Torture, traumatismes et intimidation : Comment Israël traite les enfants palestiniens prisonniers

Par Tamara Nassar, le 16 décembre 2020

Les forces israéliennes arrêtent Fawzi al-Juneidi, 16 ans, en décembre 2017 dans la ville d’Hébron en Cisjordanie. Le garçon, qui a été battu par les soldats pendant son arrestation, a été libéré sous caution 20 jours plus tard. (Wissam Hashlamoun / APA images)

Imaginez que vous vous réveillez en plein milieu de la nuit face à des soldats lourdement armés qui cognent à votre porte.

Ils font irruption, ravagent votre maison, enlèvent votre enfant adolescent ou son frère dans leur lit sans vous dire de quoi ils sont coupables ni où ils les emmènent.

C’est ainsi que commence souvent le trajet de centaines d’enfants palestiniens détenus par les forces d’occupation israéliennes et jugés dans des tribunaux militaires – ou détenus sans charges ni procès – tous les ans. 

Ce trajet est détaillé dans deux récents rapports d’associations de défense des droits de l’être humain qui mettent à jour l’épreuve vécue par les enfants palestiniens lorsqu’ils sont emprisonnés par Israël.

« Une mesure de premier recours »

Dans un rapport du mois d’octobre, HaMoked, organisation israélienne de défense des droits humains qui fait campagne contre les abus d’Israël envers les Palestiniens qui vivent sous occupation, détaille l’arrestation des enfants palestiniens depuis le moment où l’armée israélienne les arrache de chez eux jusqu’au moment où l’enfant capturé arrive au centre d’interrogatoire.

L’association a rassemblé les affidavits de 81 garçons palestiniens arrêtés entre août 2018 et décembre 2019, petit échantillon des 500 à 700 enfants qu’Israël arrête tous les ans.

HaMoked a découvert que la grande majorité des garçons ont été arrêtés entre 11H. du soir et 5 H. du matin. De plus, elle a découvert que toutes les arrestations pré-planifiées ont eu lieu pendant la nuit.

Les arrestations nocturnes, dont HaMoked dit que l’armée israélienne les conduit le plus souvent en tant que « mesure de premier recours », n’offrent pas aux enfants la possibilité de venir en détention de leur propre chef.

D’après l’organisation israélienne de défense des droits de l’être humain, quand il s’agit d’enfants palestiniens, Israël « utilise presque toujours la mesure la plus dure et la plus préjudiciable dont elle dispose ».

Que se passe-t-il pendant les arrestations nocturnes ?

L’expérience d’une arrestation nocturne est particulièrement traumatisante pour les enfants et leur famille.

Tout d’abord, cela implique une invasion de la maison.

Les enfants font état de soldats en grand nombre frappant lourdement à la porte, et qui parfois les bousculent et les arrachent à leur lit.

Le reste de la famille est souvent placé dans une seule pièce ou zone de la maison et l’enfant dans une autre. On rapporte que les plus jeunes de la fratrie sont terrifiés par toute cette expérience.

Ce déroulement fait de l’arrestation une « expérience traumatisante pour toute la famille ».

Les enfants arrêtés ont alors les yeux bandés et sont menottés – « généralement les mains douloureusement attachées derrière le dos » – et sont emmenés jusqu’à un véhicule militaire.

« Pendant le trajet, ils sont souvent battus, humiliés et injuriés par les soldats », raconte HaMoked.

« Environ dix membres de la police des frontières sont venus vers moi, m’ont jeté au sol et ont commencé à me battre sur tout le corps, avec la crosse de leurs fusils, leurs chaussures et leurs mains », a dit à HaMoked un garçon qui avait 17 ans au moment de son arrestation.

Un autre garçon qui a été arrêté à 16 ans a décrit des soldats qui le battaient avec la crosse de leur fusil et leurs pieds alors qu’ils l’emmenaient à pied jusqu’à la colonie de Beit El en Cisjordanie occupée.

« Je ne savais pas d’où venaient tous les coups », a-t-il dit à HaMoked.

Quand il a parlé au docteur de l’origine des coups, il a dit qu’un soldat avait essayé de l’attaquer, et il a alors changé son témoignage concernant les contusions.

« Le médecin m’a simplement examiné et ne m’a pas protégé », s’est-il souvenu.

Dans un cas récent, les forces israéliennes ont fracturé la mâchoire d’un garçon en le frappant au visage avec la crosse d’un fusil, d’après Défense des Enfants International Palestine (DCIP).

A une autre occasion, les soldats ont physiquement et verbalement agressé un enfant détenu pour le pousser à collaborer avec l’armée. « Ceci viole de façon flagrante le droit international », rappelle HaMoked.

Sur le chemin vers le centre d’interrogatoire, les soldats s’arrêtent souvent à des bases militaires ou en terrain découvert où ils soumettent les enfants à « une exposition à un froid extrême, au refus d’accès aux toilettes, rien à manger ni à boire, à la difficulté de dormir sans lit ni couverture et à rester aveuglés et menottés pendant de longues périodes ».

HaMoked a fait remarquer qu’en 2014, un projet pilote de collaboration avec la police israélienne pour soumettre les enfants à un interrogatoire au lieu de les appréhender avec des raids dans leur maison n’avait pas été suivi d’effet et que cette sorte de procédure a été « rarement appliquée ».

En réponse à une enquête de l’association israélienne de défense des droits, la police israélienne a dit que « la mise en place d’un projet pilote est problématique » en raison de « la sensibilité de la situation sécuritaire » en Cisjordanie occupée.

L’armée israélienne a répondu plus tôt cette année à une enquête similaire d’HaMoked soulignant que les critères pour recourir à des arrestations nocturnes devaient dépendre de « la gravité de l’offense que le mineur était soupçonné avoir commise, l’âge du mineur, le casier judiciaire du mineur ».

On a dit à HaMoked que « la plupart » des mineurs arrêtés avaient entre 16 et 18 ans.

L’armée israélienne a déclaré qu’elle faisait une différence entre les enfants âgés de 12 à 16 ans et ceux âgés de 16 à 18 ans. D’après le droit international, cependant, toute personne de moins de 18 ans est considérée comme un enfant et a « droit à la même protection juridique », a dit HaMoked aux militaires.

L’association israélienne de défense des droits de l’être humain a déposé une requête auprès de la Haute Cour d’Israël pour exiger que tous les enfants soient soumis à un interrogatoire « en tant qu’alternative aux arrestations nocturnes ».

Il faut noter cependant que, qu’ils soient soumis à un interrogatoire ou arrêtés chez eux la nuit, les enfants palestiniens sont systématiquement présentés par Israël à des tribunaux militaires.

Les enfants israéliens, eux, sont jugés par des tribunaux civils.

Israël est le seul pays au monde à systématiquement soumettre des centaines d’enfants – et uniquement des enfants palestiniens – à des tribunaux militaires.

L’Isolement cellulaire

Un autre rapport, celui là de ce mois-ci, de Défense des Enfants International Palestine (DCIP) examine l’utilisation de l’isolement cellulaire en tant que moyen de torturer les enfants pendant leur détention.

Elle le fait en analysant 108 cas d’enfants palestiniens détenus en cellule d’isolement pendant deux jours ou plus de 2016 à 2019.

Ce rapport a révélé que la durée moyenne d’isolement cellulaire était d’environ 14 jours, la plus longue ayant été d’un mois.

DCIP en a conclu que la preuve « était faite de façon accablante » que l’armée israélienne utilise l’isolement cellulaire contre les enfants dans le seul but d’obtenir des aveux ou de récolter des informations.

En d’autres mots, on n’utilise pas l’isolement cellulaire pour des enfants qui ont déjà accompli leur peine, mais plutôt avant qu’un enfant soit jugé.

Les conditions de l’isolement comportent « une aération insuffisante, éclairage jaune 24 H sur 24, absence de fenêtres, couchage et installations sanitaires insalubres et éléments architecturaux hostiles tels que des saillies sur les murs », d’après DCIP.

Tout au long de l’interrogatoire, les autorités israéliennes refusent aux enfants tout contact humain significatif avec quiconque, hormis leurs interrogateurs et ravisseurs.

Les interrogateurs soumettent les enfants à toutes sortes de méthodes physiquement et émotionnellement abusives, dont des intimidations et des menaces sur les enfants, les obligeant à rester dans des positions éprouvantes.

Dans 100 % des cas étudiés par DCIP, aucun parent ni avocat n’était présent auprès de l’enfant pendant son interrogatoire, a découvert DCIP.

La grande majorité a également été exposée à des informateurs, des collaborateurs palestiniens qui essaient de sympathiser avec d’autres prisonniers pour gagner leur confiance, obtenir et enregistrer des aveux et faire leur rapport aux autorités carcérales.

On parle d’eux aussi comme des asafir, mot arabe pour « oiseaux ».

Parfois, les forces israéliennes essaient de recruter des enfants comme informateurs en les menaçant ou en leur proposant une libération anticipée ou une récompense financière, tentatives qui « violent le droit international », a rappelé DCIP.

L’association de défense des droits humains a établi que l’utilisation de l’isolement cellulaire par l’armée israélienne à des fins d’interrogatoire équivalait à « de la torture ou un traitement cruel, inhumain et dégradant ou à une punition ».

DCIP n’a trouvé aucune preuve qu’Israël utiliserait l’isolement cellulaire pour des raisons disciplinaires, protectrices ou médicales.

Le droit international interdit l’utilisation de l’isolement cellulaire contre des enfants, « et pourtant les autorités israéliennes détiennent souvent des enfants dans ces conditions », a affirmé le directeur général de DCIP, Khaled Quzmar.

Son utilisation contre les enfants « doit immédiatement prendre fin et son interdiction doit être inscrite dans la loi ».

Source : The Electronic Intifada

Traduction : J. Ch. pour l’Agence média Palestine

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