Une fillette de Gaza souffrant d’un cancer est morte après qu’Israël ait refusé à ses parents une autorisation de visite. Elle ne sera pas la dernière.

Miral Abu Amsha dans un hôpital de Naplouse, en décembre et la veille de son décès.
Photos : Alex Levac

Par Gideon Levy et Alex Levac, 6 mars 2020

Miral Abu Amsha est morte vendredi soir [28 février]. Le directeur de l’hôpital universitaire An-Najah à Naplouse, le docteur Kamal Hijazi, a envoyé dimanche un message WhatsApp : “Le cœur brisé, nous vous annonçons que Miral nous a quittés vendredi soir. Elle a attendu pendant presque deux mois d’être transférée à un niveau de soins supérieur. Makassed [à Jérusalem-Est] et deux hôpitaux en Jordanie n’ont pas voulu l’accepter. Quelle triste fin pour une enfant si belle, qui a subi pour des raisons politiques des souffrances sans nécessité.”

Nous avons rendu visite à Miral il y a deux mois et demi à An-Najah, dans le service des cancers infantiles. Miral, dix ans subissait alors une chimiothérapie agressive tout en étant séparée de ses parents, bloqués dans la prison qu’est la bande de Gaza. Israël avait refusé de les laisser accompagner leur fille à Naplouse ; seule sa grand-mère a eu l’autorisation d’être à ses côtés pendant les derniers mois de sa vie.

Quand nous avons rencontré Miral dans sa chambre d’hôpital, elle était assise sur son lit, vêtue d’un survêtement rouge, le visage marqué par une souffrance et une douleur indescriptibles. Elle essayait de se retenir de pleurer devant des inconnus, mais fondait parfois en larmes. Sa grand-mère nous a supplié de faire quelque chose pour que ses parents aient la possibilité d’être avec elle. Ce n’est pas difficile d’imaginer ce qu’ils ont subi, écoutant toutes les quelques heures leur fille pleurer au téléphone sans pouvoir être à ses côtés. Après la publication de l’article, sa mère a eu le droit de remplacer sa grand-mère, mais Miral n’a jamais revu son père. Il est resté à Gaza, sans pouvoir être au chevet de sa fille mourante.

Samedi dernier, Steve Watters, un lecteur de Newcastle, en Angleterre, m’a envoyé un message pour me dire que deux petits Soudanais vivant dans cette ville – Ashraf, 10 ans, et sa sœur Shafag, 8 ans, les enfants d’un ami à lui – avaient entendu parler de Miral, qu’ils étaient touchés par ce qui lui arrivait et que chacun d’eux lui avait écrit une lettre.

Shafag a dessiné sur sa lettre des cœurs et des drapeaux palestiniens et elle a écrit au crayon : “Chère Miral, je suis triste que tu sois à l’hôpital et j’espère que tu iras mieux. Maintenant, s’il te plaît, pense à aller mieux et tu iras mieux, c’est sûr. Le monde entier dépend de toi. J’espère vraiment que tu iras mieux. Je sais ce que tu ressens.”

Son frère, Ashraf, a écrit : “Chère Miral, je sais ce que tu ressens à l’hôpital. Je suis absolument désolé pour toi. Je sais ce que tu ressens de ne pas être avec ta famille. Je comprends mais tu ne dois pas te faire de souci maintenant parce que tu as une nouvelle famille pleine d’enfants adorables.

Les lettres ont été remises à Miral jeudi, la veille de sa mort. Miral a répondu en envoyant une photo d’elle, un faible sourire sur son visage épuisé, d’une pâleur mortelle, sans cheveux, le pouce vaillamment levé. Watters raconte qu’il a vu les deux petits Soudanais le lendemain et qu’ils lui ont demandé comment allait Miral. Il n’a pas trouvé la force de leur dire qu’elle était morte – il demanderait à leur père de leur révéler ce qui s’était passé.

Watters ajoutait dans son mèl : “J’ai appris que la mère de Miral avait été autorisée à venir auprès de sa fille… Je crois que c’est en décembre que le père a vu Miral pour la dernière fois, avant que son traitement ne commence. Que c’est triste d’être séparés pendant si longtemps et maintenant de ne plus jamais se revoir.” Puis : “Pourquoi certains Israéliens sont-ils si méchants ? Comment peuvent-ils croire que c’est acceptable ? Est-ce que le grand public israélien sait ce qui se passe ? Je vous en prie, dites-moi que les Israéliens valent mieux que ça.”

Le docteur Hijazi dit qu’il va faire encadrer les lettres adressées à Miral par les enfants et qu’elles seront accrochées dans le coin du souvenir que son hôpital prévoit d’installer à sa mémoire.

Miral n’est pas la dernière enfant de Gaza à mourir sans avoir à ses côtés ses deux parents. Peut-être aussi n’est-elle pas la seule qui va mourir parce que ses parents n’ont pas eu le droit d’être avec elle dans l’épreuve de la maladie. La séparation d’avec ses parents a un grave impact mental et physique sur un enfant atteint d’un cancer.

Miral ne sera pas non plus le dernier enfant de Gaza pour lequel il sera très difficile d’obtenir un traitement médical à Jérusalem-Est ou en Cisjordanie, en raison des obstacles bureaucratiques interminables et odieux accumulés par les services du Coordinateur des activités gouvernementales dans les Territoires (COGAT). Pour le COGAT, manifestement, peu importe qu’il s’agisse d’urgences vitales impliquant des enfants atteints de cancer. Cet organisme oublie également qu’il s’agirait de transférer ces jeunes dans des hôpitaux palestiniens de Jérusalem-Est ou de Cisjordanie, et non en Israël. Tous les prétextes liés à la sécurité ou d’ordre bureaucratique devraient être mis de côté pour sauver la vie d’un enfant ou soulager ses souffrances. Mais, dès qu’il est question des mécanismes de l’occupation israélienne, tout doit être fait selon les règles et ces règles sont celles de l’occupation.

Physicians for Human Rights (Médecins pour les droits humains, PHR) s’occupe actuellement de la situation de trois autres enfants de Gaza souffrant d’un cancer, l’un d’eux n’ayant que 2 ans. Ils se voient refuser la permission de quitter la Bande de Gaza pour recevoir un traitement médical vital ; ces refus et rejets s’appuient sur des prétextes divers et étranges. Citons parmi ces cas douloureux celui de Yassin Razaka, 4 ans, atteint d’une leucémie. Un jour, l’accès à Naplouse lui a été refusé, comme s’il constituait un risque pour la sécurité ; une autre fois, les autorités ont informé la famille qu’il était “présent illégalement ” (à Gaza, apparemment) et que sa demande d’entrée en Cisjordanie pour y recevoir un traitement vital était donc rejetée. On parle là d’un enfant en bas âge qui souffre d’un cancer.

La leucémie du petit Yassin a été diagnostiquée fin novembre. Ses parents sont maintenant à son chevet à l’hôpital pédiatrique Rantisi de Gaza. Au cours d’une conversation par Skype, ils ont raconté que l’enfant était fiévreux et qu’ils ont pensé à une grippe, jusqu’au moment où il a fait une hémorragie et où le diagnostic de leucémie a été porté. Aucun traitement adapté à sa situation ou à celle d’autres enfants atteints de ce type de pathologie n’est disponible dans la Bande. Les responsables de Rantisi l’ont adressé à An-Najah.

La mère de Yassin, Rihana, 38 ans, est née à Beit Awwa, près de Hébron, comme le précise sa carte d’identité. En 2011, après avoir épousé un Gazaoui, elle s’est installée dans la Bande, où elle est entrée par l’Égypte. Elle y est restée depuis, ne cherchant même pas à solliciter une permission de sortie de crainte de ne pas être autorisée à revenir. Ses parents sont morts en Cisjordanie, mais elle n’a pas assisté à leurs obsèques, pour la même raison. De même, elle n’a pas osé demander une autorisation d’entrée en Cisjordanie pour accompagner Yassin.

Son mari, Ibrahim, 41 ans, bien qu’il soit natif de Gaza, a inscrit en 2000 au registre de la population du ministère de l’Intérieur une adresse à Bethléem, où il s’était installé pendant quelque temps et où il a rencontré Rihanna. Mais lui aussi craint maintenant de se rendre en Cisjordanie et de ne pas pouvoir revenir à Gaza, où vit toute sa famille.

Telle est la vie, divisée entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza.

En décembre, Yassin a été conduit à Naplouse pour y recevoir une chimiothérapie, accompagné de Farida Saada, épouse d’un oncle d’Ibrahim, qui s’est vu accorder un permis. Yassin a passé 46 jours à l’hôpital An-Najah, subissant un traitement lourd, séparé de sa mère et de son père. Au bout de 46 jours, il est rentré chez lui, à Dir al-Balah, dans la Bande de Gaza, mais quelques semaines plus tard, alors qu’il devait recevoir un nouveau traitement à An-Najah, il n’y a pas été autorisé. Cette fois-là, Israël a refusé de lui permettre de se rendre à Naplouse en alléguant le caractère illégal de sa présence.

Selon des documents qui sont entre les mains de l’organisation Physicians for Human Rights, la famille Razaka s’est adressée, comme demandé, au Comité civil palestinien, et a appris le 16 janvier que l’accès était “refusé” à Yassin puis, le 10 février, que sa présence était illégale. Le 25 février, Celine Jaber, de PHR, a soumis aux autorités une nouvelle demande pour que l’enfant et sa grandtante aient la permission de se rendre à Naplouse. “Nous vous prions de ne pas mettre encore plus en danger la santé et la vie de l’enfant et de lui accorder une autorisation de sortie”, spécifiait la requête.

Le lendemain, la réponse suivante a été reçue, émanant du sous-lieutenant Shoval Yamin, du bureau du médiateur du COGAT : “En premier lieu, nous tenons à vous rappeler que, conformément au protocole, toutes les requêtes de cet ordre doivent être soumises au Comité civil palestinien, organe chargé de regrouper et de prioriser les demandes des résidents palestiniens de la Bande de Gaza à destination de la partie israélienne. Dans ce cadre, nous souhaitons vous informer qu’aucune demande relative à ce cas ne nous a été transmise par le Comité civil palestinien. Il convient de souligner que votre demande ne saurait se substituer à la procédure détaillée ci-dessus. En conséquence, elle doit être renvoyée au Comité civil palestinien.”

Yassin a manqué le créneau qui lui était assigné pour la phase suivante de traitement. Le personnel de l‘hôpital Rantisi, à Gaza, prévient qu’une course contre la montre est engagée. Entre-temps, l’enfant reçoit un traitement – encore qu’il soit insuffisamment efficace – disponible localement grâce au Palestine Children’s Relief Fund (Fonds de secours des enfants palestiniens), qui agit dans la Bande de Gaza. Cette semaine, il a de nouveau reçu un rendez-vous pour une nouvelle phase de traitement à Naplouse, et il a de nouveau manqué son tour. Le travailleur social de l’hôpital Rantisi, qui était aux côtés des parents lors de notre conversation Skype, précise que les médecins sont extrêmement préoccupés de ce qui va arriver à l’enfant s’il ne reçoit pas la chimiothérapie dont il a désespérément besoin.

Cette semaine [1e semaine de mars], un porte-parole du COGAT a transmis à Haaretz cette réponse : “La requête soumise par Yassin Razaka concernant un permis pour la date du 15 mars 2020, dans le but de recevoir un traitement médical dans le secteur de Judée-Samarie, a été approuvée après avoir été examinée par le personnel de sécurité approprié. »

Nous notons que, dans le passé, la requête de Razaka a été rejetée parce que la personne en question n’est pas enregistrée en tant que résident de la Bande de Gaza, mais en tant que résident de Judée-Samarie. Conséquemment, l’Administration de coordination et de liaison pour la Bande de Gaza a demandé au Comité civil palestinien de veiller à ce que la famille Razaka régularise sa situation afin que le traitement des requêtes puisse être poursuivi sans qu’il soit nécessaire de faire une exception. »

Nous notons qu’en 2011 la demande de son père, Ibrahim Razaka, sollicitant le passage du statut de résident de Judée-Samarie à celui de résident de la Bande de Gaza, a été approuvée. À la différence d’Ibrahim, son épouse n’a pas encore soumis de demande de changement d’adresse et n’est pas entrée dans la Bande de Gaza par le point de passage d’Erez, et est donc encore enregistrée comme résidente de Judée-Samarie, et son fils est enregistré de la même manière.”

Quelques heures après que Haaretz a présenté une demande de renseignements aux Forces de défense d’Israël, le père de Yassin a reçu une communication de l’armée intitulée “Déclaration” ainsi rédigée : “Je vous informe par la présente que votre requête de permis de transit de la région de Judée-Samarie à la Bande de Gaza a été approuvée à la lumière de votre déclaration selon laquelle vous avez l’intention de déplacer, base permanente [sic], le centre de votre vie dans la Bande de Gaza.

Ibrahim s’est vu demander de signer le document, qui indique qu’il renonce à son statut de résident de Cisjordanie et à sa désignation comme tel dans le Registre de la population. Il nous a dit qu’il n’avait jamais demandé ce formulaire, que toute cette procédure bureaucratique lui était imposée par les autorités et qu’il n’avait aucune intention de signer. Il a demandé au personnel de PHR d’essayer d’obtenir pour lui et son fils un permis de sortie de Gaza, mais à condition que l’ONG puisse garantir qu’il pourra revenir dans la Bande à l’issue du traitement – demande également faite par sa femme.

Selon Ran Yaron, porte-parole de l’organisation, PHR insiste généralement pour que les enfants malades soient accompagnés par leurs parents lors d’un transfert en vue de leur traitement, mais en l’occurrence, “l’ONG n’étant pas en mesure de garantir que le père pourra retourner à Gaza, et dès lors qu’il s’oppose à la signature d’un formulaire qui transfère son lieu de résidence, l’organisation cherchera à faire en sorte que l’enfant sorte même s’il est accompagné par une personne qui n’est ni son père ni sa mère.”

Pour l’instant, donc, Yassin Razaka est à l’hôpital Rantisi. Ses parents, qui ne quittent pas son chevet, disent qu’il ne mange presque rien et n’arrive pas à garder le peu qu’il mange. Il souffre d’une très grande faiblesse, d’incontinence et d’un stress sévère. Personne d’autre n’a le droit de lui rendre visite, étant donné son état précaire. “Ce n’est pas seulement nous”, nous a dit Ibrahim depuis l’hôpital, “Gaza tout entière est emprisonnée.”

Traduction : SM pour l’Agence Média Palestine

Source : Haaretz

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