Trois jours épouvantables d’une couverture continue, et une photo qui restera à jamais dans ma mémoire

Mohammed Zaanoun et Anne Paq – 15 novembre 2019 – Mondoweiss

Cette photo prise le 12 novembre montre Fatma Abu al-Atta pleurant lors de l’enterrement de son père, le haut commandant du Jihad islamique, Bahaa Abu al-Atta, tué par une attaque israélienne avec son épouse Asma. (Photo : Mohammed Zaanoun/Activestills.org)

Dès le début de ces nouvelles attaques israéliennes lancées contre la bande de Gaza le 12 novembre, Mohammed Zaanoun, photographe primé et membre du collectif de photographes Activestills, s’est précipité dehors avec sa caméra et, une fois de plus, il a documenté les conséquences épouvantables des attaques israéliennes ; courant entre les lieux bombardés, les hôpitaux et les enterrements. 

Selon le centre des droits de l’homme Al Mezan, 34 Palestiniens ont été tués en trois jours, et 82 autres ont été blessés. Sept maisons, un élevage de dindes et un atelier de menuiserie ont été complètement rasés, tandis que 67 maisons et 15 bâtiments scolaires étaient également endommagés. Dans les mêmes temps, des centaines de roquettes ont été lancées sur Israël, mais sans faire de blessés sérieux.

Le coût de leur personne et le traumatisme pour les photographes qui ont documenté de telles atrocités sont rarement mis en évidence.

Mais Mohammed a décidé cette fois de réfléchir sur ces trois derniers jours et de partager ses impressions dans un long article publié sur sa page Facebook :

« Je crois que c’est un rêve, mais malheureusement je me réveille, terrifié par les bombardements. Je consulte les nouvelles sur les plates-formes des médias sociaux. Puis je m’habille et je sors de ma maison à 6 heures du matin, en vitesse. Ma très chère mère me dit :‘Tu dois aller faire ton devoir, mais je ne veux pas entendre de mauvaises nouvelles, fils chéri. Prends garde ! Je ne veux pas te perdre’. Je poursuis mon chemin vers l’hôpital Al-Shifa, où j’immortalise avec les photos la douleur des blessés.

« Puis, je me dirige vers les maisons démolies. Je me fais aussi l’écho de la colère et de la douleur des familles endeuillées, qui ont perdu des êtres chers et des membres de leur famille. Quand la petite éclate en sanglots, je crois que pas un mot ne peut décrire sa douleur… Je quitte la fillette, et son visage va rester gravé dans ma mémoire. Chaque fois que je regarde les photos, j’imagine ce qui se passerait si je perdais un membre de ma propre famille.

« En fait, c’est une scène big-bang dont mon cœur est attristé. Je commence à prendre des photos des évènements en cours. Et plus il y a de bombardements, plus il y a de martyrs à mourir.

« Avec mes collègues journalistes, ces trois derniers jours, nous avons pris la plupart du temps nos photos du haut d’un immeuble. Quand je retourne à l’hôpital Al-Shifat, j’entends parler du bombardement sur la famille Ayyad, dans l’est de la ville de Gaza. De façon surprenante, les ambulances évacuent un grand nombre de blessés graves et de martyrs. Je vois un jeune dont j’ose à peine tenter de voir son visage ensanglanté. 

Des scènes à l’hôpital d’AlShifa. (Photo : Mohammed Zaanoun/Activestills.org)

« À ce moment-là, de mon esprit jaillissent des souvenirs des précédentes agressions que j’ai couvertes en 2008, 2012 et 2014. Je rentre chez moi, pour revoir mes photos douloureuses dans mon appareil. Et je veux entendre les cris des femmes et les gémissements des enfants ; je sens que c’est la première fois que j’assiste à de telles scènes ! Malgré mon énorme angoisse, je me décide à publier cette photo qui va devenir virale une fois en ligne. Je crois qu’un photographe se doit de ressentir de l’émotion avec ses photos, car beaucoup de photos nous forcent à pleurer. La scène quotidienne à Gaza est dépeinte à travers ses martyrs, ses veufs et ses veuves, ses orphelins et ses maisons détruites. J’espère vivre une vie correcte sans autres nouvelles tragiques. Enfin, j’apprécie vraiment les journalistes et les militants des médias sociaux pour avoir fait connaître la souffrance et la détresse de la bande de Gaza ».


Le travail de Mohammed a été largement partagé, et certaines des photos qu’il a prises ces derniers jours sont devenues virales sur les médias sociaux. Elles ont à leur tour inspiré d’autres photographes, qui ont repris ses photos et en ont fait des œuvres d’art. 

En voici quelques exemples :

Atta par Belal Khaled. (Image : Instagram.com/belalkh)

Belal Khaled, artiste palestinien de Gaza renommé, vivant aujourd’hui en Turquie, a transformé la photo d’Abu al-Atta en un portrait. Commentant le portrait, Belal déclare : « L’occupation israélienne a tué ses parents le jour de son anniversaire. Fatma ne fêtera plus son anniversaire parce qu’Israël l’a transformé en un massacre dont elle se souviendra, tous les ans ».

Un dessin d’Elham Al Astal. (Image : instagram.com/artistelham)

Elham Al Astal est une artiste qui vit dans la bande de Gaza. Elle s’est inspirée de la photo de Mohammed pour en faire un personnage dans son dernier dessin.

Elle a dit à propos de la photo de Mohammed : « C’est une image vraiment profonde. Elle évoque énormément de douleur et de souffrance, et une larme brûlante tombe de ses yeux, en silence. Le silence ici parle plus fort qu’un million de mots que l’on pourrait dire ou que cette fille pourrait exprimer.

« L’image est très précise et remplie d’émotions, et elle revêt mille significations. Pour ces raisons, je l’ai choisie pour être l’un des personnages que j’ai dessinés dans mon dernier tableau ».

Une représentation d’Amjad Abu Samarah, graphiste concepteur de Gaza. (Image : instagram.com/amjad.samra.98)

(Image instagram.com/dinadraws)

Dina est une artiste palestinienne de Gaza qui vit en Europe (nom de famille non divulgué). Quand on lui demande ce qui l’a émue dans la photo de Mohammed, elle répond : « Je suis une orpheline, j’ai perdu mon père, et c’est pour cela que je peux m’identifier à cette enfant qui a perdu son père et sa mère. L’image a voyagé dans le monde entier, je l’ai trouvée partout et son message est très clair. Le photographe était sincère quand il a pris ces photos sous cet angle et il a pu communiquer cette émotion à tous ceux qui ont vu la photo. C’est pourquoi j’ai dessiné cette photo et je l’ai incarnée dans l’esprit de l’humanité en mettant en valeur la déchirure sur sa joue ».

Image : Fatma Abou Al-Ataa, par Alaa’ Alluqta, une artiste de renom de Gaza. (Image : facebook.com/alaa.allagta)

Une œuvre d’art de l’artiste de renom Alaa’ Alluqta de Gaza. Il a écrit sur l’image le nom de l’adolescente qui a été photographiée : Fatma Abou Al-Ataa, durant les adieux à ses parents martyrs.

Image d’Ahmad Alsaydawi (photo : Facebook)

Un montage réalisé par le graphiste concepteur palestinien Ahmad Alsaydawi, vivant à Gaza.

Après avoir vu toutes les œuvres d’art réalisées,  et inspiré par ses photos, Mohammed a dit : « Je suis très heureux que l’image de l’enfant en pleurs se soit répandue, et que les artistes palestiniens aient été si créatifs en dessinant cette photo aujourd’hui devenue une icône. Le monde a besoin d’être ému par de vrais sentiments et cette image montre le vrai visage de l’oppression et de l’injustice. En tant que photojournaliste, j’ai pris tant de photos, mais il y a des photos comme celle-ci qui reste en dans ma mémoire ».

Mohammed Zaanoun

Mohammed Zaanoun est photojournaliste chez Activestills.

Anne Paq

Anne Paq est photographe française, membre du collectif de photographes Activestills. Elle est actuellement de retour en Palestine et travaille sur un projet à long terme sur Gaza appelé « Familles disparues ».

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

Source: Mondoweiss

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