Rapport « Dévoiler les flux financiers dans les colonies israéliennes illégales »

Le 29 septembre 2021

La coalition DBIO est une initiative conjointe entre 25 organisations palestiniennes, régionales et européennes basées en Belgique, en France, en Irlande, aux Pays-Bas, en Norvège, en Espagne et au Royaume-Uni. Pour la France, la coordination est assurée par l’AFPS en lien avec la FIDH.

La coalition a pour objectif d’enquêter et de mettre en lumière les relations financières entre les entreprises commerciales impliquées dans la colonisation israélienne illégale du territoire palestinien occupé et les institutions financières européennes. Après plusieurs mois, cette enquête s’est concrétisée par la publication le 29 septembre 2021 d’un rapport « Dévoiler les flux financiers dans les colonies israéliennes illégales ».

>> Lire le rapport intégral (en anglais)

>> Wébinaire international de lancement du rapport le 29 septembre à 14h (en anglais)

Résumé du rapport en français

La coalition « Don’t Buy into Occupation » (DBIO) est un projet conjoint entre 24 organisations palestiniennes, régionales et européennes basées en Belgique, en France, en Irlande, aux Pays-Bas, en Norvège, en Espagne et au Royaume-Uni (UK). La coalition vise à enquêter et à mettre en lumière les relations financières entre les entreprises impliquées dans la colonisation israélienne illégale du Territoire palestinien occupé (TPO) et les institutions financières (IF) européennes.

Les colonies israéliennes, leur maintien et leur expansion sont illégales en vertu du droit international et constituent des actes qui engagent la responsabilité pénale individuelle en tant que crimes de guerre et crimes contre l’humanité en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Le droit international humanitaire (DIH), conformément à la Quatrième Convention de Genève, interdit à la puissance occupante le transfert forcé et la déportation, individuels ou collectifs, de personnes protégées, ainsi que le transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire qu’elle occupe. En outre, la confiscation de terres en vue de construire ou d’étendre des colonies dans un territoire occupé est également interdite, tandis que la destruction et l’appropriation extensives de biens au profit des colonies violent un certain nombre de dispositions du droit international humanitaire, telles qu’elles figurent dans les règlements de La Haye de 1907, la quatrième Convention de Genève et le droit international humanitaire coutumier.

En outre, les colonies israéliennes ont entraîné une myriade de violations des droits humains à l’encontre de la population palestinienne protégée, tout en fragmentant la Cisjordanie et en l’isolant de Jérusalem, et en rendant impossible un développement social et économique durable et indépendant pour les Palestiniens du Territoire palestinien occupé (TPO). Comme en témoignent les experts juridiques et les organisations de défense des droits humains, les colonies sont également un élément clé du régime d’apartheid appliqué par Israël sur le peuple palestinien, et dans lequel Israël administre le territoire selon deux systèmes juridiques et deux ensembles d’institutions entièrement distincts : une administration civile pour les communautés juives israéliennes vivant dans les colonies illégales d’une part, et une administration militaire pour la population palestinienne occupée vivant dans les villes et villages palestiniens d’autre part.

Les entreprises commerciales israéliennes, européennes et internationales qui opèrent avec les colonies israéliennes ou leur fournissent des services, jouent un rôle essentiel en facilitant le fonctionnement et la croissance des colonies. Compte tenu de l’illégalité des colonies, du large éventail de violations du droit international humanitaire qui y sont associées, des graves répercussions négatives sur les droits humains de la population palestinienne et de l’entrave au développement de l’économie palestinienne, les acteurs privés ont la responsabilité de s’assurer qu’ils ne sont pas impliqués dans des violations du droit international et ne sont pas complices de crimes internationaux, et de remédier à toute incidence négative sur les droits humains découlant de leurs activités et de leurs relations commerciales. Cependant, malgré son caractère illégal, les institutions financières européennes continuent d’investir des milliards dans la colonisation israélienne.

Principales conclusions

Une nouvelle étude menée par une coalition interrégionale de 24 organisations palestiniennes et européennes montre qu’entre 2018 et mai 2021, 672 institutions financières européennes, y compris des banques, des gestionnaires d’actifs, des compagnies d’assurance et des fonds de pension, avaient des relations financières avec 50 entreprises activement impliquées dans les colonies israéliennes.
Au cours de la période analysée, 114 milliards USD ont été fournis sous forme de prêts et de souscriptions. En mai 2021, les investisseurs européens détenaient également 141 milliards USD d’actions et d’obligations de ces sociétés.

Les 50 entreprises pour lesquelles cette recherche a trouvé des relations financières avec des institutions financières européennes, sont : ACS Group, Airbnb, Alstom, Altice Europe, Ashtrom Group, Atlas Copco, Bank Hapoalim, Bank Leumi, Bezeq Group, Booking Holdings, Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF), Caterpillar, Cellcom Israel, Cemex, CETCO Mineral Technology Group, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, Delta Galil Industries, DXC Technology, eDreams ODIGEO, Elbit Systems, Electra Group, Energix Renewable Energies, Expedia Group, First International Bank of Israel (FIBI), General Mills, HeidelbergCement, Hewlett Packard Enterprise (HPE), Israel Discount Bank, Magal Security Systems, MAN Group, Manitou Group, Matrix IT, Mivne Group, Mizrahi Tefahot Bank, Motorola Solutions, Partner Communications Company, Paz Oil Company, Rami Levy Chain Stores Hashikma Marketing 2006, RE/MAX Holdings, Shapir Engineering and Industry, Shikun & Binui, Shufersal, Siemens, Solvay, Terex Corporation, Tripadvisor, Volvo Group, et WSP Global.

Les 50 entreprises sont impliquées dans une ou plusieurs des « activités répertoriées » [1] qui soulèvent des préoccupations particulières en matière de droits humains et qui constituent la base de leur inclusion dans la base de données des Nations Unies sur les entreprises impliquées dans les colonies israéliennes, publiée en février 2020.

Les 10 principaux créanciers (prêts et souscriptions) ont fourni à eux seuls 77,81 milliards USD aux entreprises activement impliquées dans les colonies israéliennes :

1. BNP Paribas (France) : 17,30 milliards USD ; fournis à ACS Group, Airbnb, Alstom, Altice Europe, Atlas Copco, Bank Leumi, Booking Holdings, Caterpillar, Cemex, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, DXC Technology, Elbit Systems, Expedia Group, General Mills, HeidelbergCement, HPE, MAN Group, Mizrahi Tefahot Bank, Motorola Solutions, Siemens, Solvay, Terex, Tripadvisor, Volvo Group, et WSP Global.

2. Deutsche Bank (Allemagne) : 12,03 milliards USD ; fournis à ACS Group, Airbnb, Alstom, Altice Europe, Atlas Copco, Booking Holdings, Caterpillar, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, eDreams ODIGEO, General Mills, HeidelbergCement, HPE, MAN Group, Motorola Solutions, Siemens, Terex, et Volvo Group.

3. HSBC (Royaume-Uni) : 8,72 milliards USD ; fournis à ACS Group, Alstom, Bank Leumi, Booking Holdings, Caterpillar, Cemex, Cisco Systems, Delek Group, Expedia Group, General Mills, HPE, Motorola Solutions, Siemens, Solvay, Terex, Volvo Group, et WSP Global.

4. Barclays (Royaume-Uni) : 8,69 milliards USD ; fournis à Airbnb, Altice Europe, Caterpillar, CETCO, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, DXC Technology, eDreams ODIGEO, General Mills, HeidelbergCement, HPE, MAN Group, Siemens, Terex, et Tripadvisor.

5. Société Générale (France) : 8,20 milliards USD ; fournis à ACS Group, Alstom, Altice Europe, Caterpillar, Cemex, CNH Industrial, eDreams ODIGEO, General Mills, HPE, MAN Group, Manitou Group, Siemens, et Volvo Group.

6. Crédit Agricole (France) : 5,55 milliards USD ; fournis à ACS Group, Alstom, Altice Europe, Cemex, CNH Industrial, HeidelbergCement, HPE, MAN Group, Manitou, Siemens, Solvay, Terex, et Volvo Group.

7. Santander (Espagne) : 4,75 milliards USD ; fournis à ACS Group, Alstom, Cemex, CNH Industrial, eDreams ODIGEO, HPE, MAN Group, Motorola Solutions, Siemens, Terex, et Volvo Group.

8. Groupe ING (Pays-Bas) : 4,60 milliards USD ; fournis à ACS Group, Altice Europe, Caterpillar, Cemex, CNH Industrial, Delek Group, DXC Technology, HeidelbergCement, HPE, Siemens, Solvay, et Volvo Group.

9. Commerzbank (Allemagne) : 4,37 milliards USD ; fournis à ACS Group, Alstom, Caterpillar, CNH Industrial, DXC Technology, HeidelbergCement, MAN Group, Siemens, Solvay, et Terex.

10. UniCredit (Italie) : 3,58 milliards USD ; fourni à ACS Group, Alstom, CNH Industrial, MAN Group, Motorola Solutions et Siemens.

Les 10 principaux investisseurs (participations et obligations) ont investi à eux seuls 67,22 milliards USD dans des entreprises activement impliquées dans les colonies israéliennes :

1. Government Pension Fund Global (Norvège) : un total de 11,52 milliards USD investis dans 41 sociétés : ACS Group, Airbnb, Alstom, Ashtrom Group, Atlas Copco, Bank Hapoalim, Bank Leumi, Bezeq Group, Booking Holdings, CAF, Caterpillar, Cellcom, CETCO, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, Delta Galil Industries, DXC Technology, Electra Group, Energix, Expedia Group, FIBI, General Mills, HeidelbergCement, HPE, Israel Discount Bank, MAN Group, Manitou Group, Matrix IT, Mizrahi Tefahot Bank, Motorola Solutions, Partner Communications Company, Paz Oil Company, Rami Levy Chain Stores Hashikma Marketing 2006, Shufersal, Siemens, Solvay, Terex, Tripadvisor, Volvo Group et WSP Global.

2. Investisseur AB (Suède) : 10,59 milliards USD ; investis dans Atlas Copco.

3. Groupe BPCE (France) : un total de 8,98 milliards USD investi dans 26 sociétés : ACS Group, Airbnb, Alstom, Atlas Copco, Bank Leumi, Booking Holdings, CAF, Caterpillar, Cemex, CETCO, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, DXC Technology, Expedia Group, General Mills, HeidelbergCement, HPE, Manitou Group, Motorola Solutions, RE/MAX Holdings, Siemens, Solvay, Terex, Tripadvisor et Volvo Group.

4. Crédit Agricole (France) : un total de 7,18 milliards USD investis dans 30 sociétés : ACS Group, Airbnb, Alstom, Atlas Copco, Bank Hapoalim, Bank Leumi, Booking Holdings, CAF, Caterpillar, Cemex, Cisco Systems, CNH Industrial, DXC Technology, Electra Group, Expedia Group, General Mills, HeidelbergCement, HPE, Israel Discount Bank, Manitou Group, Mizrahi Tefahot Bank, Motorola Solutions, Shapir Engineering and Industry, Shikun & Binui, Siemens, Solvay, Terex, Tripadvisor, Volvo Group et WSP Global.

5. Deutsche Bank (Allemagne) : un total de 6,41 milliards USD investis dans 39 sociétés : ACS Group, Airbnb, Alstom, Atlas Copco, Bezeq Group, Bank Hapoalim, Bank Leumi, Booking Holdings, CAF, Caterpillar, Cemex, CETCO, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, DXC Technology, eDreams ODIGEO, Elbit Systems, Electra Group, Expedia Group, FIBI, General Mills, HeidelbergCement, HPE, Israel Discount Bank, Manitou Group, Mivne Group, Mizrahi Tefahot Bank, Motorola Solutions, Paz Oil Company, RE/MAX Holdings, Shapir Engineering and Industry, Shufersal, Siemens, Solvay, Terex, Tripadvisor, Volvo Group et WSP Global.

6. Allianz (Allemagne) : un total de 5,16 milliards USD investis dans 30 sociétés : ACS Group, Airbnb, Alstom, Atlas Copco, Bank Hapoalim, Bank Leumi, Bezeq Group, Booking Holdings, Caterpillar, Cemex, CETCO, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, DXC Technology, Expedia Group, FIBI, General Mills, HeidelbergCement, HPE, Israel Discount Bank, Matrix IT, Motorola Solutions, Shufersal, Siemens, Solvay, Terex, Tripadvisor, Groupe Volvoet WSP Global.

7. Swedbank (Suède) : un total de 4,77 milliards USD investis dans 14 sociétés : ACS Group, Alstom, Atlas Copco, Booking Holdings, Caterpillar, Cisco Systems, Expedia Group, General Mills, HeidelbergCement, HPE, Siemens, Solvay, Volvo Group et WSP Global.

8. Legal & General (Royaume-Uni) : un total de 4,31 milliards USD investis dans 47 sociétés : ACS Group, Airbnb, Alstom, Ashtrom Group, Atlas Copco, Bank Hapoalim, Bank Leumi, Bezeq Group, Booking Holdings, CAF, Caterpillar, Cellcom, Cemex, CETCO, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, Delta Galil Industries, DXC Technology, eDreams Odigeo, Elbit Systems, Electra Group, Energix, Expedia Group, FIBI, General Mills, HeidelbergCement, HPE, Israel Discount Bank, Manitou Group, Matrix IT, Mivne Group, Mizrahi Tefahot Bank, Motorola Solutions, Partner Communications Company, Paz Oil Company, Rami Levy Chain Stores Hashikma Marketing 2006, RE/MAX Holdings, Shapir Engineering and Industry, Shikun & Binui, Shufersal, Siemens, Solvay, Terex, Tripadvisor, Volvo Group et WSP Global.

9. Alecta (Suède) : un total de 4,24 milliards USD investis dans Atlas Copco et Volvo Group.

10. AB Industrivärden (Suède) : 4,06 milliards USD investis dans Volvo Group.

Les trois études de cas de ce rapport présentent une analyse critique et approfondie de l’implication des institutions financières et des multinationales européennes dans la colonisation israélienne illégale [2], notamment :

– BNP Paribas, domiciliée en France, représentait 8,97 milliards USD, soit 14% de la valeur totale des prêts accordés aux entreprises commerciales impliquées dans la colonisation israélienne. Parmi ses principaux actionnaires figurent le gouvernement belge (7,7%) et le gouvernement luxembourgeois (1%). Bien que le Groupe BNP Paribas se soit engagé à respecter une série de normes internationalement reconnues en matière de droits humains, notamment le Pacte mondial des Nations Unies, les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, il continue d’être largement impliqué dans le financement (prêts, souscriptions, investissements) de 33 entreprises impliquées dans la colonisation israélienne : ACS Group, Airbnb, Alstom, Altice Europe, AtlasCopco, Bank Hapoalim, Bank Leumi, Booking Holdings, CAF, Caterpillar, Cellcom Israel, Cemex, CETCO, Cisco Systems, CNH Industrial, Delek Group, DXC Technology, Elbit Systems, Expedia Group, General Mills, HeidelbergCement, HPE, MAN Group, Manitou Group, Mizrahi Tefahot Bank, Motorola Solutions, RE/MAX Holdings, Siemens, Solvay, Terex, Tripadvisor, Volvo Group et WSP Global. Un tel financement contredit fortement le respect revendiqué par BNP Paribas des principes et normes des droits humains.

– Booking.com est une marque de Booking Holdings (États-Unis). Elle est constituée aux Pays-Bas et est répertoriée parmi les 112 entreprises commerciales reprises dans la base de données des Nations Unies. Le groupe a été impliqué en permettant l’inscription de logements dans des colonies illégalement installées sur des terres palestiniennes. Les créanciers européens de Booking Holdings entre janvier 2018 et mai 2021 sont Deutsche Bank, BNP Paribas, HSBC et Standard Chartered. Au total, ces quatre banques ont fourni 590 millions USD de prêts et 1,6 milliard USD de souscriptions. En outre, les 20 principaux investisseurs européens (participations et obligations) de Booking Holdings détenaient des investissements totalisant 12,19 milliards USD. Les quatre plus grands investisseurs sont BPCE Group, Janus Henderson, Crédit Agricole et Government Pension Fund Global (Norvège).

– HeidelbergCement, dont le siège social est situé en Allemagne, est l’une des plus grandes entreprises de matériaux de construction au monde. En 2007, elle a acquis Hanson Israël et la carrière Nahal Raba située dans le Territoire palestinien occupé (TPO). HeidelbergCement affirme avoir un engagement envers les droits humains et les normes et directives y référant, telles que les Principes directeurs des Nations Unies et les Principes directeurs de l’OCDE, tout en contribuant à de graves violations des droits de humains contre les Palestiniens qui ont été systématiquement privés de l’accès à leurs terres et à leurs ressources naturelles en raison des opérations d’exploitation de carrières, comme l’ont documenté diverses organisations de la société civile. Parmi les principaux créanciers européens de HeidelbergCement entre janvier 2018 et mai 2021 figurent Deutsche Bank, Danske Bank, BNP Paribas, Crédit Agricole et ING Group. Au total, 16 créanciers ont accordé des prêts d’une valeur de 5,7 milliards USD et des souscriptions pour un total de 2,7 milliards USD au cours de la période considérée. En outre, les 20 principaux investisseurs européens détenaient des actions et des obligations HeidelbergCement, d’une valeur totale de 1,80 milliard USD. Les plus grands investisseurs sont Deutsche Bank, Deka Group, Crédit Agricole et Bestinver.

Responsabilités des entreprises commerciales et des institutions financières

Les entreprises commerciales qui sont directement ou indirectement impliquées dans la colonisation israélienne – y compris par l’intermédiaire du financement, de l’assurance, et du commerce avec des partenaires, des fournisseurs, et les filiales qui ont des liens avérés avec la construction, l’expansion et l’entretien des colonies israéliennes illégales – courent un risque élevé d’implication dans de graves violations du droit international humanitaire ; de complicité dans, ou en profitant de, crimes de guerre et crimes contre l’humanité ; et de contribuer aux violations des droits humains. Un tel risque n’est pas limité à la production et aux relations commerciales, mais s’étend également aux institutions financières. Selon les mots du Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, en janvier 2018 : “Compte tenu du poids du consensus juridique international concernant la nature illégale des colonies elles-mêmes et de la nature systémique et omniprésente de l’impact négatif qu’elles ont sur les droits de l’homme, il est difficile d’imaginer un scénario dans lequel une entreprise pourrait s’engager dans des activités dans les colonies d’une manière compatible avec les Principes directeurs des Nations Unies et avec le droit international.”

Conformément aux Principes directeurs des Nations Unies et à ceux de l’OCDE, les entreprises qui, par leurs activités, peuvent faciliter et contribuer à des violations des droits humains, ont la responsabilité de faire preuve d’une diligence raisonnable accrue pour prévenir ou atténuer les incidences négatives sur les droits humains et éviter ainsi toute implication ou complicité dans des violations du droit international. Ces responsabilités s’appliquent également à la chaîne d’approvisionnement et aux relations indirectes.

Les entreprises dont les activités, les produits ou les services sont directement liés à de graves impacts sur les droits humains sont censées réagir rapidement et envisager un désengagement responsable. Le désengagement responsable est une norme mondiale de conduite attendue pour toutes les entreprises, où qu’elles opèrent, et existe indépendamment de la capacité et de la volonté des États de remplir leurs propres obligations en matière de droits humains. Les institutions financières internationales, y compris les banques et les fonds de pension, ont également la responsabilité, en vertu des Principes directeurs des Nations Unies et de ceux de l’OCDE, d’utiliser leur influence par le biais d’un engagement significatif et limité dans le temps pour s’assurer que les sociétés dans lesquelles ils investissent agissent de manière responsable et conforme aux normes du droit international, et de se désinvestir de celles qui ne le font pas.

Ces dernières années, plusieurs institutions financières ont pris leurs responsabilités en se désinvestissant des entreprises liées aux colonies israéliennes en raison des risques d’être impliquées dans des violations. Les deux exemples les plus récents et les plus importants sont ceux de Kommunal Landspensjonskasse (KLP) et du Norwegian Government Pension Fund Global (GPFG). KLP est le plus grand fonds de pension de Norvège et, en juillet 2021, il s’est désinvesti de 16 sociétés liées à la colonisation israélienne, dans le cadre de processus de diligence raisonnable. Dans le même ordre d’idées, GPFG a annoncé en septembre 2021 qu’il exclurait trois entreprises activement impliquées dans les colonies israéliennes. Depuis 2010, de nombreuses autres institutions, banques et entreprises telles que Dexia Crédit Local (France), Deutsche Bank (Allemagne), Barclays (Royaume-Uni), HSBC (Royaume-Uni), AXA IM (France), Government Pension Fund Global (Norvège), Danske Bank (Danemark), Sampension (Danemark), United Methodist Church (États-Unis), Quakers in Britain Church (Royaume-Uni), Storebrand (Norvège) et Europcar Groupe (France) ont pris la décision de se désinvestir de certaines entreprises impliquées dans les colonies israéliennes.

Recommandations

Sur la base de l’analyse et des conclusions présentées, du cadre de droit international applicable et de la jurisprudence de divers instruments internationaux, le rapport fournit un ensemble de recommandations à l’ensemble des institutions financières, des entreprises, des gouvernements et institutions européens et des autorités locales à travers l’Europe :

Les institutions financières devraient :

1. Appliquer une diligence raisonnable renforcée en matière de droits humains y compris par le biais d’études d’impact sur les droits humains – à toutes les étapes du processus décisionnel, sur toutes les relations d’affaires avec les entreprises qui font partie des portefeuilles de prêts, de souscription et d’investissement de l’institution financière et qui sont connues pour être impliquées dans des activités liées aux colonies dans le TPO.

2. Mettre en place des mécanismes pour prendre des mesures rapides et efficaces suite aux conclusions des analyses d’impact et créer des outils appropriés pour communiquer publiquement comment les impacts négatifs sur les droits humains sont traités.

3. Exercer un effet de levier sur les entreprises commerciales connues pour être impliquées dans des activités liées aux colonies dans le TPO afin que la société cesse ces activités et relations. Dans les cas où il n’y a pas de levier disponible, ou lorsque les investisseurs ne sont pas en mesure d’utiliser l’effet de levier existant pour assurer le respect du droit international, y compris les normes de droits humains et le droit international humanitaire, et mettre fin de manière responsable à la relation financière avec l’entreprise en question.

4. Engager un dialogue avec les parties prenantes locales, c’est-à-dire la population palestinienne protégée, afin de fournir une réparation efficace pour tout préjudice causé ou auquel les investissements et les relations de l’institution financière auraient contribué.

5. Élaborer des lignes directrices et des déclarations de politique claires selon lesquelles l’implication dans les colonies israéliennes illégales est un critère d’exclusion dans le portefeuille d’investissement de l’institution financière.

6. Utiliser leur influence auprès des fédérations sectorielles, des régulateurs, des décideurs et des organes établissant les normes pour promouvoir et assurer le respect du droit international des droits humains et humanitaire, ainsi que d’une diligence raisonnable renforcée en matière de droits humains, en tant que normes sectorielles.

Les entreprises commerciales devraient :

7. De manière responsable, cesser toutes les activités et relations avec les colonies israéliennes illégales et s’en désengager conformément aux Principes directeurs des Nations Unies et de l’OCDE, et à toutes les responsabilités pertinentes en vertu du droit international des droits humains et du droit international humanitaire.

8. Respecter les dispositions applicables du droit international dans toutes les activités et relations liées au TPO et à Israël.

9. Introduire des processus de réparation et de remédiation appropriés pour toutes les personnes touchées par les violations et les effets négatifs de ses activités et de ses relations liées à la colonisation israélienne, en consultation avec les personnes directement touchées, dans le cadre du mécanisme de règlement des plaintes de l’entreprise afin d’assurer la réparation et la redevabilité pour toutes les personnes affectées négativement par ses activités et opérations.

10. Mettre en place des procédures de diligence raisonnable solides et renforcées en matière de droits humains au sein de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement afin de garantir que les opérations et les activités à l’étranger et par l’intermédiaire de filiales respectent pleinement le droit international, y compris le droit international humanitaire, le cas échéant. En outre, les entreprises commerciales devraient veiller à ce que leur cadre de responsabilité sociale des entreprises tienne compte du DIH.

Les gouvernements et les institutions européennes devraient :

11. Fournir un appui politique et financier au Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) pour qu’il s’acquitte de son mandat et mette à jour et publie chaque année la base de données des Nations Unies sur les entreprises commerciales participant à certaines activités liées aux colonies dans le TPO.

12. Veiller à ce que les entreprises opérant au sein de leur juridiction entreprennent des procédures renforcées de diligence raisonnable en matière de droits humains afin d’empêcher toute participation à des violations des droits humains dans les territoires occupés et les zones touchées par des conflits, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies et ceux de l’OCDE ainsi qu’aux responsabilités et obligations pertinentes en vertu du droit international des droits humains et humanitaire. Veiller aussi à ce que les entreprises mettent en place des mesures préventives urgentes et immédiates, ainsi que des politiques de désinvestissement et de désengagement visant à limiter leur implication dans les violations tout au long de leurs activités et de leurs relations dans de tels contextes.

13. Publier des avis aux entreprises mis à jour sur les investissements financiers directs et indirects, les activités et les relations avec la colonisation israélienne, mettant en garde contre les risques et les conséquences juridiques associés, et établir une stratégie de diffusion proactive de ces avis auprès des entreprises commerciales. Encourager activement l’Union européenne à publier un avis européen conjoint aux entreprises sur les investissements financiers liés à la colonisation israélienne, et à élaborer une stratégie de diffusion proactive pour cet avis.

14. Dans les cas où un gouvernement européen est actionnaire d’une institution financière impliquée dans une ou plusieurs des « activités répertoriées » (dans la base de données des Nations Unies), prendre les mesures appropriées pour s’assurer que l’institution financière, par le biais de processus d’engagement et d’exclusion, met fin à sa participation et élabore une politique formelle qui empêche de tels investissements liés à des violations dans le futur.

15. Appliquer le droit des marchés publics conformément aux obligations et responsabilités des Etats en vertu du droit international, des Principes directeurs des Nations Unies et des Principes directeurs de l’OCDE, ce qui implique d’éviter l’attribution de marchés publics à des entreprises impliquées dans des violations graves du droit international.

16. Indiquer explicitement dans les lignes directrices sur les marchés publics que l’État et les autorités locales sont censés appliquer le droit des marchés publics de manière cohérente conformément aux obligations de l’État en vertu du droit international et veiller à ce que les entreprises respectent les normes de conduite fournies par les Principes directeurs des Nations Unies et de ceux de l’OCDE.

17. Rendre compte périodiquement et publiquement des efforts déployés par le pays pour mettre en œuvre la résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que des activités et des efforts prévus pour rendre la résolution plus opérationnelle.

18. Interdire l’importation de produits et de services des colonies illégales sur les marchés européens, et interdire le commerce et le soutien économique aux colonies israéliennes illégales, dans le cadre de la mise en œuvre des obligations positives et coutumières des Etats tiers en vertu du droit international humanitaire.

19. Soutenir et jouer un rôle positif et constructif dans les négociations visant à faire progresser l’adoption d’un instrument juridiquement contraignant pour réglementer, dans le droit international des droits humains, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales (Traité contraignant des Nations Unies).

20. Aborder les zones de conflit et les territoires occupés dans les cadres relatifs aux entreprises et aux droits humains en cours d’élaboration aux niveaux national, de l’UE et des Nations Unies, comme les plans d’action nationaux (PAN), le Traité contraignant des Nations Unies, les législations nationales et européenne sur le devoir de vigilance obligatoire, et d’autres outils et mécanismes pertinents.

21. Incorporer une législation visant à donner effet au principe de compétence universelle au niveau national, pour la poursuite de violations graves des Conventions de Genève et de crimes internationaux liés aux entreprises commis dans le TPO, afin de garantir la redevabilité.

22. Coopérer pleinement avec le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) conformément aux obligations pertinentes énoncées dans le Statut de Rome et les Conventions de Genève, et exprimer un soutien public à l’indépendance de la Cour dans son enquête sur la situation en Palestine.

23. Inclure les violations graves et les crimes internationaux liées aux entreprises commis dans le TPO, à savoir ceux liés aux colonies israéliennes illégales, dans la mise en œuvre du régime mondial de sanctions sur les droits humains de l’UE, ainsi que les violations des droits humains, y compris celles perpétrées par des entreprises.

Les autorités locales de toute l’Europe devraient :

24. Dans les cas où une municipalité locale a son propre fonds de pension, entreprendre un examen des investissements dans l’une des « activités répertoriées » dans la base de données des Nations Unies. Dans ces cas, entamer le processus de désinvestissement des sociétés inscrites par le HCDH dans la base de données de l’ONU, compte tenu de l’engagement rigoureux et étendu entrepris par le HCDH avant la publication de la base de données.

25. Veiller à ce que les fonds de pension des autorités locales mettent en œuvre des procédures adéquates de filtrage des investissements et de diligence raisonnable pour se conformer aux obligations de ne pas être complices de violations du droit international.

26. Appliquer le droit des marchés publics conformément aux obligations et responsabilités des Etats en vertu du droit international, des Principes directeurs des Nations Unies et des Principes directeurs de l’OCDE, ce qui implique d’éviter l’attribution de marchés publics à des entreprises impliquées dans de graves violations du droit international.

Source : AFPS

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