Mes enfants sont trop jeunes pour si bien connaître la guerre

Il est temps que la communauté internationale tienne Israël pour responsable de ses violations des droits et de la liberté des Palestiniens, à Gaza et au-delà.

Par Ahmed Abu Artema, 21 Novembre 2019

Un jeune garçon palestinien nu pieds et d’autres personnes regardent un cratère creusé pendant la nuit par des frappes de missiles israéliens qui ont détruit une maison et tué huit membres de la famille Abu Malhous, le 14 novembre 2019 à Deir al-Balah, au centre le la Bande de Gaza. (AP Photo / Khalil Hamra)

Lorsqu’à débuté, la semaine dernière dans la Bande de Gaza, la dernière escalade de violence, je venais juste de partir pour un voyage à l’étranger, laissant derrière moi ma femme, quatre enfants et ma famille agrandie supporter tous seuls la terreur des bombardements israéliens.

Il est difficile de mettre des mots sur l’anxiété et l’inquiétude qui naissent quand vous réalisez que votre femme, vos enfants et les autres êtres qui vous sont chers sont en danger. Comme tant d’autres Palestiniens de Gaza qui se sont retrouvés hors du territoire, je ne pouvais empêcher ma main de parcourir les réseaux sociaux, à la recherche des dernières nouvelles sur mon téléphone. « Maintenant, ils attaquent relativement loin de chez moi, donc mes gamins dormiront tranquillement cette nuit », c’est ce que je penserais à un moment. Puis, quelques minutes plus tard, après une autre mise à jour, « Maintenant ils se rapprochent de notre quartier. Ca va être une rude nuit pour mes petits. »

Autrefois, quand Israël attaquait Gaza, mon petit garçon Abdul Rahman courait se jeter dans mes bras en hurlant de terreur lorsqu’il entendait tomber les bombes. J’ai toujours essayé d’adoucir la cruelle réalité en lui disant : « Regarde, mon fils, ces bombes sont très loin et elles tombent dans la mer, pas près de nous, aussi, chaque fois que tu les entendras à nouveau, je veux que tu saute très haut dans les airs, que tu ris et cries « Hey !’ » Je crois vraiment que, si nous ne pouvons pas modifier la rude réalité, nous pouvons au moins apaiser nos esprits comme un moyen pour l’affronter.

Cette fois-ci, le sommet de l’escalade a coïncidé avec le quatrième anniversaire de ma fille Batoul. Ma femme projetait une petite fête pour que ma fille puisse célébrer son anniversaire avec ses amis du jardin d’enfants, mais l’attaque israélienne a bouleversé toutes les activités à Gaza, et tout a été annulé. Ce soir-là, j’ai demandé à Batoul au téléphone : « Tu as fêté ton anniversaire, ma chérie ? » Elle a répondu : « Je le ferai quand la guerre sera finie, papa. » Mon coeur s’est serré. Ma petite fille de 4 ans venait tout juste d’ajouter un mot à son vocabulaire, « la guerre ».

Cette dernière escalade de violence a débuté le 12 novembre avec l’assassinat par Israël du commandant militaire du Jihad Islamique, Baha Abu el-Ata. Alors que sa famille dormait, Abu el-Ata et sa femme ont été tués. Le lendemain matin, leurs enfants se sont réveillés pour se retrouver orphelins. En réponse, les factions de la résistance ont tiré un certain nombre de projectiles artisanaux en direction d’Israël tandis que les avions de guerre israéliens lâchaient un bien plus grand nombre de bombes sur Gaza. Dès jeudi, cette agression avait tué 34 Palestiniens à Gaza, dont au moins huit enfants et huit membres de la famille Abu Malhous. Elle en avait blessé plus de cent autres.

Les Abu Malhous étaient une famille pauvre qui vivait dans une maison misérable du camp de réfugiés de Dir el-Balah. Ils se sont couchés cette nuit-là, mais ils ne se sont jamais réveillés. A minuit, les avions de guerre israéliens ont fait pleuvoir des missiles sur eux et ont détruit leur maison. En un clin d’oeil, les Israéliens ont transformé leur maison en un tas de ruines et les ont tous tués, y compris cinq enfants.

Le 14 novembre, la pluie de mort a finalement cessé avec une fragile déclaration de cessez-le-feu. Mais tant qu’Israël continue de jouir de l’impunité pour ses actions illégales et que les causes sous-jacentes de la violence sont ignorées – c’est-à-dire le siège cruel et illégal de Gaza par Israël et le déni du droit des réfugiés palestiniens à revenir sur leur terre natale d’où ils ont été expulsés au moment de la création d’Israël – ce n’est qu’une affaire de temps avant que cela ne se reproduise, la population de Gaza subissant encore une fois le choc de la souffrance et de la destruction.

Comme pour les précédentes agressions israéliennes contre les Palestiniens de Gaza, la dernière attaque a commencé sans provocation. Ce que toutes les agressions ont en commun, c’est qu’elles font partie d’une stratégie israélienne pour briser la volonté des Palestiniens et effacer notre existence.

Pourtant, Israël n’arriverait pas à se moquer du droit international et à commettre ces crimes contre les Palestiniens, à Gaza et ailleurs depuis plus de 70 ans, sans l’aide et la protection des Etats Unis et d’autres gouvernements occidentaux. Ces gouvernements autorisent et encouragent les éléments les plus dangereux et extrêmes d’Israël avec le soutien politique, militaire, financier et moral qu’ils leur fournissent, l’exemple le plus récent étant le renversement par l’administration Trump de la très ancienne reconnaissance par les Etats Unis de l’illégalité de la colonisation israélienne.

Il est temps pour le monde de dire enfin à Israël que trop c’est trop, qu’il doit mettre fin à son siège et au blocus de Gaza maintenant, et accorder à nous Palestiniens notre liberté et nos droits. Et il est temps pour les gens de conscience d’exercer une forte pression sur Israël sous forme de boycotts, de désinvestissement et de sanctions s’il ne le fait pas.

Ahmed Abu Artema

Ahmed Abu Artema est un écrivain indépendant qui vit à Gaza, un acteur des réseaux sociaux, et l’un des organisateurs de la Grande Marche du Retour.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Nation

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