Pourquoi l’homme qui a rédigé la définition de l’IHRA condamne son utilisation

Kenneth S. Stern témoigne devant le Congrès américain à propos de la définition de l’IHRA. Novembre 2017

L’homme qui a rédigé la définition IHRA de l’antisémitisme condamne son utilisation pour limiter la liberté d’expression.

George Wilmers, le 1er août 2018

Selon les derniers critères hystériques du lobby israélien*(#note en bas de page) et son camp de partisans, le rédacteur à l’origine de la dite définition IHRA de l’antisémitisme, sioniste avéré, devrait lui même être classé comme antisémite, ou peut-être « kapo ». Car telle est la conclusion à laquelle on doit aboutir si on accepte l’affirmation que quiconque met en doute n’importe quel aspect de saintes écritures qu’est devenue la définition de l’IHRA est un antisémite – voyez ici et ici.

Le rédacteur de ce qui a été communément connu plus tard comme la définition EUMC ou IHRA de l’antisémitisme, assortie de ses exemples associés, était le procureur américain Kenneth S. Stern. Cependant, dans un témoignage écrit soumis l’année dernière au Congrès américain, Stern a reproché l’utilisation de sa définition d’origine dans un but complètement différent de celui pour lequel elle avait été conçue. D’après Stern, elle avait été conçue à l’origine comme une « définition de travail » dans le but de standardiser la collecte des données sur l’incidence du crime de haine antisémite dans les différents pays. Il n’avait jamais été prévu qu’on puisse l’utiliser en tant que dispositif juridique ou réglementaire pour refréner la liberté d’expression académique ou politique. Et pourtant, c’est ainsi qu’on l’utilise maintenant. Dans ce même document, Stern condamne spécifiquement comme inappropriée l’utilisation de la définition dans ce but là, mentionnant en particulier la répression de la liberté d’expression dans des universités britanniques, faisant référence aux exemples des universités de Manchester et de Bristol. Voilà ce qu’il écrit :

La « définition de travail » de l’EUMC a récemment été adoptée au Royaume Uni et appliquée aux campus. Un événement, « la Semaine de l’Apartheid israélien », a été annulé sous prétexte qu’il violait la définition. On a demandé à un survivant de l’holocauste de modifier le titre d’un exposé universitaire, et l’université [Manchester] a exigé qu’il soit enregistré, après qu’un diplomate israélien [l’ambassadeur Regev] se soit plaint que le titre violait la définition. [Voyezici]. Peut-être plus insigne, une association non universitaire, faisant référence à la définition, a demandé à une université de mener une enquête pour antisémitisme contre une professeure (diplômée de Columbia) en se référant à un article qu’elle avait écrit des années auparavant. L’université [Bristol] a alors mené l’enquête. Et, tandis qu’elle ne découvrait aucune raison pour punir la professeure, l’épreuve elle même était glaçante et digne du McCarthyisme. [ajouter des guillemets – GW]

Bien sûr, les associations, condamnées par Stern, qui étaient derrière cette répression de la liberté d’expression digne de McCarthy sont exactement les mêmes que celles qui sont maintenant engagées dans la vendetta actuelle contre Corbyn. Par exemple, dans le cas de la chargée de cours de l’université de Bristolqui a été soumise à une enquête après de fausses accusations d’antisémitisme, il s’agissait de la mal-nommée Campagne Contre l’Antisémitisme, en réalité une association lobbyiste agressivement pro-israélienne qui avait demandé qu’elle soit renvoyée si elle ne se rétractait pas.

Avec éloquence, Stern reconnaît clairement l’absurdité logique intrinsèque et la menace sur la liberté d’expression qui émerge de tentatives cohérentes menées pour interdire la liberté d’expression lorsqu’il s’agit d’Etats ou de gouvernements :

Imaginez une définition conçue pour les Palestiniens. Si « Dénier au peuple juif son droit à l’autodétermination et dénier à Israël le droit d’exister », c’est de l’antisémitisme, alors est-ce que « Dénier au peuple palestinien son droit à l’autodétermination et dénier à la Palestine le droit d’exister » ne devrait-ce pas être de l’anti-palestinianisme ? Demanderaient-ils alors aux administrateurs de maintenir l’ordre et pourquoi pas de dénoncer les événements universitaires organisés par des associations pro-israéliennes qui s’opposent à la solution à deux Etats ou qui prétendent que le peuple palestinien est un mythe ?

Kenneth Stern est un sioniste et certainement pas de gauche. Cependant, à son crédit, l’auteur à l’origine de la définition de l’IHRA est un constant défenseur de la liberté d’expression qui condamne l’usage McCarthyiste actuel de la définition de l’IHRA.

Alors, l’auteur sioniste de la définition IHRA de l’antisémitisme est-il un antisémite caché qui s’est maintenant dévoilé ? Pourrait-il être la vieille taupe d’une secrète conspiration internationale d’antisémites menée par Jeremy Corbyn ? Peut-être Nick Cohennous donnera-t-il la réponse ?

Quant à tous les textes sacralisés, le processus politique par lequel la définition de l’IHRA a acquis son interprétation actuelle et son caractère sacré chez les dévots fanatiques est encore enveloppé de mystère, malgré quelques tentatives intéressantes – ici,iciet ici– pour enquêter sur sa courte histoire de 14 ans. On doit à l’abandon d’un raisonnement rationnel dans le discours public officiel que les détails de la définition et ses insuffisances évidentes en tant que texte juridique ou quasi-juridique soient un sujet tabou dans les principaux médias +(#note en bas de page). Malgré une croyance contraire généralisée et son « adoption » par le gouvernement britannique, la définition de l’IHRA n’a pas de statut juridique au Royaume Uni, et ceci pour une très bonne raison : comme cela a été souligné par d’importantes personnalités juridiques telles queHugh Tomlinsonet Stephen Sedley, non seulement ce n’est pas une définition appropriée à des fins juridiques, mais son adoption juridique par quelque autorité publique que ce soit serait en conflit avec les droits garantis existants de liberté d’expression cautionnés par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Néanmoins, la campagne de propagande pour le culte de l’IHRA a tellement de force que, abandonnant les considérations rationnelles, la direction du parti Travailliste s’est sentie obligée de s’incliner devant le statut sacré de l’IHRA, même si elle a cherché discrètement à modifier le texteafin d’atténuer certains de ses effets draconiens. Mais malheureusement, on ne peut tirer de la farine d’un sac de son. Aussi, quelque puissent être nos opinions au sujet du sac de son dans son contexte original, nous devons être reconnaissants envers l’homme qui l’a confectionné pour avoir fait ressortir ses évidentes limites avec tant de clarté.

Notes

*J’utilise le terme « Lobby Israélien » comme une abréviation pour évoquer ceux qui portent des accusations fausses ou diablement exagérées d’antisémitisme contre le parti Travailliste pour camoufler leurs véritables buts qui sont (a) de rendre impossible le militantisme pro-palestinien au Parti Travailliste, et (b) de s’assurer que Corbyn soit destitué de son poste de dirigeant du Parti Travailliste. En réalité, comme l’a maintes fois fait remarquer Moshe Machover, il s’agit d’une coalition branlante d’associations politiques plutôt différentes qui vont du centre-droit à l’extrême droite et dont certaines sont connectées à des organisations juives pro-israéliennes et de droite, mais dont d’autres n’ont aucun intérêt ou connexion ni dans le Judaïsme ni dans le conflit israélo-palestinien, mais ne font qu’utiliser l’hystérie autour de l’antisémitisme comme un moyen pour attaquer le projet politique de Corbyn. Certains ont suggéré que l’expression « lobby anti-palestinien » pourrait fournir une terminologie plus appropriée.

+ On peut prendre, comme exemple de ce total abandon d’argumentation rationnelle, la BBC, dont les présentateurs et les commentateurs de nouvelles essaient presque toujours de couper court à toute discussion sur le détail ou l’histoire de la définition de l’IHRA ou son insuffisance juridique, se concentrant exclusivement sur la supposée «  perception de la communauté juive », concept qui porte en lui même toutes les marques d’un stéréotype raciste. On trouve une exception très inhabituelle à ce comportement honteux avec la récente excellente interview du 23 juillet 2018 sur BBC News par Norman Smith de Naomi Wimborne-Idrissi où cette dernière a été respectueusement autorisée à présenter son affairesans être malmenée ni interrompue de façon partisane par l’interviewer.

L’auteur remercie Richard Kuper et Murray Glickman pour leur aide et leur conseils substantiels dans la préparation de cet article.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Jewish Voice for Labour

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