la « guerre contre la drogue » du régime.

Si toute l’information sur la requête est ouverte et disponible pour le public, pourquoi l’audition a-t-elle eu lieu en privé ? Et pourquoi la décision de la juge était-elle sous embargo ? Comme d’habitude, les mots magiques sont « sécurité d’état », ce qui est suffisant pour que les juges acquiescent à la volonté des services de sécurité et du gouvernement. Le Bureau du procureur de district, représentant l’état, a argumenté en faveur de l’interdiction des médias en affirmant que, puisque l’état ne peut répondre publiquement au procès, son silence pourrait être mal interprété par les médias.

C’est supposer que les médias israéliens prendraient un intérêt quelconque à ce genre de requête. Historiquement, les médias régionaux n’ont jamais contesté la pesante censure de l’état sur l’information concernant les ventes d’armes à quelques-uns des régimes les plus répressifs du monde. Et ceci malgré les requêtes déposées en « temps réel », alors que les pays achetant les armes commettaient de graves violations des droits humains, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. 

Tout aussi absurde que le tribunal maintenant une censure sur l’affaire est la décision de la juge Ravid d’imposer des frais aux requérants. Cela envoie au public un message clair et sinistre : « Vous avez été prévenus : protester a un coût ».

« Ces sortes de requêtes sont déposées avec un manque d’équilibre intrinsèque dans les pouvoirs en présence, parce que l’État dépose ses documents au tribunal ex parte », a expliqué Mack. « Le tribunal a maintenant couronné cela en punissant des citoyens qui exercent leur devoir civique en essayant d’empêcher leur pays d’être complice de crimes contre l’humanité », a-t-il ajouté. 

Selon Mack, les requérants ont presque fini de collecter les fonds nécessaires pour couvrir les frais imposés par la Cour. « J’ai des soutiens dans tous les groupes de la société, vraiment tout le monde, y compris des figures de droite qui mènent leur propre combat sur la question », a-t-il dit. 

« Il y a quelque chose d’anachronique dans les demandes répétées des ministères des Affaires étrangères et de la Défense pour ces interdictions des médias. Le public trouve ce comportement répulsif. Les ministères peuvent gagner la bataille, mais ils perdent la guerre. Aucun embargo ne peut effacer les images horribles venant des Philippines », a ajouté Mack.

Une version de cet article a été publiée en hébreu sur Local Call.

Orly Noy est éditrice à Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose farsi. Elle est membre du bureau exécutif de B’Tselem et militante dans le parti politique Balad. Ses écrits s’intéressent aux lignes qui intersectent et définissent son identité comme Mizrahim, femme de gauche, femme, migrante temporaire vivant à l’intérieur d’une immigrante permanente et le constant dialogue entre elles.

Trad. CG pour l’Agence Media-Palestine

Source: +972

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