Yossi Beilin conseille Israël sur la façon d’esquiver le « problème » de la CPI

Par Jonathan Ofir, 10 janvier 2020

[Photo de Yossi Beilin, ancien ministre de la Justice d’Israël]  

Israël est confronté à un nouveau genre de problèmes depuis l’annonce par la Cour pénale internationale qu’elle mènerait une investigation complète des crimes de guerre commis en territoire palestinien occupé (Cisjordanie et Gaza) — tout en restant en attente d’une décision de la chambre préliminaire à propos de l’étendue du « territoire ».

Certains, comme Benny Gantz, le centriste rival de Netanyahu, rejettent directement la compétence de la Cour. Gantz a déclaré que sa décision était « politique, et non juridique », ajoutant que « l’armée israélienne est l’une des armées les plus morales dans le monde » et que l’« armée israélienne et l’état d’Israël ne commettent pas de crimes de guerre ».

Mais il y a aussi ceux un peu plus à gauche dans le spectre sioniste, qui cherchent une approche un petit peu plus sophistiquée, un peu moins grossière, une approche qui soit aussi peut-être un peu plus astucieuse. Entre en scène Yossi Beilin. Beilin est un sioniste de gauche qui a été en particulier ministre de la justice sous Ehud Barak en 1999-2001 et qui est connu comme l’un des architectes des accords d’Oslo dans les années 1990, car il a conduit beaucoup des négociations en coulisses qui y ont mené. Beilin a aussi dirigé Meretz (plus à gauche que le parti travailliste), donc il a l’aura d’un libéral cherchant la paix.

Cette aura est ce qui rendu son récent article dans Al-Monitor, intitulé « Au lieu de la calomnier, Israël devrait rejoindre la CPI » encore plus perturbant.

Beilin l’ouvre par un paragraphe qui, venant de lui, peut être compris comme partiellement ironique :

«  Cela fait un moment qu’Israël a un nouvel ennemi diabolique menaçant son existence même. L’annonce le 20 décembre de la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, qu’elle avait trouvé ‘un motif raisonnable’ de soupçonner que des crimes de guerre israéliens ont été, et sont toujours, commis en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza et qu’elle demandait une décision de la Cour pour ouvrir une investigation a fait de cette juriste née en Gambie et de la Cour elle-même nos ennemis jurés. »

Beilin joue ostensiblement sur la diabolisation de la CPI et de Bensouda qui a figuré dans les médias israéliens majeurs. Puisque cela vient de lui, il pourrait toujours se défendre en disant que c’est de l’ironie. Mais il est très sérieux sur le fait que l’affaire de la CPI est « un problème ». Et voici le problème : 

« La CPI a accepté les Palestiniens comme membres après la reconnaissance par les Nations Unies en 2012 de la ‘Palestine’ comme état observateur non-membre, ouvrant la voie pour que l’Autorité palestinienne engage des poursuites contre les Israéliens pour des crimes de guerre venant du transfert des citoyens israéliens vers des colonies dans les territoires occupés, en violation du droit international. Si la Cour autorise la requête de Bensouda pour ces poursuites, de nombreux Israéliens pourraient être arrêtés dès qu’ils quittent Israël et amenés devant la CPI à La Haye. L’argument principal d’Israël contre les poursuites de ses agents par la CPI ne porte pas sur le fond, il est procédural, arguant que la Palestine n’est pas un état et donc n’est pas autorisée à faire de telles demandes à la CPI. »

Mais c’est un problème qui peut être résolu « assez facilement », indique Beilin : 

« Israël peut résoudre le problème assez facilement : il a juste besoin de revenir en arrière de presque 20 ans et de ratifier le Statut de Rome. Tout état qui ratifie le traité est autorisé à obtenir un report d’action de sept ans sur n’importe quelle partie du document qu’il trouve particulièrement préoccupante. Si Israël choisit de citer la question des colonies, la CPI ne sera pas autorisée à arrêter un Israélien sur cette base jusqu’en 2028. La ratification rendrait justice aux efforts historiques judéo-israéliens d’établir la Cour et de juger des criminels individuels, et d’un autre côté éviterait la menace d’arrestation des décideurs impliqués dans l’entreprise coloniale. Indépendamment de la question de la CPI, dans les années à venir et particulièrement si un autre gouvernement est formé, Israël devra faire un ultime effort pour arriver à un accord avec les Palestiniens. Un tel accord aborderait aussi la question des colonies. Une fois l’accord obtenu, la question sera ôtée de l’agenda  international, en général, et de celui de la CPI. »

Le gros de l’article de Beilin consiste à raconter comment «  les juristes juifs furent proéminents parmi les promoteurs d’un tribunal permanent » au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et comment « les représentants israéliens ont poussé pendant des années à l’établissement d’un tribunal international pour juger des criminels que leurs pays avaient défendus et à qui ils avaient donné l’immunité pour leurs actions ». Beilin regrette qu’Israël ait finalement voté contre l’accord du Traité de Rome en 1998, accord qui a créé la CPI, et il est clair sur le pourquoi : 

« Lors du vote des Nations Unies de 1998, l’accord établissant la Cour (connu maintenant comme le Statut de Rome) a été approuvé par 120 nations, avec 21 abstentions et sept états votant contre, dont les Etats-Unis et Israël. Les Etats-Unis s’y sont opposés principalement parce que le statut stipulait que les individus pourraient être jugés par la Cour même si leurs propres pays s’y opposaient. L’opposition d’Israël est venue principalement de la résolution du traité selon laquelle le transfert de citoyens des territoires d’une puissance occupante vers un territoire occupé constitue un crime de guerre pour lequel les personnes impliquées pourraient être poursuivies. »

En d’autres termes, Beilin suggère d’acheter un peu de temps, en ratifiant le Statut de Rome, plutôt que de combattre la CPI de l’extérieur, comme elle l’était. Cela achèterait 8 ans de plus, puisque le Cour aurait à examiner la contestation d’Israël sur le fait considérer l’entreprise de colonisation comme criminelle. Beilin est clair sur le fait que ceci est la question principale, et la moins controversée, que la Cour devra discuter. Toutes les colonies israéliennes sont une violation flagrante du droit international, confirmée par de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont la plus récente est la résolution 2334 de 2018, qui a aussi été condamnée par la gauche israélienne.

L’enjeu principal pour Beilin est que ceci aiderait à « éviter la menace d’arrestation des décideurs impliqués dans l’entreprise de colonisation », et Beilin sait que ces « décideurs » incluent la gauche sioniste.  

La prétendue défense de la stratégie de Beilin est sa suggestion que cela achèterait du temps pour qu’Israël « fasse un ultime effort afin d’arriver à un accord avec les Palestiniens » et que puisqu’un tel accord devrait régler la « question des colonies », cette « question sera ôtée de l’agenda international en général et de celui de la CPI ». Mais qu’est-ce qui pousse Israël à faire « cet ultime effort » ? Notez à quel point l’ « accord avec les Palestiniens » est vague. Les accords d’Oslo, pour lesquels Beilin s’est tellement battu, ont eu comme conséquence « moins qu’un état », comme le Premier ministre d’alors, Yitzhak Rabin, l’avait promis au parlement et ils ont échoué à aller au-delà du stade initial d’une bantoustanisation effective. En fait, tous les projets de «  paix » avec les Palestiniens, y compris ceux imaginés par la gauche israélienne, étaient au mieux une autonomie palestinienne dans des bantoustans. Beilin suggère que le projet d’un «  accord » serait particulièrement valable si «  un nouveau gouvernement est formé » — mais quel « nouveau gouvernement » ? Les élections-sans-fin d’Israël ont clairement montré que si un gouvernement de droite n’est pas capable de se former, la seule option d’Israël pour un gouvernement réel est un gouvernement d’unité nationale du Likoud et du parti Bleu-Blanc, avec des gens comme Gantz sur son prétendu flanc gauche. Quand Netanyahu a annoncé récemment ses plans pour annexer la Cisjordanie, le parti de Gantz a dit qu’ils leur avaient volé l’idée. Beilin vit au pays des songes. 

Ceux qui sont un peu plus honnêtes, comme l’ancien vice-Premier Ministre et ministre de la Défense Moshe Ya’alon, l’ont dit ainsi :

« Il y a des pressions. ‘La Paix maintenant’ de l’intérieur, et d’autres éléments de l’extérieur. Donc vous devez manoeuvrer — ce que nous avons à faire est de manoeuvrer avec le gouvernement américain et l’establishment européen, qui sont nourris par les éléments israéliens [et] qui créent l’illusion qu’un accord peut être atteint — je dis que le temps travaille pour ceux qui l’utilisent. Les fondateurs du sionisme le savaient — et nous dans le gouvernement nous savons comment utiliser le temps. »

Ya’alon, qui était auparavant dans le Likoud, mais s’est déplacé vers la gauche, dans le parti Bleu-Blanc de Gantz, a déclaré cela en 2011 en réponse à la question «  Pourquoi tous ces jeux de négociations imaginaires ? ».

Merci à John Lewis-Dickerson, Ofer Neiman

Jonathan Ofir est un musicien, chef d’orchestre et blogger/écrivain israélien, basé au Danemark.

Trad. CG. pour Agence Media Palestine

Source: Mondoweiss

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