Des milices communes : comment des colons et des soldats ont fait équipe pour tuer quatre Palestiniens

Par Yuval Abraham, le 15 juillet 2021 

Une enquête de Local Call révèle comment en un seul jour de mai, des colons et des soldats israéliens ont coopéré dans des attaques qui ont fait quatre morts parmi les Palestiniens. Cette vague sans précédent d’attaques en commun a inauguré une nouvelle ère de terreur.

Nidal Safadi était un homme tranquille, ont dit ses voisins. Il vivait à Urif, un village palestinien de quelques milliers d’habitants en Cisjordanie. A 25 ans, Safadi avait trois enfants avec son épouse, et une quatrième, une fille, en route. 

Urif n’est pas toujours tranquille. Avec la ville palestinienne de Naplouse à moins de 16 km, l’armée israélienne occupante a établi une base sur une colline proche en 1983. Un an plus tard, elle a été transformée à des fins civiles, dans le cadre du programme de colonisation illégale d’Israël dans les territoires palestiniens. Depuis 2000, la colonie, appelée Yitzhar, est le foyer d’une yeshiva réputée pour la ligne dure de ses positions nationalistes juives : la colonie est devenue connue pour son extrémisme. Les colonies prétendues d’« avant-postes » qu’elle a encouragées — illégales même selon le droit israélien, mais néanmoins défendues par les Forces de défense d’Israël — ont graduellement empiété sur des villages comme Urif. Dans les dix dernières années, les agressions des colons ont donné lieu à des récriminations violentes entre les Israéliens et les Palestiniens vivant à proximité. 

Le 14 mai, cependant, Urif était calme — contrairement à une grande partie de la Cisjordanie. Dans des dizaines d’endroits sur tout le territoire, les Palestiniens protestaient contre de récentes provocations israéliennes : la police faisant irruption sur le site de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem et un lourd bombardement de la Bande de Gaza, en réponse à un tir de roquettes du Hamas.

« Il y avait beaucoup de manifestations dans la région, mais Urif était calme », a dit Mazen Shehadeh, chef du conseil du village. « C’est un petit village et les résidents sont restés à l’intérieur. Si les colons n’étaient pas venus attaquer le village, rien ne se serait passé ». 

Shehadeh a dit qu’un groupe de colons était arrivé vers 2h de l’après-midi, avec six soldats, et qu’ils ont commencé à faire des ravages. « Les colons ont déraciné près de 60 figuiers et oliviers », a-t-il dit. « Ensuite ils ont attaqué l’école avec des pierres et ont cassé ses panneaux solaires ». Les dommages étaient encore évidents quand j’ai visité l’endroit un mois après l’attaque. « Pendant que les colons faisaient tout cela, les soldats les couvraient avec des fusils », a continué Shehadeh. « Les soldats dirigeaient, donnaient des ordres, tout semblait coordonné. Les soldats désignaient aux colons où aller, où déraciner et ensuite ils tiraient sur quiconque essayait de s’approcher. Après quelques minutes, les résidents sont venus protéger le village ». 

Un des villageois qui est venu était Nidal Safadi. « Nidal est arrivé à l’école, terrifié », a dit son frère qui a demandé que son nom ne soit pas indiqué par crainte de représailles. « Nous avons des parents qui vivent à proximité et le haut-parleur de la mosquée annonçait que des colons nous attaquaient, donc il s’est précipité ». 

Des photos et des vidéos de la scène montrent des colons et des soldats des Forces de défense israéliennes visant de leurs armes les villageois palestiniens. Une vidéo, obtenue par le groupe israélien des droits humains B’Tselem, montre un colon torse nu avec le visage couvert marchant et bavardant avec les soldats à proximité. A un moment, le colon, armé d’un fusil automatique, se tient directement devant un soldat, cible les villageois et ouvre le feu. D’autres photos montrent des colons et des soldats, avec leurs armes levées de manière similaire. 

Au milieu du chaos, Safadi a été frappé de quatre balles à la poitrine et à l’abdomen, selon Shehadeh. Il est mort de ses blessures.

« Nous ne savons pas si c’est un colon ou un soldat qui l’a abattu », a dit Shehadeh. « Nous avons eu beaucoup de blessés par balles ce jour-là. Neuf personnes ont été blessées ; un à l’abdomen, un autre a reçu une balle à 3 cm du coeur. Et il y a eu Nidal, qui a été tué. »

Shehadeh a continué: « C’était une attaque planifiée. Une vengeance, pas une confrontation. Nous avions l’habitude d’avoir des affrontements chaque jour et cela n’a jamais ressemblé à cela. Ils n’ont pas utilisé de vraies munitions avant, seulement des gaz lacrymogènes et des balles recouvertes de caoutchouc. D’habitude aussi, il y a plus de soldats présents ». 

Des attaques en commun

La mort de Safadi a été l’un des 11 violents assassinats de Palestiniens en Cisjordanie le 14 mai, selon le ministre de la Santé palestinien. Alors que les médias israéliens ont rapporté que les assassinats ont eu lieu dans le cadre d’« affrontements » —faisant allusion aux larges manifestations à propos d’Al-Aqsa et des bombardements de Gaza — quatre au moins des morts ont eu lieu pendant des attaques délibérées de colons et de soldats sur des villages palestiniens, comme l’a mis à jour une enquête de Local Call et The Intercept.

Les attaques en commun de colons et de soldats israéliens n’étaient pas liées à des manifestations dans les villages ciblés ; aucune manifestation n’a précédé la violence dans trois des quatre lieux. Les incursions se sont toutes produites à pratiquement la même heure, autour de 14h, et toutes impliquaient des colons détruisant des terres agricoles, y compris en déclenchant des incendies, en jetant des pierres et en utilisant de vraies balles.

Les attaques sur des Palestiniens par des colons leur jetant des pierres, alors que des soldats israéliens se tiennent à proximité sans intervenir, sont d’occurrence usuelle dans les territoires palestiniens occupés. Mais des scènes comme celles du 14 mai — des colons et des soldats attaquant des villages dans une apparente coopération, avec de vraies balles — sont sans précédent.

« La seule manière dont je peux décrire cela est en l’appelant des milices », a dit Quamar Mishirqi-Assad, un avocat et partenaire de Haqel-Jews and Arabs in Defense of Human Rights [Haqel, juifs et Arabes en défense des droits humains], une organisation qui travaille dans le système des tribunaux israéliens pour représenter des Palestiniens confrontés à la violence des colons. « Ces affaires, dans lesquelles des soldats pénètrent dans des villages avec des colons et où il y a une attaque par balles massive des colons — cela est sans précédent ». 

Cinq de ces attaques le 14 mai ont fait quatre morts parmi les Palestiniens. L’un a été tué au village d’Asira Al-Qibliya, dans la région de Naplouse ; un autre à Iskaka, près de la colonie israélienne d’Ariel ; un troisième dans le village d’Al Reihiya, dans la partie sud du Mont Hébron ; et Nidal Safidi à Urif. Dans le cinquième village, Burin, qui est aussi près de Naplouse, une attaque similaire s’est terminée sans aucun mort.

Vue du village palestinien d’Urif, près de la colonie d’Yitzhar, en Cisjordanie, le 1er décembre 2019. (Sraya Diamant/Flash90)

Des vidéos, des photos et les témoignages des villageois sur les attaques indiquent que, au moins dans trois cas, les colons et les soldats israéliens ont agi comme une unité de combat combinée, oeuvrant de fait comme une milice commune attaquant des civils et tirant sans distinction sur les résidents palestiniens. La coordination entre l’armée et les colons est une question politique grandissante en Israël. Mardi, 100 anciens soldats d’active ont envoyé une lettre au ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, exigeant qu’il prenne des mesures contre la violence des colons dont ils ont eux-même été témoins pendant leur service. « L’an passé, la violence des colons s’est intensifiée et s’est manifestée, entre autres choses, par la destruction de biens, le jet de pierres et la violence physique contre les Palestiniens », écrivent ces anciens soldats. « Nous sommes ceux qui ont été témoins de la manière dont ces ‘seigneurs du pays’ se sont comportés, sans restriction, et de ce à quoi cette violence ressemble sur le terrain. Nous avons été envoyés pour les défendre mais nous n’avions pas les outils pour les gérer ». 

Local Call et The Intercept ont envoyé une description détaillée de leurs résultats à un porte-parole des Forces de défense israéliennes, y compris des photographies et des enregistrements. Le porte-parole a dit que ces affaires « étaient en cours de vérification et d’investigation ». Bien que le porte-parole des Forces de défense israéliennes ait refusé de commenter la plupart des faits précis, il a reconnu, en réponse à l’une des photographies montrant un colon interagissant étroitement avec un officier des Forces de défense à Urif que le colon était dans la zone sans permission. 

Aucune autopsie n’a été pratiquée sur le corps de Safadi, ni sur ceux des autres Palestiniens tués ce jour-là, donc il n’y a pas moyen de déterminer si ce sont des soldats ou des colons qui sont responsables pour les morts. La police israélienne n’a pas annoncé d’enquêtes sur les assassinats.

 Mise à jour [18 juillet]: Suite à la publication de cette histoire, le porte-parole des Forces de défense israéliennes a annoncé que la police militaire d’investigation lançait une enquête sur la mort de Nidal Safadi à Urif. Ni l’armée, ni la police israélienne n’ont annoncé d’enquête sur les trois autres assassinats décrits ci-dessous. 

Malgré la chronologie et le modus operandi communs, il n’y a pas de preuves que les attaques du 14 mai étaient coordonnées. Certains idéologues colons, cependant, ont remarqué la confluence des événements. Zvi Sukot, porte-parole de la colonie Yitzhar et star montante du mouvement en ligne, a posté des photos de certains des incidents sur Facebook. Les photos qu’il a partagées montrent, entre autres choses, un Palestinien mort avec une balle dans la tête et un autre avec une poitrine ensanglantée, ainsi qu’une foule de corps étendus dans différents décors.

« La situation de la sécurité en Samarie est excellente. Pas besoin de manifester !! » a écrit Sukot sur son post Facebook, demandant à ses amis colons de rester chez eux. Il a utilisé le terme israélien usuel « Samarie » pour décrire le nord de la Cisjordanie. Il y a des «victimes, plein de gens blessés et de sérieux traumatismes du côté arabe », a-t-il écrit. « Dans toutes mes années en Samarie, je ne me souviens pas d’avoir vu l’armée aussi déterminée ». 

Un colon, armé d’un fusil automatique, vise des villageois Palestiniens et fait feu sur eux, à Urif, le 14 mai 2021. (Mazen Shehadeh)

Beaucoup de résidents interviewés par Local Call et The Intercept ont attribué les attaques à des « vengeances » à la fois par des soldats et des colons — apparemment pour les manifestations contre les attaques israéliennes sur Al-Aqsa et sur Gaza, ainsi que les troubles dans les villes «  mixtes » à l’intérieur d’Israël. Les incursions entrent dans un schéma appelé « les attaques avec étiquettes de prix », où les colons lancent des attaques de représailles contre quiconque est vu même de manière lointaine comme un obstacle à leur movement.

La yeshiva d’Yitzhar, près d’Urif, a joué un rôle essentiel dans la formulation de justifications religieuses pour ces attaques « avec étiquettes de prix ». Le concept a gagné en notoriété chez certains Israéliens juifs parce qu’il rationalisait les attaques contre l’armée israélienne dans les cas rares où, par exemple, les Forces de défense israéliennes ont été utilisées pour évacuer les avant-postes des colons. Les cibles les plus communes des attaques « à étiquette de prix », cependant, sont les civils palestiniens. Le 14 mai, les soldats étaient loin d’être les cibles ou même des spectateurs impuissants. Bien au contraire, ils étaient des participants et des collaborateurs actifs dans des attaques en commun. 

« L’armée perçoit maintenant les colons comme une force de combat auxiliaire », a dit Mishirqi-Assad, l’avocat des droits humains. « La ccopération est plus transparente. Personne n’en a honte. Les soldats voient les colons comme une force d’appui, c’est très perceptible. Et les colons, également, sont plus intrépides. Il est clair que les choses sont devenues plus organisées au cours de l’année passée. » 

Asira Al-Qibliya : «  Ils voulaient se décharger de leur rage »

A quelques kilomètres seulement d’Urif, dans le gouvernorat de Naplouse, se trouve le village d’Asira Al-Qibliya. Au sommet d’une colline voisine s’étend l’avant-poste d’Ahuzat Shalhevet, qui donne sur les abords du village palestinien.

Le 14 mai, Hussam Asaira, 19 ans, avec d’autres jeunes gens du village, a répondu à une invasion par des colons. A environ 14h, selon les comptes rendus des résidents du village, un groupe de soldats et de colons armés sont arrivés ensemble. Les colons ont commencé à jeter des pierres aux maisons près du bord du village.

« C’était une rude attaque », a dit Hafez Saleh, chef du conseil du village. Saleh se trouvait sur le toit de la maison de sa soeur, regardant les événements se dérouler et prenant quelques photos. « Environ 20 colons sont arrivés — la moitié armés de fusils — et 12 soldats les escortaient. Des jeunes du village ont été appelés pour venir protéger les maisons ». 

Quelques jeunes gens sont arrivés et ont commencé à jeter des pierres sur les colons, a dit Saleh. Les colons ont tiré des salves « très intenses » de vraies balles. Ensuite, les soldats ont rejoint le tir.

« J’ai crié aux soldats: ‘Arrêtez de tirer ! Vous êtes près des maisons des gens !’ », se souvient Saleh. « Je me suis adressé à l’un d’eux en hébreu et je lui ai dit qu’il devait juste faire sortir les colons du village et que ce serait fini. Il a dit : ‘Ce n’est pas mon travail’. En d’autres termes, il était clair que les soldats étaient là pour couvrir les colons et les protéger. Ils ont voulu décharger leur rage sur les gens, en guise de vengeance. Ils étaient déterminés à tuer. J’ai senti que leur objectif ce jour-là était de tuer autant de Palestiniens que possible. »

Saleh a filmé l’incident. L’enregistrement, publié par B’Tselem, montre un groupe de soldats et de civils israéliens — tous armés, les colons avec leur visage couvert — se tenant ensemble dans un champ. Un colon se détache du groupe, tire quelques salves sur les Palestiniens et ensuite revient vers les soldats. D’un côté, un colon jette des pierres sur une maison palestinienne ; un autre court dans le champ avec son arme dégainée. La confrontation a duré environ quatre heures, s’arrêtant autour de 18h. Les soldats se sont retirés de plusieurs centaines de mètres sur une colline proche, vers Ahuzat Shalhevet, l’avant-poste des colons.

« Il n’y a plus eu d’affrontements ni de jets depierres », a dit Saleh. L’atmosphère sur la vidéo paraît encore tendue. « Un soldat, qui était debout au loin, s’est allongé sur le sol et a visé les jeunes », a dit Saleh. « Je leur ai crié de faire attention. Et j’ai hurlé vers les soldats : ‘Cela suffit ! Il ne se passe plus rien !’  ». Sur la vidéo, les soldats et les colons se tiennent sur la colline, à environ 300 m des jeunes Palestiniens. Un villageois debout à côté de Saleh dit en arabe: « Ils veulent tirer ». On peut entendre la voix de Saleh criant un avertissement aux jeunes: « Retirez-vous, allez ! ». 

Ils commencent tous à partir en courant — excepté Hussam Asaira. Son dos vers les soldats, il continue à marcher le long du mur, un masque blanc contre le COVID-19 couvrant son nez et sa bouche, semblant ne pas remarquer ce qui se passe. « Et alors, il y a eu une détonation », se souvient Saleh. Asaira trébuche, puis s’effondre. Des amis villageois l’attrapent et le portent hors de vue. Asaira a été emmené à l’hôpital où il est mort de ses blessures.

Iskaka: «  C’est la première fois qu’un de nos résidents est abattu ». 

Iskaka est un petit village avec une population de 1000 personnes. A proximité se trouve la méga-colonie d’Ariel, une des quatre seules colonies à avoir assez grandi pour jouir du statut de ville israélienne et, parmi les quatre, celle qui est géographiquement la plus avancée en Cisjordanie. 

Quand les colons et les soldats sont arrivés le 14 mai, Awad Harb, époux et père de 27 ans, était chez un ami. Harb et son ami ont entendu un appel de la mosquée locale à propos de l’incursion, a dit l’ami, Mouid, qui a demandé que son nom complet ne soit pas utilisé par peur de représailles. Ils se sont aventurés dehors pour voir ce qui se passait. « Tout s’est passé en moins de 10 minutes », m’a dit Mouid. 

L’incursion dans le village n’est pas une réponse à une provocation, ont dit les témoins. « Cela a commencé à 14h, quand les colons ont attaqué le village », a dit Nabil Harb, le frère d’Awad. « Ils sont arrivés et se sont mis près du bâtiment municipal, armés. Ils sont venus au coeur du village ». 

« J’ai 57 ans », a expliqué Nabil Harb. « Je suis né ici. Rien de semblable n’est jamais arrivé. Ce jour-là, tout le monde s’est rendu à la mosquée, et ensuite est revenu à la maison, pour se reposer, déjeuner. Et alors les colons sont arrivés. lls sont arrivés pour tuer ». 

Quand je suis arrivé à Iskaka un mois après l’attaque, Fauzi Lami, le chef du conseil local, m’a emmené faire un tour en voiture. « Jusque là, c’était un jour normal », m’a-t-il dit en conduisant. « Les colons ne sont jamais venus ici auparavant ». Les soldats et les colons sont arrivés en convoi, a-il dit. « Ils marchaient entre les maisons et tiraient sur les citernes d’eau. Les résidents se sont enfermés. L’appel est venu de la mosquée, par le haut-parleur, demandant que les hommes jeunes sortent et défendent le village ». 

Nabil Harb a remarqué que trois soldats seulement étaient présents. « Tous les autres étaient des colons, des civils israéliens », a-t-il dit. « Des jeunes d’Iskaka sont arrivés et ont commencé à jeter des pierres aux soldats et aux colons ». 

Mouid m’a montré l’endroit où Awad Harb et lui sont sortis dans la rue. « C’est ici qu’il a été abattu », a dit Mouid, désignant une plaque d’égoût entre deux maisons, à environ 600 m de l’entrée du hameau. Des taches de sang noires étaient encore visibles sur le sol à côté des traces de sable blanc. Mouid a dit que le tireur était un civil — un colon israélien — mais que documenter cette affirmation était difficile. « Il se tenait là, avec deux soldats », a dit Mouid, montrant la route « et il a tiré une balle à 18 m ». 

Harb s’est écroulé et a saigné à mort. Il a été déclaré mort plus tard.

« C’était la première fois dans l’histoire d’Iskaka qu’un de nos résidents est tué », a dit Lami, le chef du conseil de village, en référence au fait qu’aucun résident n’avait été tué par des Israéliens à l’intérieur des frontières du village. « Nous n’avions jamais eu de confrontation ».

Lami a dit: « Nous sommes tous en deuil maintenant ». 

Al Reihiya : « Nous n’avons personne pour nous protéger. Personne. » 

L’attaque contre la famille Tubasi, dans la partie sud du Mont Hébron, s’est aussi produite le 14 mai. Comme Local Call et Kan News, de la société de radiodiffusion nationale israélienne, l’ont rapporté auparavant, un groupe de colons, accompagné de soldats, est arrivé au village d’Al Reihiya vers 14h30. Les colons ont commencé à vandaliser les biens des villageois et à mettre le feu à leurs champs. 

Ismail Al-Tubasi, un villageois de 27 ans, est allé éteindre le feu sur une terre de sa famille. Un groupe de colons a alors couru vers lui, selon son frère et son neveu. Brusquement, cinq coups de feu ont retenti. Jamal Al-Tubasi, le neveu d’Ismail, a trouvé son oncle gisant sur le sol, en sang. Ismail a exhorté son neveu à s’enfuir. Jamal a vu des colons portant des hâches s’approcher, alors il s’est éloigné en courant.

Des Palestiniens essayant d’éteindre les feux allumés par des colons sur les terres agricoles dans le village de Safa, au sud de la Cisjordanie, près d’Hébron, le 13 juillet 2009. (Najeh Hashlamoun/Flash90)

Finalement, Ismail a pu être atteint par les secours. Alors qu’il était emmené à l’hôpital dans la cité voisine de Yatta, Jamal a cependant noté quelque chose : Ismail avait de profondes blessures au visage. Ces blessures, a dit son neveu, n’étaient pas là quand il avait parlé pour la première fois avec son oncle dans le champ. « La seule chose dont je suis sûr, c’est que quand j’ai trouvé mon oncle, après sa première blessure, il n’en avait pas au visage », a dit Jamal.

Le personnel de l’hôpital a été incapable de sauver Ismail Al-Tubasi. Dans une photo prise post-mortem, de profondes blessures sont visibles sur le visage d’Ismail. Selon le rapport de l’hôpital, il a été tué par une balle qui a pénétré l’arrière de sa tête ; les blessures au visage ont été causées « par des instruments aiguisés » (Des sources militaires ont dit à Kan et à Local Call que des soldats israéliens étaient présents, mais que quand ils sont arrivés sur la scène, Ismail était déjà blessé. Ha’aretz a rapporté que la famille Tubasi a essayé de porter plainte après les tirs au poste de police de Hébron, mais la police israélienne n’a pas ouvert d’enquête.)

Qaund je suis arrivé à Al Reihiya, 10 jours après la fusillade, les champs de la famille Tubasi étaient brûlés. Khaled Al-Tubasi — le frère d’Ismail et le père de Jamal — m’a invité dans sa maison et dans une petite pièce sombre, m’a offert du thé d’une main tremblante. La mort de son frère l’avait ébranlé, tant physiquement — son corps était tendu par la rage pendant ma visite — et moralement. Il remettait tout en question, du processus de paix à son travail comme officier de police palestinien. « Je travaille pour l’Autorité palestinienne », s’est-il exclamé, «  aujourd’hui, je dis : j’avais tort ». 

En Cisjordanie, où l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas gouverne d’une main pesante, seules les forces de sécurité sont autorisées à posséder des armes à feu. De plus en plus, cependant, la police palestinienne est accusé d’agir comme une force brutale au nom d’ Abu Mazen, le nom de guerre d’Abbas. La police écrase fréquemment les manifestations et est souvent décrite comme agissant de facto en tant que bras de l’occupation israélienne — laissant Abbas au pouvoir et maintenant la paix pour Israël. 

« La voie d’Abu Mazen est une erreur », m’a dit Khaled Al-Tubasi. « La coordination de la sécurité — tout cela est une erreur. » Il a dit : « Les Palestiniens ont besoin d’armes pour se protéger. Nous n’avons personne pour nous protéger. Personne ». 

Burin : « J’avais peur que les colons ne brûlent la maison » 

Muhammad Amran vit dans la partie orientale du village de Burin, près de Naplouse. A 14h, le 14 mai, il a entendu une explosion. La voiture de son voisin, Abu Al-Atsi, était en feu.

« Des dizaines de colons armés se tenaient là », a expliqué Amran. « Ils avaient mis le feu à la voiture, à 200 m de moi. Il n’y a que des filles dans la maison là-bas, leurs deux parents sont morts. Donc je me suis précipité pour éteindre le feu. Je travaille comme pompier avec l’Autorité palestinienne, et j’ai l’équipement pour éteindre le feu. » 

Les colons, a dit Amran, étaient venus de Givat Ha-Ro’eh, un avant-poste proche qui a été construit illégalement sur des terres palestiniennes. La Cour suprême israélienne avait jugé auparavant que l’avant-poste devait être fermé, mais l’application de cette décision a été intermittente, au mieux. 

Quelques minutes avant que la voiture ne soit incendiée, des dizaines de jeunes gens de Burin sont arrivés pour défendre le village. Ils ont jeté des pierres aux colons, qui ont répondu en tirant de vraies balles. « Les colons menaient. Les soldats ne faisaient que les protéger : nous envoyant des gaz lacrymogènes, des balles enrobées de caoutchouc et de vraies balles », a dit Amran. « Quand les jeunes sont arrivés, un des colons s’est tourné vers eux et a commencé à tirer au hasard. Il les a juste arrosés, sans regarder où il tirait, sans viser. Personne ne s’était approché de lui — et il tirait comme un fou ». Les résidents ont dit que sept villageois ont été atteints par des balles réelles ce jour-là, mais que personne n’a été tué.

Alors qu’Amran essayait d’éteindre la voiture en feu de son voisin, les colons faisaient une descente sur sa maison. « D’abord ils ont essayé d’entrer dans la maison, mais ils n’ont pas pu, parce que ma femme avait fermé la porte », a-t-il dit. « Donc ils ont cassé tout ce qu’il y avait à l’extérieur. Ils ont écrasé les panneaux solaires, les tuyaux, la partie extérieure du climatiseur, et les caméras de sécurité. Ensuite, ils sont allés sur le toit de ma maison, avec ma famille encore à l’intérieur et ils ont commencé à attaquer d’autres villageois ». 

Dans une vidéo filmée par un des résidents du village, quatre colons peuvent être vus, leurs visages couverts, debout sur le toit d’Amran et jetant des pierres. Huit soldats armés se tiennent près de la maison — également avec leurs visages couverts. 

« Je suis devenu fou d’inquiétude. J’ai trois enfants, et ils étaient tous à la maison quand cela est arrivé. J’ai deux filles et un garçon », a expliqué Amran. « L’armée m’a empêché de m’approcher de la maison, où les colons se trouvaient. J’ai essayé de toutes les directions. J’ai appelé ma femme et je lui ai dit : ‘Sors pour ne pas être asphyxiée par les gaz lacrymogènes’. Elle m’a dit qu’elle avait peur. Elle ne voulait pas ouvrir la fenêtre et laisser le gaz pénétrer. J’ai dit à un soldat : ‘Laissez-moi prendre les enfants. Ils vont suffoquer à l’intérieur’. Il m’a répondu: ‘Va-t-en.’ »

 Quelques minutes plus tard, les colons ont cassé toutes les fenêtres de la maison et le gaz lacrymogène jeté par l’armée a commencé à pénétrer à l’intérieur », a dit Amran. « J’entendais les enfants crier et s’étrangler au téléphone. J’avais peur que les colons ne brûlent la maison, ne jettent un cocktail Molotov à l’intérieur. Ma femme et mes enfants sont allés dans la salle de bains, ont scellé les fenêtres et se sont enfermés ».

La famille a survécu à l’attaque dans la salle de bains de la maison et a essayé ensuite de retourner à la normale, mais cela s’est avéré difficile. « Près de deux mois se sont écoulés depuis l’attaque », a dit Amran. « Mes enfants ne peuvent pas dormir la nuit. Ils mouillent leurs lits. Je veux faire quelque chose — poursuivre les colons d’une façon ou d’une autre — pour le traumatisme causé à la famille. »

Urif : « Quand le colon avait fini, les soldats lui donnaient de nouvelles munitions » 

Quand je suis arrivé à Urif, près de Naplouse, les traces de l’attaque qui a tué Nidal Safadi étaient partout. Des champs entiers étaient brûlés, ponctués d’oliviers et de figuiers déracinés. Des dizaines, sinon des centaines, de douilles étaient semées sur la route. « Toute la fusillade était hors contrôle », a dit un villageois, Muntaser Al-Safadi, qui a été témoin de l’attaque. « Ils rechargeaient et ils vidaient tout le chargeur immédiatement — sans viser, sans s’arrêter — dans notre direction. Personne n’a eu à jeter une pierre. Ils tiraient pour tuer ». 

Shehadeh, le chef du conseil du village, m’en a emmené faire le tour. Nous sommes passés par l’école d’Urif, le site de l’assassinat de Safadi. L’école est entourée d’un haut mur de béton et le terrain de jeu est couvert par une immense bâche de plastique blanc. « Cela ressemble à une prison, non ? » m’a demandé Shehadeh quand il m’a vu regarder les structures, peu habituelles pour le site d’une école. « Nous l’avons construit pour protéger les enfants contre les attaques des colons d’Yitzhar. Quoi que ce soit qui arrive à des juifs — n’importe quoi, que ce soit à Jérusalem ou à Lod — ils viennent ici pour se venger ». 

Le 14 mai, Shehadeh a observé l’attaque se dérouler depuis une des maisons proches. Il a observé des villageois comme Safadi se précipiter vers la scène, certains prenant des pierres et les jetant vers les soldats et les colons israéliens. 

« Qu’est-ce que vous auriez fait ? » a dit Shehadeh. « Des gens armés arrivent, attaquent votre maison, votre école. Et il n’y a aucun pouvoir pour vous protéger. Les soldats arrivent avec eux et les aident ». 

Itzhak Levi, le coordonnateur permanent de la sécurité de la colonie d’ Yitzhar, vu en train de parler avec des soldats et d’autres colons dans le village palestinien d’Uri, le 14 mai 2021. (Mazen Shehadeh)

Shehadeh avait pris des photos pendant l’attaque. Certaines d’entre elles montrent des soldats et des colons visant avec leurs armes, debout ou couchés en position de snipers. Shehadeh a capturé plusieurs moments de coopération apparente.

« Un des soldats a donné son arme à un colon », a dit Shehadeh, en se référant à l’une des photos qu’il a prise. On voit un civil torse nu avec le visage couvert se tenir tout près d’un capitaine des Forces de défense israéliennes. « Ils tiraient ensemble », a dit Shehadeh. « Quand le colon avait fini, il allait vers les soldats et ils lui donnaient de nouvelles munitions ».

Une présence ostensible sur les photos de Shehadeh est un colon grand et barbu portant une casquette de baseball noire. Sur le dos de la chemise du colon, il y a les lettres « OSC », pour « Ongoing Security Coordinator », Coordonnateur permanent de la sécurité. Local Call et The Intercept ont identifié l’homme comme Itzhak Levi, Coordonnateur permanent de la sécurité d’Yitzhar. Sur les photos, Levi peut être vu tenant un fusil, discutant alternativement avec les soldats et avec ses compagnons colons. Sur une photo, il semble diriger l’attention des soldats. Sur une autre, Levi se tient derrière trois soldats, l’un d’eux visant avec un lanceur de gaz lacrymogène monté sur un fusil. Sur une autre photo, Levi semble recharger son arme. 

J’ai contacté Levi et lui ai demandé ce qui l’a amené à Urif et ce qu’il savait de l’attaque sur le village. Il a refusé de répondre à mes questions. « Je ne me rappelle pas cette date. Il y a eu des dizaines d’incidents et d’émeutes », a-t-il dit. A la fin, Levi s’est irrité et a demandé : « Où voulez-vous en venir ? Vous n’avez rien de mieux à faire de votre vie ? ». Et il a raccroché.

 Mise à jour [18 juillet] : Le vendredi 16 juillet, le lendemain du jour de la publication de ce récit, le porte-parole des Forces de défense israéliennes nous a contactés avec un nouveau commentaire, affirmant que les Forces des défense israéliennes dans la zone d’ Yitzhar « avaient géré quatre émeutes violentes, y compris de violents jets de pierre et des incendies de villages voisins ». L’ensemble du commentaire est à la fin de cet article. 

Des colons d’Yitzhar ont aussi contacté Local Call et The Intercept après la publication, pour dire que le 14 mai, les Palestiniens étaient ceux qui avaient incendié les champs et jeté des pierres aux colons qui étaient venus les éteindre. Ils ont aussi dit que l’attaque sur Urif était censé créer « de la dissuasion ». Rien de cela ne justifie l’attaque commune contre le village. 

Les documents photographiques de Shehadeh ce jour-là sont porteurs d’une triste ironie : il a peur que sa propre photo ne soit prise, parce qu’il craint de perdre son permis de travail en Israël. De nombreux Palestiniens de Cisjordanie avec des permis comptent sur les salaires plus élevés à l’intérieur d’Israël. La révocation arbitraire des permis de travail peut avoir des relents de vengeance, voire de culpabilité par association.

Les craintes de Shehadeh sont bien fondées. Cela a été une situation courante à la suite des attaques : le gouvernement israélien révoquant des permis de travail des familles de ceux qui ont été tués. Deux jours après l’assassinat de Nidal Safadi, le Service de sécurité général israélien a enlevé les permis de travail de deux de ses frères. A Iskaka, des parents du Palestinien abattu, Awad Harb, ont eu leurs permis de travail révoqués par les Israéliens. Après la mort d’Ismail Al-Tubasi dans l’attaque contre Al Reihiya, des membres de sa famille ont aussi perdu leurs permis.

Nous avions envoyé au porte-parole des Forces de défense israéliennes une série de questions détaillées à propos des événéments dans les différents villages, ainsi que les photos et la vidéo de la zone. Le porte-parole a d’abord décidé de ne pas répondre aux questions et a répliqué à la place que « les affaires mentionnées étaient en cours d’investigation et que nous ne serons donc pas capables de les discuter à ce stade ».

Après publication — un mois après notre demande de réponses et après la publication d’un article sur les incidents dans Haaretz, le porte-parole des Forces de défense israéliennes a fourni la réponse suivante, le vendredi 16 juillet :

«  Le 14 mai (Jour de la Nakba), pendant l’opération ‘Gardien des Murs’, les combattants des Forces de défense ont géré des dizaines d’émeutes violentes dans la zone de Judée et Samarie, et plus de dix attaques de tir en ce seul jour. 

A proximité d’Yitzhar, les forces [israéliennes] ont eu affaire à quatre émeutes violentes, dont des jets violents de pierre et des incendies de villages proches et dans certains de ces événements, les soldats ont senti que leurs vies étaient réellement menacées.

Pendant l’une de ces émeutes, près des alentours du village d’Urif, un homme armé habillé des pantalons de combat des Forces de défense, mais qui n’était pas un membre des forces opérant dans cette zone, a pénétré dans la zone avec son visage couvert et a apparemment fait feu avec son arme.

Une enquête du commandement des Forces de défense a été lancée à la suite de l’incident, ainsi qu’une enquête de la Police militaire d’investigation, après des affirmations selon lesquelles un Palestinien a été tué pendant l’émeute. 

L’affirmation que les soldats des Forces de défense israéliennes ont initié des confrontations en entrant dans des villages dans lesquels il n’y avait aucune confrontation préalable est fausse et trompeuse.

 Les Forces de défense israéliennes continueront à agir pour assurer la paix et la sécurité des résidents de Judée et de Samarie selon les procédures et toute déviation sera l’objet d’une enquête et traitée en conséquence. »

 Il vaut la peine de noter que les commentaires de l’armée ignorent les attaques conjointes par des colons et des soldats dans les trois autres villages mentionnés dans cet article, et au cours desquelles trois Palestiniens ont été tués. L’armée n’explique pas pourquoi des colons d’Yitzhar ont été vus à l’intérieur d’Urif, ni pourquoi une personne masquée — que l’armée décrit comme « non membre des forces » — peut ouvrir le feu sur des personnes pendant que les dites forces se tiennent à côté sans qu’aucune action ne soit prise contre lui. 

Après publication, un résident d’Yitzhar m’a dit que « l’entrée dans les villages n’est pas une mesure de vengeance, mais de dissuasion — l’armée — j’en ai peur — ne réussit pas à créer une vraie dissuasion ». Si c’est vrai, alors les colons et les soldats ont effectivement initié des attaques sur ces villages pour créer une « dissuasion », en contradiction avec les affirmations du porte-parole des Forces de défense israéliennes. 

Shehadeh, d’Urif, a aussi commenté la déclaration de l’armée, réitérant son affirmation que « les confrontations n’ont éclaté que quand les colons se sont approchés des maisons du village et les ont mises en danger. Il n’y a eu aucune action contre les colons avant cela ». Shehadeh a ajouté qu’il c’est un schéma récurrent, où les colons « répondent » à des événements ayant lieu ailleurs en attaquant le village. « Ils se vengent contre nous chaque fois que quelque chose arrive à des juifs, même si c’est à l’intérieur des frontières d’Israël de 1948. » 

Basil al-Adraa a contribué au reportage à la base de cet article.
Ce récit a été publié en partenariat avec The Intercept et une version en a été publiée auparavant en hébreu sur Local Call.

Yuval Abraham est un étudiant en photographie et linguistique

Source : +972 magazine

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

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