Une question de crédibilité pour l’ONU : Publier la base de données sur les colonies

Par Nada Awad et Maha Abdullah, le 19 novembre 2019

Le 13 août 2014 à Jérusalem Est principalement arabe, un Palestinien marche à côté d’une affiche qui appelle les gens à boycotter les produits israéliens après l’offensive militaire israélienne sur la Bande de Gaza. L’affiche dit : « Blocus pour Blocus, boycottez les jusqu’à ce qu’ils lèvent le blocus de Gaza. » Photo de Saeed Qaq

Des centaines de Palestiniens, membres d’organisations régionales et internationales, ont appelé le précédent et l’actuelle Haut Commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme à publier la base de données de l’ONU sur les sociétés engagées dans des activités avec les colonies illégales d’Israël. Bien que la résolution de 2016 du Conseil des Droits de l’Homme ait demandé la publication de cette base de données au cours de la 34ème session du Conseil des Droits de l’Homme en mars 2017, le Haut Commissaire d’alors, Zeid Ra’ad Al-Hussein, a failli à le faire – et l’actuelle Haut Commissaire, Michelle Bachelet, continue de manquer à cette responsabilité tout en ne cessant de répéter qu’elle sera assumée.1

Une fois publiée, la base de données serait un outil important pour détourner l’implication d’entreprises dans les violations des droits de l’Homme, les graves entorses au droit humanitaire international et les crimes internationalement reconnus, tout en permettant d’accroître la transparence des sociétés qui profitent de et contribuent à l’entreprise de colonisation illégale israélienne.

L’ONU a récemment priorisé la protection des droits de l’Homme et des standards juridiques internationaux dans le contexte de l’activité des entreprises – sauf en ce qui concerne la Palestine. Par exemple, en août 2019, le rapport de la Mission Exploratoire Internationale Indépendante de l’ONU sur le Myanmar a listé plusieurs sociétés, dont des sociétés étrangères, liées à l’armée du Myanmar et aux violations continues des droits de l’Homme. Ce rapport découlait des Principes Directeurs de l’ONU sur le Commerce et les Droits de l’Homme et leur cadre intitulé « Protéger, Respecter et Réparer ». La base de données de l’ONU sur les entreprises impliquées dans les colonies israéliennes, censée être mise à jour annuellement, aiderait à renforcer ces lignes directrices de l’ONU dans le contexte de l’occupation israélienne.

La Palestine : Toujours l’exception

La pression politique exercée par les Etats, notamment Israël et les Etats Unis, ainsi que par les lobbies, a vraisemblablement été la cause du retard de la base de données. Certains Etats ou acteurs ont reculé. Vingt-sept Etats membres de l’ONU, par exemple, ont redit, au cours de la session du Conseil en juillet 2019, que la Haut Commissaire et son bureau devaient « conduire et exécuter leurs mandats de façon indépendante et sans interférence ». Au cours de la même session, 65 Etats membres ont réclamé que la Haut Commissaire exécute urgemment le mandat de la base de données dans son intégralité.

A la session du Conseil de septembre 2019, l’Afrique du Sud a réclamé une explication à l’échec de la publication de la base de données, concluant par ces mots : « Il n’est pas possible que les puissants et les riches continuent de violer les droits fondamentaux des Palestiniens au nom du profit. » Plus récemment, en octobre 2019, le Rapporteur Spécial sur la Situation des Droits de l’Homme dans les Territoires Palestiniens Occupés depuis 1967, Michael Lynk, a demandé à la Haut Commissaire de publier la base de données « de façon absolument transparente, avec le nom de toutes les entreprises ».

Cependant, les parlementaires, dont ceux de Belgique, du Chili, des Pays Bas, de Suède et du Royaume Uni, ont demandé la publication de la base de données dans leurs communications avec la Haut Commissaire et avec leurs gouvernements.

Si le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU succombe à la pression politique concernant ce mandat, ce serait vraisemblablement une première. Un tel manquement impliquerait que les droits de l’Homme soient politisés et financiarisés, et que les intérêts de l’État et des entreprises foulent au pied les droits de l’Homme. La décision de savoir si l’on remplit le mandat de la base de données est un test important pour l’application et le renforcement prétendument universels du cadre juridique et des standards des droits de l’Homme internationaux, tout en testant la crédibilité du Bureau du Haut Commissaire et de ses différents organes.

Recommandations politiques

*La communauté internationale, et particulièrement les Etats membres de l’ONU, doivent chercher activement à faire exécuter le mandat de la base de données en continuant à encourager la Haut Commissaire et son bureau à la publier et à la mettre à jour.

*Les organismes politiques palestiniens compétents et les représentants diplomatiques dans le monde devraient davantage prioriser la base de données et sa publication. Si la base de données n’est pas publiée d’ici mars 2020, la Mission palestinienne à l’ONU devrait, au cours de la prochaine 43ème session du Conseil des Droits de l’Homme, ajouter une clause opératoire réaffirmant l’obligation de publier officiellement la liste des sociétés et de mettre à jour annuellement la base de données.

*Les sociétés civiles palestinienne et internationales devraient envisager une campagne populaire, ciblant la date du mois de mars, qui réaffirme l’importance de la base de données et de sa publication.

Pour en savoir plus sur la base de données de l’ONU, voir SVP le commentaire de mai 2018 de l’analyste politique d’Al-Shabaka Valentina Azarova, ici.

Nada Awad

Membre politique d’Al-Shabaka, Nada Awad a obtenu une maîtrise en Relations Internationales et en Sécurité Internationale à Sciences Po Paris. Elle travaille sur les violations des droits de l’Homme dans la zone arabe en tant qu’agent de liaison international à l’Institut Cairo pour l’Etude des Droits de l’Homme (CIHRS). Elle était auparavant responsable de l’unité de Défense au Centre d’Action Communautaire de l’université Al-Quds, où elle s’est concentrée sur la question du transfert forcé des Palestiniens hors de Jérusalem. Elle a également travaillé comme archiviste à l’Institut d’Etudes Palestiniennes à Beyrouth.

Maha Abdullah

Maha Abdullah est principale chercheuse juridique et responsable de plaidoyer à Al Haq, concentrée sur entreprises et droits de l’Homme et responsabilisation des entreprises dans les territoires occupés et les paramètres affectés par le conflit.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Al-Shabaka

Retour haut de page