Amazon et Google: partenaires de l’apartheid israélien

Par Jonathan Cook, le 19 octobre 2021 

Google dépeint Israël comme une démocratie, tout en aidant à la violation des droits palestiniens. Arthur Widak NurPhoto

L’auteure irlandaise de best-sellers Sally Rooney rejette ouvertement Israël après les récents rapports des groupes de défense des droits humains qui alertent sur le fait qu’Israël pratique l’apartheid, opprimant systématiquement les Palestiniens sous sa domination.

Mais si Israël risque de devenir un paria pour certains producteurs culturels, il est étreint avec pugnacité par des corporations à l’échelle du globe comme Amazon et Google — qui font partie des compagnies les plus riches de l’histoire.

Les deux géants du tech ne font pas seulement la queue pour commercer avec Israël. Ils travaillent activement à construire et à améliorer l’infrastructure technologique dont Israël a besoin pour surveiller les Palestiniens et les confiner aux ghettos que l’armée israélienne a créés pour eux.

Par leur collaboration dans le Projet Nimbus d’Israël, les deux compagnies aident à éliminer toute pression sur Israël à faire la paix avec les Palestiniens et, en revanche, elles deviennent partenaires de l’apartheid israélien.

Des travailleurs des deux compagnies s’expriment maintenant publiquement sur cela— la plupart d’entre eux anonymement par crainte de ce qu’ils appellent des « représailles ».

 Ce mois-ci, quelque 400 employés des deux compagnies ont publié une lettre dans The Guardian qui alertait sur le fait qu’ Amazon et Google avaient signé un contrat pour fournir « une technologie dangereuse » à l’armée et au gouvernement israéliens, une technologie qui rendrait la domination d’Israël sur les Palestiniens « encore plus cruelle et mortelle ». 

Secret

Le contrat de 1,2 milliards de dollars pour le projet Nimbus accordé plus tôt dans l’année signifie que les deux firmes de technologie doivent construire des centres de données en Israël pour l’armée et le gouvernement israéliens. 

Leurs cadres ont besoin d’une habilitation de sécurité israélienne pour travailler sur le projet. 

Signe de ce qu’Israël est très conscient des réactions potentielles à l’implication d’Amazon et de Google, le contrat empêche les entreprises de technologie de se retirer, que ce soit à cause d’une pression de leurs employés ou du mouvement croissant de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Les termes du contrat sont aussi maintenus secrets pour bloquer tout examen.

Le souhait des géants de la tech d’éviter la publicité est compréhensible. Chacun d’eux défend, du bout des lèvres, des pratiques commerciales éthiques. Google affirme que les entreprises « peuvent faire de l’argent sans faire du mal », et « les principes de leadership » d’Amazon énoncent son engagement à « faire mieux, agir mieux et être meilleur ». 

Fournir à Israël les outils technologiques qui renforcent encore son aggressive occupation militaire et ses politiques d’apartheid privilégiant les Juifs par rapport aux Palestiniens semble pourtant étrangement signifier : gagner beaucoup d’argent par une collusion avec le mal.

Dans les termes du personnel lanceur d’alerte, la collaboration d’Amazon et de Google permet « une surveillance plus étroite des Palestiniens et la collecte illégale de données sur eux, et facilite l’expansion des colonies illégales d’Israël sur des terres palestiniennes ».

 Ni Amazon, ni Google n’ont répondu à la requête de commenter les inquiétudes soulevées dans la lettre.

Renforcer l’occupation

Deux employés, Gabriel Schubiner, un ingénieur software de Google, et Bathool Syed, un stratégiste en contenu à Amazon, se sont exprimés publiquement sur le site web de NBC peu de temps après la publication de la lettre dans The Guardian.

Ils ont donné des exemples de la manière dont Israël pourrait utiliser les services informatiques d’Amazon et de Google pour aider à renforcer l’occupation. Les données pourraient être utilisées à identifier les maisons palestiniennes en vue de leur démolition, ce qui constitue souvent des coups en vue du déblaiement des terrains par Israël afin de construire et d’étendre les colonies illégales. 

Et l’information récoltée et stockée dans des serveurs guiderait les attaques sur des zones construites de Gaza, où Israël a instauré un blocus pendant les 15 dernières années. Dans des campagnes militaires précédentes, Israël a bombardé des écoles, des universités et des hôpitaux palestiniens.

Les serveurs d’Amazon et de Google seconderont aussi le système israélien d’interception de missiles Iron Dome, qui a aidé Israël à neutraliser les roquettes de Gaza afin qu’il puisse maintenir un calme forcé de la part des Palestiniens en les gardant en cage et en imposant un régime de famine aux habitants de l’enclave.

Les deux employés ont aussi noté qu’Amazon et Google seront directement impliqués dans les politiques d’apartheid plus vastes d’Israël, du genre qui a été critiqué plus tôt cette année par les groupes de défense des droits humains, dont B’Tselem, qui surveille l’occupation israélienne.

Nimbus servira l’ Administration foncière d’Israël, qui non seulement alloue des terres aux colonies illégales, mais supervise aussi les politiques discriminatoires dans la distribution des terres à l’intérieur d’Israël, privilégiant ouvertement les juifs par rapport au cinquième de la population israélienne que sont les autochtones palestiniens. 

Israël affirme que ces prétendus Arabes israéliens sont des citoyens égaux, mais ils souffrent de discrimination systématique, comme B’Tselem et l’association Human Rights Watch, basée à New York, l’ont souligné.

«  Carrefour de données » 

Amazon et Google ont ignoré des appels précédents de leur personnel à préférer les droits des Palestiniens à l’accroissement de leurs profits par une collusion avec l’économie de guerre d’Israël. 

En mai, des centaines d’employés — encore une fois anonynement — ont exhorté les deux compagnies à rompre leurs liens avec l’armée israélienne, peu après que celle-ci a tué près de 260 Palestiniens, dont plus de 60 enfants, dans une attaque sur Gaza assiégée.

Les chiffres publiés ce mois-ci ont démontré la place centrale d’Israël dans l’économie numérique mondiale. Malgré sa taille minuscule, la part d’Israël dans les investissements high-tech monte maintenant à un tiers de ceux des pays européens. 

Israël a particulièrement bénéficié de la demande croissante en Occident pour ses technologies de surveillance, son cyber-armement et leurs développements dans l’intelligence artificielle militarisée. L’armée israélienne et ses rejetons, sous la forme de startups lancées par des militaires à la retraite, ont un avantage compétitif, revendiquant que leurs technologies ont été « éprouvées au combat » sur des Palestiniens en Cisjordanie occupée et à Gaza.

Selon les rapports dans les médias locaux, Israël est positionné pour devenir un « carrefour mondial de données ». En plus d’Amazon et de Google, Microsoft, Oracle et IBM devraient tous construire des fermes de serveur en Israël pour tirer profit de l’intégration accrue des technologies numériques et militaires.

Le rôle critique d’Israël dans la haute technologie – de son usine de fabrication de puces Intel à des firmes comme AnyVision et Onavo qui offrent de la surveillance experte, de la reconnaissance faciale et des technologies d’extraction des données – signifie que personne ne peut se permettre de se passer d’Israël. 

Google et Facebook ont déjà été confrontés à des critiques pour leur collaboration avec Israël dans la censure des Palestiniens sur les réseaux sociaux ou leur invisibilisation sur les cartes en ligne. 

Des profits à profusion

Le personnel anonyme signant la lettre à Amazon et Google semble nostalgique des jours où, écrivent-ils, la technologie qu’ils construisaient était conçue « pour servir et élever les gens partout ».

Mais la réalité est que les firmes de technologie comme Amazon et Google ont dépassé depuis longtemps les simples services en ligne, comme nous aider à acheter un livre ou à chercher une recette. La volonté de profit, le besoin de maintenir à distance les concurrents et l’incitation à éviter les régulations d’état signifient qu’elles sont devenues des joueurs clés aidant l’« Etat de sécurité nationale ». 

A côté des ses initiatives notoires de démantèlement des syndicats, Amazon a accru les pouvoirs des forces de la police des Etats-Unis, locale et fédérale, et des services de l’immigration qui ont été sévérement critiqués pour avoir séparé des familles demandeuses d’asile, à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique.

Très tôt, Google a collaboré avec la CIA, l’Agence de la sécurité nationale [des Etats-Unis], le Pentagone et le Département d’Etat des USA, ou en a reçu de l’argent.

Les quelque 400 employés anonymes espèrent encore qu’ils pourront reproduire certaines victoires précédentes qui ont mis fin à la complicité des corporations de technologie dans l’oppression et l’agression militaire. 

En 2019 Google s’est retiré du Projet Dragonfly, destiné à aider la Chine à censurer les recherches en ligne de sa population. Et l’année précédente, il a abandonné le Projet Maven destiné à aider le Pentagone dans des assassinats par drones.

Mais la Chine était un ennemi officiel et le Pentagone poursuit encore le projet de drones, aidé semble-t-il par des firmes soutenues par des fonds d’investissements dont le propriétaire est Alphabet, un parent de Google, et une startup liée à un ex-cadre de Google, parmi d’autres, pour faire le travail que Google lui-même a dû abandonner.

Obtenir qu’Amazon ou Google honorent leurs engagements publics à un comportement éthique en se retirant du projet Nimbus pourrait s’avérer bien plus difficile — et pas seulement à cause des obligations contractuelles qu’Israël a exigées. 

Israël est devenu trop essentiel à la surveillance globale et aux industries de guerre pour qu’un géant de la technologie risque de le contrarier. Avec les profits à profusion qui peuvent dériver d’une collaboration plus étroite avec le complexe militaro-industriel, la pression ira dans le sens de forger des liens plus étroits avec Israël, quelque soit son dossier en matière de droits humains.

Et avec le lobby pro-Israël bien implanté dans les capitales occidentales, les corporations de technologie ne souhaiteront pas risquer que leur réputation soit entachée d’antisémitisme pour avoir boycotté Israël.

La pression peut monter sur de nombreuses compagnies pour qu’elles prennent leur distance par rapport à Israël à cause de ses politiques d’occupation et d’apartheid. Mais pour Amazon et Google ce sont ces pratiques mêmes d’occupation et d’apartheid qui constituent un filon technologique n’attendant qu’à être exploité.

Jonathan Cook a gagné le Prix spécial Martha Gellhorn pour le Journalisme. Ses derniers livres sont Israel and the Clash of Civilizations: Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine: Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books).

Source : The Electronic Intifada

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

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