Les Etats-Unis bloquent l’entrée d’un chercheur qui expose les violations israéliennes des droits humains

Par Maureen Clare, Murphy 21 février 2020 

Les Etats-Unis ont de fait refusé l’entrée du pays à Eyal Weizman, fondateur du groupe de recherche Forensic Architecture.

Forensic Architecture, basé au Royaume-Uni, utilise des méthodologies innovantes comme la criminalistique numérique et l’analyse spatiale pour mettre à jour les violations des droits humains. Le groupe a publié plusieurs enquêtes à propos des violations israéliennes contre des Palestiniens. 

Weizman, qui a des passeports israélien et britannique, devait voyager aux Etats-Unis pour la première présentation majeure de Forensic Architecture dans le pays, au Museum of Art and Design de Miami Dade College. L’exposition, intitulée Forensic Architecture: True to Scale [Architecture criminalistique : en vraie grandeur], ouvrait jeudi et se poursuit jusque fin septembre.

L’exposition inclut de nouvelles découvertes concernant le brutal passage à tabac de Faisal al-Natsheh dans la ville cisjordanienne de Hébron en 2014. L’enquête repose sur un modèle en réalité virtuelle du site de l’attaque et sur les témoignages croisés de Dean Issacharoff, le soldat qui a frappé al-Natsheh, et de deux témoins.

Weizman avait aussi l’intention d’utiliser ce voyage aux Etats-Unis pour avancer une enquête sur un centre de détention en Floride, dans lequel des enfants migrants sont détenus dans des conditions cruelles.

Deux jours avant celui prévu pour son départ, les autorités américaines ont informé Weizman par e-mail que son droit à entrer dans le pays selon le programme d’exemption de visa avait été révoqué parce qu’un algorithme avait identifié une menace à la sécurité.

Quand Weizman s’est rendu à l’ambassade américaine à Londres pour réitérer sa demande de visa, un employé lui a demandé de fournir des informations détaillées sur ses voyages des quinze dernières années. Il lui a aussi demandé de nommer tous ses contacts qui auraient pu déclencher l’algorithme, a dit Weizman aux médias..

Weizman a dit qu’il avait refusé de fournir des informations supplémentaires à l’ambassade parce que le faire « aurait pu faire courir des risques aux personnes dont il aurait donné les noms » .

Amnesty International a condamné le fait que Weizman soit exclu de fait des Etats-Unis, disant que cela « soulève de sérieuses inquiétudes à propos de la pratique des révocations de visas basée sur de problématiques algorithmes de sécurité ». 

Le groupe de défense des droits a ajouté que « les algorithmes conçus pour prédire de prétendus risques à la sécurité pourraient être utilisés, sous un vernis d’objectivité et de précision, pour signaler arbitrairement certains groupes, y compris des enquêteurs sur les droits humains ». 

Exclusion idéologique

Amnesty a suggéré qu’un biais politique peut avoir dicté la décision d’interdire à Weizman d’entrer aux Etats-Unis, évoquant la « longue histoire » d’exclusion idéologique pour empêcher que les Américains ne « soient exposés à des points de vue dissidents ». 

L’année dernière, les Etats-Unis ont interdit l’entrée du pays à Omar Barghouti, un militant palestinien des droits humains, co-fondateur du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions.

L’administration de Trump a aussi révoqué le visa de la procureure générale de la Cour pénale internationale à cause de ses efforts d’ailleurs frustrés pour poursuivre des investigations sur des crimes de guerre qui auraient été perpétués par les forces américaines en Afghanistan.

L’enquête de Forensic Architecture sur le passage à tabac en 2014 d’un Palestinien de Hébron utilise des modèles virtuels et des témoignages croisés.

Les fonctionnaires américains ont aussi menacé d’imposer des sanctions ou de chercher à poursuivre pénalement des responsables de la Cour pénale internationale s’ils poursuivaient leurs investigations dans des crimes de guerre qui auraient été commis par Israël.

Weizman fait partie du Bureau de conseil technologique de la Cour pénale internationale. 

Dès le tout début, la carrière de Weizman a été consacrée à s’opposer à l’injustice.

Alors qu’il était encore un étudiant à l’Association d’architecture de Londres, Weizmann a commencé à faire une carte des colonies israéliennes en Cisjordanie, produisant une étude présentée comme preuve à la Cour internationale de justice. 

Weizman a fondé Forensic Architecture à Goldsmiths, Université de Londres, où il est professeur.

Mettre à jour les injustices

Forensic Architecture a analysé de multiples sources vidéos et audios et a utilisé des modèles informatisés pour identifier l’officier de police des frontières israélien qui a tué un adolescent palestinien non armé, Nadim Siam Nuwara, en mai 2014.

L’officier de police des frontières, Ben Dery, a écopé d’une peine de prison de neuf ans pour le meurtre de ce jeune de 17 ans – une sentence clémente, mais une condamnation extrêmement rare pour le meurtre d’un Palestinien par les forces d’occupation israéliennes.

En partenariat avec le groupe israélien de défense des droits humains B’Tselem, Forensic Architecture a révélé qu’Israël avait falsifié des enregistrements pour tenter de couvrir l’assassinat de deux garçons à Gaza en 2017.

L’analyse du groupe a aussi contredit les affirmations d’Israël selon lesquelles un citoyen palestinien essayait d’attaquer la police avec sa voiture quand les policiers l’ont abattu pendant un raid de démolition de maisons dans le village non reconnu de Umm al-Hiran en 2017.

Yaqoub Abu al-Qiyan, un professeur de mathématiques, a saigné à mort après avoir reçu une balle et a été stigmatisé comme terroriste par les dirigeants politiques israéliens. 

Les découvertes de Forensic Architecture indiquent qu’Abu al-Qiyan conduisait lentement et que son véhicule n’a accéléré qu’après les coups de feu de la police, suggérant qu’il avait alors perdu le contrôle de sa voiture. 

L’enquête du groupe de recherche sur les armes utilisées contre les manifestants à Gaza a contribué à la démission de Warren B. Kanders, copropriétaire du fabricant américain d’armes Sierra, du bureau du musée Whitney d’art américain l’an dernier. 

Forensic Architecture s’est retiré de la prestigieuse biennale de ce musée de New York avant que Kanders ne démissionne de sa fonction de vice-président.

Les enquêtes du groupe se sont aussi intéressées à des violations à l’intérieur des Etats-Unis. 

Forensic Architecture, en partenariat avec Invisible Institute, a produit « une des analyses les plus minutieuses jamais faites d’une fusillade policière », selon Weizman, à propos de la mort de Harith Augustus à Chicago en 2018.

Augustus, un barbier, a été arrêté par la police qui patrouillait dans le South Shore, un quartier de cette ville. Selon Forensic Architecture, cette rencontre «  a commencé avec la pleine coopération de Augustus et s’est terminée lorsqu’il a reçu cinq balles, sa licence pour armes à feu dans la main et son arme encore fixée dans son étui ». 

L’enquête du groupe démontre comment le Département de police de Chicago a immédiatement construit le récit fictif d’une « confrontation armée » entre les officiers de police et Augustus, un citoyen noir. 

Forensic Architecture a aussi découvert que la police de Chicago «  a déformé les faits connus et publié de manière sélective les vidéos en leur possession, dans une tentative pour détourner l’indignation publique provoquée par l’incident ». 

Maureen Clare Murphy est rédactrice adjointe de The Electronic Intifada et vit à Chicago.

Trad. CG pour l’Agence Media Palestine

Source: Electronic Intifada

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