Comment les Palestiniens paient de leur vie la guerre que mène Netanyahou pour sa survie

Le style mafieux de ses acolytes, la provocation anti arabe, les bombardements de cette semaine sur Gaza et Damas : pour maintenir le premier ministre au pouvoir, tout est bon.

Par Meron Rapoport, 15 Novembre 2019 – Middle East Eye

 Deux jours de combat ont tué 34 Palestiniens, dont des femmes et des enfants, et aucun Israélien (MEE/Mohammed al-Hajjar)

Vous pouvez tirer un trait entre tous les points suivants :

·      La décision qu’auraient prise de proches conseillers du Premier ministre de harceler Shlomo Filber, un ancien assistant devenu témoin à charge dans l’un des cas de corruption ;

·      Le discours du ministre de la justice Amir Ohana qui visait à bâillonner, briser et intimider un autre ancien assistant, Nir Hefetz,  qui témoigne maintenant sur un cas de corruption ;

·      L’escalade de la violence contre les manifestants de Petah Tikvah qui dénoncent la corruption du gouvernement ;

·      Les efforts inlassables de Netanyahou pour délégitimer tout gouvernement dépendant du soutien de la Joint List principalement arabe ;

·      Et enfin, l’ordre qu’il a donné tôt le matin mardi de bombarder les lieux d’habitation de dirigeants du Jihad Islamique à Gaza et à Damas, tuant Baha Abu al-Atta et son épouse à Gaza et, à Damas, le fils (ainsi que, selon certains rapports, la petite fille) du militant du Jihad Islamique, Akram al-Ajouri.

Un comportement de style mafieux, des actes illégaux, des provocations contre des opposants, à la fois juifs et arabes – et maintenant une tentative délibérée de déclencher un conflit armé causant un danger mortel sur la vie de Palestiniens et d’Israéliens. Et tout cela dans un seul but : maintenir Netanyahou rue Balfour par tous les moyens nécessaires.

Ce dernier « round » a causé la mort d’au moins 34 Palestiniens de Gaza – dont huit membres d’une même famille – et 111 blessés à l’heure où le cessez-le-feu a pris effet, jeudi de bonne heure. Mais il se pourrait très bien qu’il y en ait plus à venir. 

Un émissaire choisi par l’histoire

Il est facile de dire que Netanyahou et ses acolytes font tout cela pour un gain personnel, de manière à continuer à jouir des avantages de leur position. Gouverner est certainement plaisant et avoir ses cigares et son champagne  gratuitement au lieu de les payer au prix fort, encore plus plaisant. Mais il y a là quelque chose de plus profond.

Netanyahou croit qu’être premier ministre a à voir avec plus que de l’ambition politique – à la manière de précédents premiers ministres comme Ehoud Olmert, Ariel Sharon ou Ehoud Barak. Netanyahou croit, comme ses interlocuteurs l’ont constamment expliqué, qu’il n’est rien moins que l’émissaire choisi par l’histoire  pour sauver le peuple juif et l’État juif. 

Ce que Jabotinsky n’a pas réussi à faire et ce que, Benzion, le père de Netanyahou, a été empêché de faire, c’est la tâche qu’il doit accomplir.  

Les gens se sont, à juste titre, moqués  d’une récente remarque du fils de Netanyahou, Yaïr, lorsqu’il a dit qu’Israël, avant que son père n’en ait pris la direction, était un État primitif qui ne faisait qu’exporter des oranges. Mais les critiques passent à côté de la réalité : il n’est pas question de faits. Il s’agit de ce que le jeune Netanyahou entend à la maison : l’État c’est moi, (dit le père) sous stéroïdes. 

Son père, l’État d’Israël et le peuple juif ne font qu’un. 

Pour lui, ne plus être premier ministre c’est ne plus être Benjamin Netanyahou. Même si un arrangement lui est proposé, Netanyahou ne peut pas imaginer se retirer pour écrire ses mémoires et ramasser des centaines de milliers de dollars de rémunérations pour des conférences. Ce serait une trahison de la tâche qu’il s’est donnée à lui-même – celle du sauveur. 

Du point de vue de Netanyahou, ne pas être premier ministre n’est pas une option. Non seulement parce qu’il sait qu’au moment où il quittera la rue Balfour, il va être au tribunal et aller très probablement en prison. Sans doute cette peur lui fait froid dans le dos, mais il y a une peur encore plus forte. 

Tous les cadeaux qu’il a reçus et toute la pression qu’il a mise à profit – illégalement selon les chefs d’accusation – pour que les media le traitent plus favorablement, deviennent justifiables à la lumière de ce sens donné à sa mission. Un émissaire de l’histoire sera-t-il mis au banc des accusés pour quelques cigares ?

On ne gobe pas l’histoire de Netanyahou

Mais les dernières élections, en avril et encore plus en septembre, ont montré que les électeurs en Israël ne gobent pas vraiment cette histoire de Netanyahou. Ils ne le voient pas comme l’émissaire de l’histoire. La plupart, représentés par 65 sièges au Parlement, ne le veulent pas comme premier ministre.

Pire encore, son principal adversaire, Benny Gantz, n’a pas écarté la possibilité « d’aller avec les Arabes » pour former un gouvernement minoritaire soutenu par la Joint List.

Cela ne conduirait pas seulement à ce que Netanyahou soit sorti de la rue Balfour  mais aussi à un effacement complet de tout son héritage, bâti comme il l’a été sur la négation de toute place pour le peuple palestinien entre le Jourdain et la mer, en Cisjordanie et à Gaza, aussi bien qu’à l’intérieur des frontières souveraines d’Israël.

L’adoption de la loi de l’État-Nation, qui a affaibli la stature du Président palestinien Mahmoud Abbas et l’Autorité Palestinienne – voilà les points culminants de cet héritage. Ils sont à l’origine des escalades récentes de Netanyahou et compagnie.

Mais le public juif n’a pas été suffisamment ému. Vrai, les manifestations de Petah Tikva pro-Netanyahou se sont développées dans les toutes dernières semaines et se font plus agressives, mais elles ne concernent que quelques milliers de manifestants. 

À présent, au moins, la rue israélienne reste essentiellement indifférente aux efforts de survie de Netanyahou. Là où s’exprime une volonté d’appuyer la cause, selon Naftali Bennett, le vote est en faveur de ce qui est connu comme le camp national-religieux, un bloc de petits partis d’extrême droite qui soutiennent le projet colonial d’Israël. 

Ce n’est pas une coïncidence si Yamina – une alliance de partis de droite qui n’a gagné que sept sièges lors de la dernière élection et dont deux des dirigeants, Bennett et Ayelet Shaked, ont échoué à atteindre le seuil électoral en avril – a trois ministres dans le gouvernement et au cabinet. 

« Un coup fatal »

Cela explique comment Amit Segal, commentateur politique chevronné de la chaîne 12 et figure de proue du camp national-religieux, né dans une colonie d’un père qui a participé à des attaques terroristes contre des Palestiniens, a été engagé par l’équipe de défense de Netanyahou, avec un risque vraisemblable de destruction de sa stature de commentateur politique de droite.

C’est aussi ce qui était derrière le post de Bennett sur Facebook le mois dernier, dans lequel il disait : « si le système judiciaire réussit à renverser Netanyahou, ce sera un coup fatal pour la totalité du camp national ». 

Bennett, comme Segal et Betzalel Smotrich, et bien d’autres représentants religieux bien connus au niveau national sont, à tout le moins, profondément préoccupés à l’idée d’un gouvernement qui ne serait pas entièrement dirigé par Netanyahou.

Ils peuvent anticiper la perte de leur statut spécial – complètement disproportionné à leur poids politique – ce statut dont ils ont joui pendant une décennie sous Netanyahou ; en particulier dans le dernier gouvernement.

Donc, toute autre considération est accessoire. Préserver l’héritage de Netanyahou, avant tout la perpétuation de la suprématie juive, l’emporte sur tout le reste. 

Presque chaque expert en politique et de toute évidence la plupart des citoyens israéliens aussi, même parmi ceux qui soutiennent les partis de droite, comprennent que la décision de tuer Abou al-Atta – ce qui n’était une réponse à aucune attaque récente – avec la reprise de la politique « d’assassinats ciblés » après une interruption de cinq ans, est tout d’abord une décision politique tendant à rendre plus difficile à Benny Gantz de seulement envisager la formation d’un gouvernement minoritaire  soutenu par la Joint List.

Que cela fut fait au prix de la vie de l’épouse de Abou al-Atta et de celle du fils de al-Ajouri n’est pas du tout pris en compte dans l’équation, ni par Netanyahou ni par l’immense majorité des Juifs en Israël.

Mais il ne compte pas non plus le nombre d’Israéliens et de Palestiniens susceptibles de payer de leur vie une autre série de cette violence, initiée par la seule initiative d‘Israël.

Pas plus qu’il ne compte les dégâts causés à la vie ordinaire à Gaza et en Israël aussi. Pour la première fois depuis la guerre du Golfe de 1991, des écoles du grand Tel Aviv ont été fermées et ce n’était pas un jour de vacances.

Cette dernière provocation peut retomber dans quelques jours mais qu’est ce qui arrivera si ce n’est pas assez, si le désordre systémique lancé par Netanyahou manque de faire dérailler le train sur lequel ses opposants cherchent à lui faire quitter la ville ?

À l’évidence, Netanyahou n’entend pas renoncer. Le succès est incertain et le terrain qui s’annonce est dangereux.

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Middle East Eye

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