Révéler l’occupation : la guerre archéologique d’Israël contre l’héritage culturel palestinien

Par Yara Hawari, le 18 mars 2022

Un nouveau rapport détaille la manière dont Israël a délibérément ciblé des sites archéologiques de Gaza dans une tentative pour effacer l’héritage culturel de la Palestine, détruisant les preuves de la connexion historique des Palestiniens avec le pays et niant leur autochtonie. 

Eparpillés le long des modestes plages de Gaza, enterrés sous les décombres et la destruction des bombes d’Israël, se trouvent plusieurs sites archéologiques extraordinaires remontant à l’Age du fer. 

Une nouvelle enquête du groupe de recherche Forensic Architecture [Architecture judiciaire] détaille maintenant comment Israël a délibérément ciblé des sites archéologiques dans la Bande de Gaza assiégée, dans une attaque flagrante contre l’héritage culturel palestinien. 

Suite à des campagnes successives de bombardements, ces sites le long de la côté de Gaza, qui incluent une fontaine de l’ère romaine et un rampart de l’Age du fer, sont maintenant confrontés à une « menace existentielle ». Travaillant avec des journalistes, des archéologues et des militants de Gaza et d’ailleurs, Forensic Architecture a rassemblé une vaste série de preuves pour cartographier et reconstruire ces sites. C’est une forme pionnière d’ « archéologie open source », qui a le potentiel pour être un outil important dans la lutte contre l’effacement culturel.

De fait, le régime israélien a longtemps essayé d’effacer l’héritage culturel palestinien ou de se l’approprier dans le cadre du projet sioniste colonial de peuplement. Pour établir une connexion historique au pays et soutenir son narratif selon lequel il aurait la propriété exclusive de l’histoire du pays, qui est au coeur de l’idéologie fondationnelle d’Israël, effacer l’héritage non-juif devient crucial. 

Pour ce faire, Israäl a recouru soit à la destruction de l’ héritage existant des Palestiniens, soit à la création d’un récit complètement différent et exclusif autour de lui. 

Comme l’a expliqué Al Haq, une ONG palestinienne de défense des droits humains, dans le contexte du rapport de Forensic Architecture : «  Cibler l’héritage culturel n’est pas un geste vide. La culture constitue une expression visible de l’identité humaine. Priver un peuple de sa culture revient à le vider de la substance même qui forme la colonne vertébrale de son droit à l’auto-détermination, particulièrement dans un contexte de violations des droits humains cumulatives, interconnectées et systémiques. » 

Pour toutes les communautés et pour tous les groupes nationaux, l’héritage culturel est un lien tanglible, physique, au passé. Dans sa tentative pour effacer tout passé palestinien, les régimes israéliens, passés et présents, ont activement cherché à déconnecter les Palestiniens de leur héritage. On attribue au père fondateur sioniste, David Ben Gourion, la phrase célèbre : « Les vieux (Palestiniens » mourront et les jeunes oublieront ». 

Pourtant, cela n’a pas été le cas et les Palestiniens ont cherché rigoureusement à préserver leur histoire malgré les tentatives enragées pour la nier.

Des ouvriers palestiniens creusent des sites archéologiques récemment découverts, dont un cimetière romain contenant des tombes richement décorées, à Beit Lahia dans le nord de la Bande de Gaza, le 20 février 2022 (Getty).

Dans cette guerre contre l’héritage culturel palestinien, l’archéologie a joué un rôle clé. Des sites palestiniens ont été fouillés illégalement par des archéologues israéliens et de nombreux artefacts ont été pillés et cachés dans des institutions israéliennes. En 1948, quand le projet sioniste a établi l’Etat d’Israël, des archéologues se sont mis immédiatement au travail pour trouver des « preuves » historiques d’une présence juive dans le pays. 

Au passage, ils ont souvent détruit des couches de ruines archéologiques pour trouver des ruines de l’ère juive. Dr Mahmoud Hawari, archéologue palestinien et ancien directeur du Musée de la Palestinien, a expliqué que la transformation par Israël de l’archéologie en une arme pour inventer un narratif « biblique » biaisé et centré sur les « allégations historiques juives » aide à mieux justifier son projet colonial de peuplement. 

Cependant, cela ne contredit pas seulement l’éthique de la pratique archéologique, qui insiste la préservation de l’histoire, mais cela ignore aussi activement l’histoire diverse et à multiples facettes de la Palestine et la présence historique du peuple palestinien autochtone. A la fin, cette réécriture de l’histoire sert le plan d’Israël de mener à bien un nettoyage ethnique progressif des Palestiniens, ainsi que de s’approprier leur histoire et leur héritage culturel, a expliqué Dr Hawari.

En 1967, quand Israël a occupé pour la première fois la Cisjordanie et Gaza, la pratique de manipuler l’archéologie pour réécrire le passé a été étendue à ces territoires palestiniens occupés. En particulier, Israël a commencé à faire des fouilles agressives dans la Vielle Ville de Jérusalem.

Plus récemment, Israël a mené des fouilles dans la zone sous le Dôme du Rocher, qui héberge aussi la Mosquée al-Aqsa, une partie intégrale du site patrimonial classé par l’Unesco qu’est la Vieille Ville de Jérusalem. Ces fouilles ont été lourdement condamnées par l’organisme culturel des Nations unies et ont provoqué une résolution de l’UNESCO critiquant Israël pour ses politiques d’ensemble par rapport à l’enceinte

Nombre de ces « projets archéologiques » sont sponsorisés par des organisations de colons israéliens de droite fanatiques comme El Ad, qui a longtemps eu un monopole sur les sites archéologiques à Jérusalem, particulièrement dans le quartier de Silwan.

Par l’appropriation des terres palestiniennes, la destruction de maisons palestiniennes et l’effacement de l’archéologie palestinienne, El Ad oeuvre à établir irréfutablement la présence historique juive pour soutenir le narratif d’une possession juive millénaire sur Jérusalem tout en effaçant simultanément l’existence palestinienne, tant celle du passé que celle du présent. 

De plus, par l’utilisation de narratifs bibliques, est assurée l’assertion selon laquelle cette propriété exclusive est donnée par Dieu, un narratif qui est soutenu ardemment par les Sionistes chrétiens — un groupe qui forme le socle du soutien des Etats-Unis pour le régime israélien. 

Pendant ce temps, à Gaza, où le régime israélien s’est livré, avant le siège, à des fouilles illégales et à des appropriations, il a maintenant simplement une politique de destruction. Forensic Architecture a expliqué à The New Arab que « l’archéologie est une autre victime de la violence coloniale israélienne vis-à-vis des Palestiniens ». 

A Gaza, les attaques israéliennes continuent à impacter la vie quotidienne, l’identité et les pratiques des Palestiniens et à leur dénier le droit à leur héritage culturel.  

 C’est pourquoi l’archéologie pionnière « open source » de Forensic Architecture est si importante. Elle permet à la recherche archéologique de continuer dans le contexte d’un siège où l’accès est restreint et où les sites sont constamment menacés de destruction par les bombardements israéliens.

Cette enquête a aussi été importante pour soutenir des voies juridiques contre le traitement différentiel par Israël de l’archéologie et de l’héritage culturel palestiniens. Dans un rapport, Al Haq explique comment c’est un aspect fondamental du régime d’apartheid israélien et pourquoi ces attaques reviennent à des crimes de guerre.

Tant Forensic Architecture qu’Al Haq ont appelé conjointement le procureur de la CPI à « considérer cette destruction comme revenant à des crimes de guerre, et à évaluer sa contribution potentielle à l’apartheid en tant que crime contre l’humanité selon le Statut de Rome. » 

Dans le contexte de Gaza, où la population est soumise à de fréquents bombardements et à des conditions de vie catastrophiques, la discussion des sites patrimoniaux peut sembler frivole. Pourtant, reconnaître la guerre d’Israël contre l’héritage culturel palestinien comme partie intégrante du système général d’oppression est crucial.

Le projet colonial de peuplement d’Israël ne consiste pas seulement à se débarrasser des Palestiniens du présent en les contraignant à quitter leurs maisons et en leur créant des conditions d’existence invivables. Il consiste aussi à les effacer de l’histoire du pays qu’est la Palestine historique dans un effort pour leur dénier toute revendication à la souveraineté et à l’autochtonie.

Yara Hawari est chargée de politique pour la Palestine à Al-Shabaka, le réseau de politique palestinien.

Suivez-la sur Twitter: @yarahawari

Source : The New Arab

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

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