Des fuites montrent comment le Parti travailliste a saboté Corbyn

Par Asa Winstanley, 17 avril 2020

Iain McNicol et Jennie Formby, les deux secrétaires généraux qui ont présidé pendant le mandat de Jeremy Corbyn comme chef du parti travailliste. McNicol a coordonné une « atmosphère hyperfactionnelle » contre Corbyn au quartier général du parti, tandis que l’équipe de Formby s’est vantée de discipliner plus de membres que jamais auparavant. Stefan Rousseau ZUMA Press

Un rapport interne qui a fuité montre que les bureaucrates du parti travailliste britannique ont conspiré pour saper dès le début leur propre leader Jeremy Corbyn, sabotant même la campagne d’élections générales en 2017.

Il révèle aussi comment les leaders de l’aile gauche du parti en sont arrivés à adopter la chasse aux sorcières de l’aile droite contre des membres du parti autour de la crise fabriquée de toutes pièces de l’antisémitisme.

Le document montre que l’aile droite au siège du parti travailliste, menée par l’ancien secrétaire général Iain McNicol, a orchestré « une atmosphère hyper-factionnelle » contre Corbyn.

Le rapport décrit une « purge » des membres du parti soutenant Corbyn.

Keir Starmer, le nouveau chef de l’aile droite du parti travailliste, a annoncé mardi une enquête pour découvrir qui est responsable de la fuite du document.

« Le contenu et la divulgation du rapport dans le domaine public soulèvent des questions très préoccupantes », a-t-il dit.

Depuis le moment où Corbyn a gagné la direction du parti en 2015, montre le rapport, les membres de l’aile gauche ont été obsessionnellement diabolisés comme « Trots » (1)— une expression argotique pour une faction de communistes (2). Beaucoup furent expulsés ou suspendus pour des prétextes fragiles — y compris de fausses accusations d’antisémitisme.

Un haut dirigeant des presses travaillistes a décrit en privé Corbyn comme « ce putain de Trot » et a déclaré que certains membres du Parlement qui l’avaient nommé comme dirigeant auraient mérité d’être « trainés dehors et abattus ».

Un permanent du parti a décrit l’atmosphère au siège : « tous les autres sont bien plus à droite » et considèrent n’importe qui à gauche de l’ancien Premier ministre Gordon Brown « comme un Trot ».

Le sabotage interne de Corbyn a inclus d’allouer 280 000 dollars à un projet « secret de sièges clés » dont l’intention aurait été de « canaliser des ressources additionnelles pour garantir des sièges de personnages clés à la droite du parti ».

Ceci confirme ce que The Electronic Intifada a rapporté à l’époque : « Le siège du parti travailliste a redistribué des ressources de la campagne, des positions disputées par des candidats pro-Corbyn vers de prétendus ‘modérés’ ».

« Pas de preuve »

Des figures pro-Israël étaient au premier plan parmi les candidats de l’aile droite du parti — dont Labour Friends of Israel [Les amis travaillistes d’Israël] et les dirigeants d’alors du Jewish Labour Movement [Mouvement travailliste juif], Joan Ryan et Jeremy Newmark.

Le rapport ne mentionne cependant pas ses candidats par leurs noms.

Ryan a oeuvré pour saper Corbyn. Malgré des « réticences à propos de la direction du parti travailliste », a écrit Ryan à ses électeurs, « j’espère que vous envisagerez de voter pour moi en tant que votre député local ».

Pourtant, malgré de tels efforts, Corbyn a fait beaucoup mieux qu’attendu, donnant au parti travailliste son meilleur résultat depuis des années et interdisant au parti conservateur au pouvoir d’avoir une majorité de sièges.

La fuite montre qu’un cadre supérieur du parti était en colère contre les électeurs : « Les gens ont parlé. Salauds ».

Le rapport interne conclut qu’il n’y a pas « de preuve » que des employés du parti travailliste aient été motivés par l’antisémitisme ou que les plaintes à propos d’antisémitisme aient été traitées différemment des autres.

Mais il revèle aussi à quel point Corbyn et son soutien, la secrétaire générale du parti Jennie Formby, ont cédé du terrain au lobby pro-Israël et à l’histoire mensongère d’un antisémitisme travailliste rampant.

Après que Corbyn, qui a milité toute sa vie pour la solidarité avec la Palestine, est devenu le chef du parti en 2015, des groupes pro-Israël l’ont sans relâche attaqué ainsi que ses supporters comme antisémites.

Cette campagne de diffamation a finalement réussi. La « crise » a été l’un des principaux centres d’attention pendant les élections générales de 2019 et les sondages ont montré que la mauvaise gestion de cette crise par Corbyn a été l’une des cinq raisons principales pour lesquelles les électeurs n’ont pas soutenu le parti travailliste.

Le lobby pro-Israël a crié victoire, un de ses groupes affirmant « avoir massacré » Corbyn.

Le lobby pro-Israël

Malgré tout cela et malgré la nature mensongère de la plupart de ces attaques, Corbyn, pour sa propre ruine, a adoubé les groupes mêmes qui promouvaient les mensonges à propos de la « crise ».

Le rapport a fait surface dimanche, dans des reportages de Sky News et Novara Media.

Le document a aussi circulé parmi des journalistes et de membres du parti travailliste.

Les leaders du Mouvement juif travailliste Jeremy Newmark et Ella Rose posant avec l’ambassadeur israélien Mark Regev en octobre 2016. (Twitter)

En 851 pages pleines de détails souvent fastidieux, le rapport examine le travail de l’unité disciplinaire du parti à propos de l’antisémitisme, entre 2014 et 2019.

Il a été écrit dans le cadre de la réponse du parti travailliste à l’enquête sur le parti lancée en mai dernier par la Commission d’égalité et des droits humains.

Mais le document ne devrait pas être remis à l’organisme, maintenant que Keir Starmer a pris en charge la direction.

Un permanent du parti travailliste a dit à The Electronic Intifada que des collègues avaient « disparu pendant des mois d’affilée, littéralement » pour travailler sur le rapport. La source prédisait que le nouveau chef du parti travailliste utiliserait maintenant la fuite pour faire le ménage dans le personnel actuel du parti.

La Commission, l’organisme officiel du Royaume-Uni pour l’anti-discrimination, a subi des critiques après avoir lancé cette enquête sur le prétendu antisémitisme dans le parti travailliste à la requête de deux groupes pro-Israël — le Mouvement juif travailliste et la Campagne contre l’antisémitisme.

La Campagne contre l’antisémitisme est le groupe qui a ensuite affirmé avoir « massacré » Corbyn.

Le lobby pro-Israël interne au parti travailliste a joué un rôle clé pour que la crise continue à gronder, comme cela a été révélé en 2017 par le film sous couverture d’Al Jazeera, The Lobby.

Mais le rapport montre l’étendue de la capitulation de Corbyn et de son équipe devant les demandes du lobby, dans l’espoir vain que la campagne contre lui s’arrêterait.

Le rapport attaque à de nombreuses reprises quelques-uns des supporters les plus en vue de Corbyn, dont plusieurs ont été poussés hors du parti après avoir été diffamés comme antisémites.

Diffamations

Jackie Walker menant une manifestation contre les expulsions du parti travailliste en 2017. Joel Goodman ZUMA Press

Ceux qui sont une fois de plus salis dans le document incluent l’ancien maire de Londres Ken Livingstone, des militants anti-racistes Jackie Walker et Marc Wadsworth, l’ancien député de l’aile gauche du parti travailliste Chris Williamson, l’anti-sioniste juif Tony Greenstein et l’auteur de ces lignes.

Un exemple grotesque de la manière dont le document identifie critique d’Israël et racisme anti-juif est donné dans la section qui me concerne.

Les auteurs affirment que mon indication exacte, du fait que l’ancienne députée Louise Ellman était alors « cadre des Amis travaillistes d’Israël », revenait à un « trope » antisémite.

Le rapport, dans la plupart des cas, n’explique pas pourquoi les actes de ces individus « en vue » sont prétendument antisémites, ni n’en offre de preuve. Il affirme simplement qu’ils le sont.

Une « réunion commune »

Corbyn, Formby et leur équipe sont intervenus à plusieurs reprises pour accélérer les actions disciplinaires dans certains cas de militants « à haute notoriété » diffamés — souvent sur l’insistance du Mouvement juif travailliste.

« Après la nomination de Jennie Formby comme secrétaire générale en mars 2018, l’action sur les plaintes pour antisémitisme a cru dramatiquement », soutiennent les auteurs.

Comme The Electronic Intifada l’a rapporté depuis des années, le Mouvement juif travailliste a des liens étroits avec l’ambassade israélienne.

Fondé en 2004, il a été ressuscité en 2015 spécifiquement pour combattre Corbyn.

L’engagement de Corbyn et de Formby pour obéir aux diktats du lobby pro-Israël s’est même étendu aux Amis travaillistes d’Israël — qui fonctionne comme un front pour l’ambassade israélienne.

Un courrier électronique de 2018 de Corbyn montre qu’il a discuté de l’organisation d’une « réunion commune » entre les Amis travaillistes de la Palestine et les Amis travaillistes d’Israël pour « nous mettre d’accord sur [une] déclaration en faveur de la solution à deux états pour Israël-Palestine ».

Les auteurs du rapport considèrent ce courrier comme la preuve du « désir de Corbyn que le parti mène une lutte contre l’antisémitisme et le racisme ».

C’est plutôt une preuve supplémentaire de l’approche confuse et autodestructrice de Corbyn et de Formby pensant que faire les yeux doux au lobby pro-Israël les aiderait à combattre les fausses allégations d’un sentiment anti-juif.

Factionnalisme travailliste et racisme de droite

Le rapport semble être une tentative pour exonérer l’actuelle secrétaire générale Jennie Formby et le cadre de bureaucrates qui l’entourent, tout en attaquant leurs ennemis internes.

L’ancien employé travailliste Sam Matthews parle de l’épisode controversé du Panorama de la BBC, de l’an dernier.

Une cible majeure est Sam Matthews, un ancien bureaucrate du parti. Matthews et d’autres permanents de l’aile-droite travailliste ont finalement quitté leurs postes au siège du parti. Matthews a participé à la démolition de l’an dernier dans l’enquête Panorama de la BBC sur les allégations d’antisémitisme du parti travailliste.

Il affirmait dans le film qu’il était « affligé et dégoûté de ce que le parti qu’il avait rejoint plus de dix ans auparavant soit maintenant institutionnellement raciste ».

Mais des courriers électroniques et des conversations internes du parti travailliste dans des groupes WhatsApp, contenus dans le rapport, montrent que Matthews et d’autres bureaucrates de l’aile droite travaillaient activement à saboter Corbyn depuis le début.

Dan Hogan, un autre bureaucrate de l’aile droite qui apparaissait dans le film Panorama comme « lanceur d’alerte », avait réagi avec un violent mépris en septembre 2015 lors de la visite au siège du nouveau dirigeant du parti.

Un employé qui accueille le discours de Corbyn avec des hourra « devrait être abattu », a écrit alors Hogan.

« C’est un secret de Polichinelle que nous haïssons tous plus ou moins » Corbyn, a répondu un collègue.

D’autres permanents ont déployé des stéréotypes anti-Noirs contre Diane Abbott, l’appelant « une femme en colère » et « vraiment répugnante ».

Première femme noire du parlement britannique, Abbott était l’un des rares soutiens de Corbyn parmi les députés travaillistes.

Qui l’a écrit ?

Les métadonnées du document suggèrent que l’auteur principal du rapport est Harry Hayball, un permanent actuel du parti travailliste.

Ecrit en quelques mois après la défaite du parti travailliste à l’élection de décembre, le rapport a requis la préparation d’une dizaine d’employés.

Ecrit en quelques mois après la défaite du parti travailliste à l’élection de décembre, le rapport a requis une dizaine d’employés pour sa préparation.

Les métadonnées du document divulgué suggère que son auteur principal est Harry Hayball, un haut cadre de la direction du parti travailliste qui travaille uniquement sur l’antisémitisme.

Hayball a été recruté par le parti travailliste en 2019 pour travailler exclusivement sur l’antisémitisme.

Il a travaillé auparavant sur le même sujet pour Momentum, l’organisation travailliste formée par Jon Lansman après la campagne initiale Jeremy For Leader [Jeremy comme chef].

Dans le cadre de son travail, Hayball a rencontré le Mouvement juif travailliste et d’autres groupes pour discuter « comment s’attaquer à l’antisémitisme à l’intérieur du parti et à gauche », affirme le rapport.

Un autre employé recruté sous Formby pour travailler spécifiquement sur l’antisémitisme est Patrick Smith.

Smith est un ancien organisateur de l’Alliance for Workers Liberty [Alliance pour la liberté des travailleurs] – une petite secte trotskyiste particulièrement controversée au sein de la gauche britannique pour son soutien au sionisme et à Israël.

Smith a quitté le groupe en 2013, mais suit encore exactement leur ligne, décrivant les militants de la Campagne de solidarité avec la Palestine comme « essentiellement fous ».

Le rapport maquille cette histoire, affirmant à la place que Smith « a été engagé spécifiquement à cause de sa connaissance de l’antisémitisme et des formes qu’il prend à gauche ».

« Smith avait été un membre de la Campagne de solidarité avec la Palestine, mais il a quitté l’organisation en 2008 », à cause d’allégations d’antisémitisme, affirme le rapport.

Chasse aux sorcières contre la gauche

Le document allègue aussi que l’obsession des permanents travaillistes de l’aile droite pour la purge des « Trots » les a souvent conduits à rater ou à retarder le travail sur un petit nombre de plaintes crédibles à propos d’antisémitisme.

Les auteurs suggèrent que certains membres du personnel ont pu « ne pas agir sur des cas extrêmes d’antisémitisme afin de saper le parti travailliste dirigé par Jeremy Corbyn« .

Ils spéculent aussi que « le personnel n’était simplement pas motivé pour traiter de tels cas de manière adéquate et qu’ils étaient uniquement motivés à travailler sur des choses qui contenaient un élément factionnel ».

Malgré ces reconnaissances de partialité, le rapport ignore combien de plaintes impliquent de fausses accusations politiquement motivées faisant écho aux calomnies du lobby israélien sur la gauche et les militants de la solidarité avec la Palestine.

Les auteurs condamnent même le fait de signaler la manière dont ces propos diffamants ont été utilisés contre des militants comme du « négationisme » antisémite.

De fait, les auteurs contribuent avec enthousiasme à cette campagne de diffamation.

Le rapport affirme que les anciens employés ont négligé une plainte pour un antisémitisme allégué contre des membres du parti travailliste dans la circonscription que Louise Ellman représentait alors au Parlement.

Mais ils laissent de côté la manière dont les allégations contre la branche locale du parti, Liverpool Riverside, faisaient partie d’une chasse aux sorcières contre la gauche.

Le signalement par The Jewish Chronicle d’un antisémitisme allégué dans la circonscription a été jugé par l’organe de régulation de la presse britannique l’an dernier comme « significativement trompeur ».

Après une action en diffamation, le journal a accepté un accord au tribunal avec la militante locale Audrey White, admettant qu’il avait publié des allégations sur elle qui étaient « infondées ».

(1) Note de Trad. : « Trot » est une abréviation péjorative pour « trotskiste »

Asa Winstanley est journaliste d’investigation et rédacteur associé à The Electronic Intifada. Il vit à Londres. Sa biographie est ici.

Twitter: @AsaWinstanley
Informations à Asa [at] electronicintifada.net

Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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