Le traumatisme d’envoyer des enfants de Gaza lutter seuls contre la maladie

En 2019, plus de parents de Gaza ont pu se déplacer avec leurs enfants pour qu’ils soient traités en dehors de la Bande. Mais les chiffres ne tiennent pas compte d’un élément crucial de la réalité.

Ghada Majadle – +972 – 9 janvier 2020

Une jeune Palestinienne se rétablit avec sa mère à ses côtés après avoir subi un cathétérisme cardiaque au centre médical Wolfson, à Holon, une ville du centre d’Israël, le 11 avril 2018. (Hadas Parush/Flash90)

Il y a eu moins d’enfants de Gaza à être séparés de leurs parents quand ils reçurent des soins à l’extérieur de la Bande en 2019 qu’au cours de l’année précédente, selon des statistiques du Coordinateur des Activités gouvernementales dans les Territoires (COGAT), l’organisme militaire israélien chargé de l’administration de l’occupation et du blocus. Cela peut apparaître comme une amélioration, mais ce que ces données omettent de montrer, c’est l’anxiété et le traumatisme infligés à ces enfants et à leurs familles, en raison des restrictions aux déplacements imposées par Israël.

Entre octobre 2018 et juillet 2019, 21 % des enfants qui ont été traités en dehors de la Bande n’ont pu être accompagnés de leurs parents, à comparer avec les 56 % entre février et septembre 2018. Même avec cette évolution positive, c’est un enfant sur cinq de Gaza qui a dû être traité sans sa mère ou son père à ses côtés.

Les données, fournies à l’organisation Médecins pour les droits de l’homme-Israël (PHRI), montrent aussi qu’en 2019, 4165 autorisations ont été délivrées pour un accompagnement des parents, et 5289 pour des mineurs. Entre février et septembre 2018, 1859 autorisations  seulement ont été délivrées pour un accompagnement des parents contre 4581 pour des mineurs.

Ces chiffres en progrès font que peut-être, de nombreuses familles de Gaza ont été soulagées, mais il reste important de discuter sur ce que cachent ces chiffres.

Les parents à qui il fut refusé l’autorisation d’accompagner leur enfant ont été obligés d’envoyer leur enfant dans des hôpitaux escortés par des proches ou des étrangers. Ces autres personnes étaient généralement des personnes âgées, dont les demandes d’autorisations ne demandent qu’un délai relativement court pour être traitées par l’armée, ou qui n’ont pas besoin de subir des contrôles de sécurité. Dans les autres cas, en raison du rejet des demandes des parents, les enfants sont privés d’un traitement médical vital, et parfois même, urgent.

La politique de l’armée israélienne en matière d’autorisation médicale concernant Gaza ne tient aucun compte des conséquences mentales et physiques qu’elle fait subir aux enfants qui ont besoin de soins ou à leurs parents. Cette situation est manifeste dans le traitement par PHRI des demandes d’aides par les parents palestiniens dont les tentatives d’accompagner leur enfant en dehors de Gaza ont été rejetées.

Israël considère sa concession d’une autorisation de sortie pour motif médical comme un geste humanitaire, puisqu’il estime n’avoir aucune obligation, en aucune manière, envers les habitants de la bande de Gaza. Par conséquent, il attend de nombreux parents palestiniens qu’ils n’insistent pas sur le droit à la santé de leur enfant, mais qu’ils acceptent docilement et avec reconnaissance ce qu’Israël est disposé à leur concéder.

L’organisation PHRI a exigé à plusieurs reprises que les autorités militaires accordent plus d’intérêt à la garantie que les enfants hospitalisés aient leurs parents à leurs côtés, et qu’elles évitent de compromettre potentiellement les chances de rétablissement des enfants en refusant à leurs parents le droit de les accompagner. Israël a justifié alors son rejet de ces autorisations en faisant valoir qu’une autre autorisation était accordée à la place à un autre proche, et que l’enfant se rendait quand même dans l’établissement de soins.

Il est prévisible, mais non moins frustrant,  que l’appareil sécuritaire minimise les préoccupations des Palestiniens en matière de santé. Cependant, il est encore plus décevant de voir la communauté médicale israélienne acquiescer à cette situation. Cette communauté a capitulé de façon générale devant une réalité où les enfants sont coupés de leurs parents pendant qu’ils reçoivent un traitement médical – un état de chose qui peut conduire à l’anxiété et à des graves douleurs.

La communauté médicale partage l’opinion qui prévaut en Israël concernant l’importance de la présence des parents auprès de leurs enfants quand ils reçoivent des soins. Cette exigence est clairement énoncée dans les directives du ministère de la Santé, ce qui fait qu’il est anormal qu’un mineur se présente seul à un rendez-vous médical. Alors pourquoi les professionnels de la santé ne dénoncent-ils pas ces directives et ne font-ils pas pression pour le libre passage des parents depuis Gaza ?

En estimant que la présence d’un autre membre de la famille est suffisante, tant l’armée que la communauté médicale israéliennes normalisent des niveaux de traitement bien plus inférieurs pour les enfants palestiniens de Gaza que pour les enfants israéliens. Cette divergence provient de la déshumanisation de longue date des Palestiniens de Gaza, et qui la rend possible.

Les trajets que les familles de Gaza doivent parcourir jusqu’à ce que leurs enfants partent pour un traitement – qu’ils soient accompagnés par leurs parents ou par des proches plus éloignés – sont longs, ardus, et accablés d’un sentiment d’absence de contrôle, de crainte pour ce que vont devenir leurs enfants, et d’un profond sentiment d’injustice. Tout parent qui demande l’autorisation d’accompagner attend avec nervosité la réponse de l’armée. La menace de voir l’autorisation refusée et, par suite, de voir l’enfant manquer potentiellement son rendez-vous est un souci omniprésent. En outre, si leur demande reste sans réponse ou est refusée, les parents devront rechercher un autre accompagnateur, ou risquer de devoir relancer encore une fois le processus bureaucratique.

De nombreux parents qui se sont adressés à PHRI au cours de l’année passée ont dû attendre pendant des mois avant de recevoir une autorisation pour un autre proche. Une fois que l’enfant est parti pour son traitement avec ce proche, les parents déposent une nouvelle demande afin de remplacer l’accompagnateur, en espérant que la réponse arriverait à temps et leur permettrait de rejoindre leur enfant. Le plus souvent, ces demandes restent sans réponse ou sont, une fois encore, rejetées.

Des dizaines de parents et d’enfants de la bande de Gaza passent par cette épreuve, chaque mois. Ces enfants sont confrontés à la maladie et à la douleur dans un environnement inconnu, avec leurs parents qui attendent à des heures de distance, inquiets et impuissants. Aucun parent ne veut envoyer son enfant loin de sa maison pour combattre, seul, la maladie, même accompagné par un autre proche. Nous ne devons pas normaliser cette sinistre réalité simplement parce que ce sont des familles palestiniennes de Gaza.

Ghada Majadle est la coordinatrice de la liberté de mouvement de Médecins pour les droits de l’homme en Israël.

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

Source: +972

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