Les Nations-Unies ont raison de suivre à la trace les entreprises qui sont dans les colonies de peuplement israéliennes

Hugh Lovatt – +972 – 14 février 2020

La campagne de désinformation lancée contre une récente base de donnée des Nations-Unies vise à légitimer le mouvement colonial israélien et ceux qui, illégalement, en tirent profit.

Des travailleurs juifs israéliens en train de travailler dans l’entreprise vinicole de Beit El, dans la colonie juive de Beit El, en Cisjordanie, le 4 septembre 2019. (Hillel Maeir/Flash90)

Dans les deux semaines qui ont suivi la révélation par le Président US Donald Trump de son « accord du siècle » pour Israël et la Palestine, une épreuve de force s’est engagée entre deux visions opposées. La première exige des droits égaux pour les Israéliens et les Palestiniens, y compris sous la forme d’une solution juste à deux États, fondée sur le droit international. La seconde officialiserait l’assujettissement des Palestiniens à une domination militaire illimitée par Israël, unique souverain entre le Jourdain et la Méditerranée.

Cette épreuve de force qui, cette semaine, a suscité de profondes divisions lors de la session spéciale du Conseil de sécurité des Nations-Unies à New York, a été déplacée maintenant à Genève, après la publication par le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies d’une base de données citant 112 entreprises impliquées dans les colonies de peuplement israéliennes. Commandé en mars 2016, ce rapport a été différé plusieurs fois en raison des pressions politiques venant à la fois d’Israël, des États-Unis et de certains pays européens.

La divulgation de ce rapport est en elle-même une réussite, car il apporte une base importante pour promouvoir la responsabilité des entreprises autour de l’occupation israélienne. Mais le vrai succès – à savoir, s’il peut effectivement inciter à ne pas avoir d’activités commerciales avec les colonies – reste incertain.

Dans leur grande majorité (94 sur les 112), les entreprises listées sont des sociétés israéliennes, d’autres sont de Thaïlande, du Luxembourg, du Royaume-Uni, de France, des Pays-Bas, et des États-Unis. Elles comprennent des prestataires de services, des banques et des tour-opérateurs étrangers, toutes font partie intégrante du maintien et de l’expansion des colonies de peuplement. Ces entreprises normalisent plus encore ces colonies comme faisant partie d’Israël, tout en gommant la distinction entre l’État et les territoires qui sont le point de départ de l’État palestinien en perspective.

Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, la base de données n’est pas une mesure inédite des Nations-Unies, ni même leur plus forte. En 2003, une commission établie par le Conseil de sécurité des Nations-Unies a exposé en détail l’implication de quelque 75 sociétés qui contribuaient au conflit en République démocratique du Congo en exploitant illégalement les ressources naturelles du pays. En août 2019, des experts des Nations-Unies ont listé 59 sociétés étrangères qui avaient des liens financiers avec l’armée du Myanmar, et  ils ont demandé à ce que des enquêtes et des sanctions pénales soient conduites à leur encontre.

Une vue générale des participants à la 31e session ordinaire du Conseil des droits de l’homme, le 10 mars 2016. (UN Photo/Jean-Marc Ferré)

Par contre, la portée de la base de données sur les entreprises dans les colonies israéliennes semble plutôt minimale. Contrairement au rapport sur le Maynmar, elle n’a aucune conséquence directe au-delà des dommages éventuels sur les réputations. En outre, le bureau du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme s’en est tenu très étroitement aux critères exposés déjà dans la résolution du Conseil des droits de l’homme pour décider des entreprises à inclure.

Il reprend quelques omissions notables de ce rapport des Nations-Unies. Bien en évidence, les absents sont ceux qui sont impliqués dans l’exploitation illégale des ressources naturelles palestiniennes. Par exemple, Heidelberg Cement, qui dirige des usines et des carrières dans les zones de colonies en Cisjordanie, et dont les activités sont bien documentées. Également absente, la FIFA, dont la filiale israélienne, la Fédération d’Israël de football (IFA) compte six équipes dans les colonies en violation des propres statuts de la FIFA.

Une campagne de désinformation

Le rapport des Nations-Unies, par conséquent, ne peut pas être simplement un document à part. Des mises à jour régulières donneraient aux sociétés listées l’occasion de se dissocier de leurs activités liées aux colonies afin d’être retirées de la base de données. Les éditions à suivre devront aussi étendre la portée et la proximité de leurs listes. 

Il n’en reste pas moins que bien des choses dépendront des difficiles négociations politiques qui façonneront les décisions des membres du Conseil des droits de l’homme.

Les Palestiniens bénéficient traditionnellement d’une majorité dans ce forum, mais comme l’a montré, cette semaine, la préparation de la réunion du Conseil de sécurité, les États-Unis sont prêts à utiliser tous les moyens à leur disposition pour protéger le projet colonial israélien contre la censure internationale et pour contraindre les autres pays à s’aligner. De telles tactiques seront sans aucun doute reprises lors de la session du mois prochain du Conseil des droits de l’homme, où des décisions sur l’avenir de la base de données pourraient être prises.

En attendant, une campagne de désinformation et de menaces sont déjà en cours pour discréditer l’initiative, campagne menée par les gouvernements US et israélien avec un réseau d’organisations soutenant la colonisation. Beaucoup de calomnies ont également été lancées contre l’Union européenne après la publication par celle-ci de ses directives sur l’étiquetage des produits issus des colonies de peuplement israéliennes. 

Une vue de la nouvelle galerie marchande Atarot, ouverte par l’homme d’affaires Rami Levy le 13 janvier 2019. Le centre commercial a été construit à l’endroit du mur de séparation entre les quartiers Beit Hanina et Shuafat à Jérusalem-Est, et les territoires palestiniens. (Hadas Parush/Flash90)

En plus d’accuser l’UE de perpétrer une « attaque terroriste économique », les défenseurs du mouvement colonial vont même jusqu’à exploiter les images de l’Holocauste pour en tirer un profit politique. En assimilant les mesures les plus minimes contre les colonies israéliennes illégales aux moments les plus sombres de l’histoire juive et européenne, ces attaques tentent d’intimider et d’impressionner tout pays défendant les normes les plus fondamentales du droit international et les droits de l’homme.

Des États européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas se sont joints parfois à ces tentatives israéliennes et étasuniennes pour faire obstruction à la base de données, les mettant en porte-à-faux avec leurs positions de longue date où ils s’opposent aux activités de colonisation de peuplement israéliennes, conformément à la Résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations-Unies.

À un moment où les États-Unis et Israël déchirent les fondements d’une solution sérieuse à deux États, les membres de la communauté internationale, et particulièrement les États européens, devraient prendre un moment pour réfléchir à leur position.

Plutôt que de se joindre à la bataille contre les mécanismes de responsabilisation, les gouvernements devraient considérer la base de données des Nations-Unies comme un effort tangible pour préserver l’empreinte territoriale d’un futur État palestinien. Ils devraient aussi la voir comme une occasion de consolider la diligence nationale, obligatoire, qui s’impose, et de créer des cadres réglementaires plus solides pour empêcher les pratiques commerciales dans les colonies israéliennes.

Se montrer incapables de défendre les convictions collectives de la communauté internationale ne fera que renforcer le mouvement colonial israélien et ceux qui en tirent profit. Un tel échec approfondirait aussi la réalité d’un État unique d’occupation sans fin et d’inégalités, et sapera la pertinence d’un ordre international fondé sur la réglementation.

Hugh Lovatt est chercheur au programme Moyen-Orient et Afrique du nord au Conseil européen des relations extérieures (ECFR).

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

Source: +972

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