Au cœur de la résistance à Jénine

Par Shatha Hanaysha, le 22 avril 2022 

Shatha Hanaysha parle avec des habitants et des figures dirigeantes du camp de réfugiés de Jénine à propos de la vie sous la menace constante des raids israéliens et du récit qui impulse la résistance palestinienne. 

Le camp de réfugiés de Jénine (Photo: Wajed Nobani/APA Images)

La semaine dernière, en pleine nuit, on entendait des chants dans les ruelles du camp de réfugiés de Jénine tandis que des jeunes gens venaient protéger le camp. Ils chantaient en bloquant les entrées du camp avec des monceaux de terre et des pneus. Puis ils ont attendu que l’armée d’occupation prenne le camp d’assaut, comme plusieurs menaces avaient été lancées par les autorités israéliennes.

Les jeunes gens entonnaient des chants patriotiques pour leurs amis – les martyrs qui avaient été tués par les forces israéliennes – et d’autres chants aussi résonnaient dans le camp. Ils s’étaient réparti les tâches : un groupe distribuerait de l’eau et de la nourriture aux personnes présentes, un autre groupe fermerait les entrées au camp, un autre se déplaçait dans le camp entre des emplacements stratégiques, et un dernier groupe était chargé, sans doute, du rôle le plus important : guetter les entrées depuis la ville, de crainte d’une attaque soudaine.

Depuis le début de cette année, les forces israéliennes ont tué 15 Palestiniens dans la ville de Jénine dans le Nord de la Cisjordanie, selon le ministère palestinien de la Santé. Ces dernières semaines, la résistance dans le camp de Jénine est revenue au premier plan en Cisjordanie, surtout depuis l’annonce du 8 avril selon laquelle le gouvernement israélien allait lancer une opération massive dans le secteur à la suite d’une attaque que Raad Hazem, résident du camp de Jénine, a menée à Tel Aviv et qui a tué trois Israéliens. Le Premier ministre israélien Naftali Bennett avait alors lancé une mise en garde : “il n’y a pas et il n’y aura pas de limites à cette guerre. Nous allouons une liberté d’action totale à l’armée, au Shin Bet [agence de renseignement intérieur] et à toutes les forces de sécurité afin de mettre la terreur en échec.”

Depuis, les troupes israéliennes ont fait face à une résistance farouche à chaque fois qu’elles ont essayé de pénétrer dans le camp de Jénine. Lorsqu’elles le font,  c’est souvent en se déguisant en civils ou en faisant usage d’une force armée disproportionnée, ce qui aboutit à des affrontements armés. Ces raids se terminent souvent par le meurtre de passants innocents puisque quiconque passe dans la rue devient une cible. 

La crainte d’offensives soudaines contre le camp de Jénine s’est aggravée depuis que le renseignement militaire israélien a annoncé qu’il y aurait un raid sur le camp sauf si Fathi Hazem, le père de Raad Hazem, se rendait.  Au cours de ce seul mois, huit Palestiniens, notamment Mohammad Zakarneh,17 ans, ont été tués par l’armée israélienne lors de raids destinés à assassiner ou à capturer des membres de la famille Hazem. Hanan Khaddour, 19 ans, est morte le 18 avril après avoir essuyé les coups de feu de soldats israéliens, lors d’un raid visant à arrêter Fathi Hazem, pendant que la jeune fille  revenait chez elle en sortant de l’école. Hazem senior dit qu’il est prêt à se rendre une fois qu’il aura pu dire au revoir à son fils. “Donnez-moi le corps de mon fils pour que je l’embrasse et que je l’enterre, et ensuite, je me rendrai”, a-t-il dit dans une déclaration postée sur Facebook.

Les forces israéliennes se heurtent de plus en plus à une résistance armée quand elles assaillent les différents secteurs du gouvernorat de Jénine, qu’il s’agisse du camp de réfugiés, de la ville limitrophe, ou des villages environnants. Des cellules distinctes se sont formées dans ces villages, et les combattants de la résistance du camp se rendent dans les villages pour affronter les forces israéliennes et repousser leurs incursions. 

Selon M.J., résident du camp, chaque fois que l’armée israélienne essaie de mener une opération militaire au camp de Jénine et échoue, elle se met à prendre les civils pour cible dans les rues et leur tire dessus à balles réelles. “Ils utilisent les blessés et morts civils comme méthode pour punir la résistance et pour cacher leur échec aux citoyens israéliens.”

“Raad n’est pas la cause de tout ce qui se passe au camp et ce qu’Israël fait aux gens qui y vivent, mais tout ce qui se passe au camp ou s’y est passé est la raison de ce que Raad a fait”, ajoute-t-il.

Causes fondamentales

Selon Atta Abu Rmeileh, secrétaire du mouvement Fatah à Jénine, les incursions récentes au camp de Jénine ne sont pas dues à l’attaque de Hazem à Tel Aviv – on peut les faire remonter à une étape beaucoup plus ancienne. Abu Rmeileh a indiqué à Mondoweiss que les autorités israéliennes ont été animées d’un désir de vengeance permanent au camp depuis la bataille d’avril 2002. Abu Rmeileh souligne que les Israéliens sont conscients d’avoir été humiliés et mis en échec lors de ces combats il y a 20 ans et que depuis, ils se sont livrés sans cesse à des incursions, des assassinats, des arrestations, ont imposé un siège et des souffrances dans le camp de Jénine.

Il explique que la nouvelle génération du camp de Jénine a perdu tout espoir, en l’absence d’un horizon économique ou politique. Les autorités Israéliennes ont tué toute son ambition ; et Israël ne veut pas de solution, ni la paix. 

“Nous disons non. Notre dignité est plus importante que les conditions économiques. Tout ce que la nouvelle génération a connu au cours de sa vie, c’est le meurtre ou le crime. Ils ont vu du sang, des chars, des Apaches, des bombes et des démolitions ; des chars d’assaut qui roulaient sur des gens, sur des civils, et leur écrasaient les os”, ajoute Abu Rmeileh.

Quand je lui demande si ce qui se passe au camp de Jénine est nouveau, il répond : “Pendant l’Intifada d’Al-Aqsa les forces israéliennes ont commis des massacres contre notre peuple, et aujourd’hui encore nous dénonçons ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé auparavant et jusqu’à ce jour a suscité une réaction dans cette génération. Cette génération est sous pression, et cette pression a créé une explosion, comme celle qui a eu lieu à Tel Aviv.”

J’ai demandé à Abu Rmeileh si Raad Hazem est une inspiration pour les jeunes gens qui résistent aujourd’hui au camp de Jénine. Il m’a dit que le martyre des jeunes du camp qui les ont précédés est la raison principale pour laquelle cette génération manque d’espoir et d’un horizon politique. Abu Rmeileh explique que, dans l’esprit de Raad, il déplaçait la  bataille depuis le camp jusqu’à Tel Aviv.

Pourquoi le camp de Jénine semble-t-il, par rapport à d’autres camps, jouer un rôle spécial d’inspiration pour la Cisjordanie ? Abu Rmeileh explique : “Le camp, et les évènements qu’il a traversés, ont produit un sentiment de patriotisme en plein essor, et il existe un sens conscient, une mise en alerte, et un moral élevé dans le peuple et dans la nouvelle génération. Nous avons atteint la certitude que nous ne perdrions pas la bataille, et qu’il ne reste rien à perdre. Le seul chemin que l’occupation israélienne nous a laissé, c’est celui de la résistance.”

Il ajoute ceci : “Cette nouvelle génération est prête pour cette étape, et ceux qui se battent aujourd’hui sont les fils de combattants, les fils de martyrs, les fils de prisonniers, qui ont livré la bataille du camp de Jénine en 2002. Nous sommes fiers de ces actions patriotiques partout, et notamment au camp de Jénine, car elles sont un modèle à suivre et renforcent le moral de toutes les générations.”

Mondoweiss a également pu s’entretenir avec le porte-parole officiel des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, bras armé du mouvement Fatah, dans le camp de Jénine. Surnommé “Abu Muhammad”, le porte-parole m’a dit que ce à quoi nous assistions aujourd’hui était causé par la hausse du rythme quotidien d’arrestations de Palestiniens et le ciblage direct du camp, soulignant avec force que ce qui se passe n’est pas nouveau pour le camp de Jénine.

“L’arme palestinienne que portent aujourd’hui ces jeunes hommes, a-t-il poursuivi, c’est l’arme de la volonté, et c’est l’arme avec laquelle le camp de Jénine affronte l’occupation depuis plus de 70 ans. Il y a vingt ans, la bataille d’avril, la bataille de la ténacité et du défi, a eu lieu ici. Nous reproduisons cet esprit aujourd’hui, et il y a une unité nationale à l’intérieur de ce camp.” 

“Cette génération du camp de Jénine a perdu son père, son frère, son ami. C’est une génération qui a conscience des crimes de l’occupation, et des violations commises par l’occupation”, continue-t-il.

Abu Muhammad explique que les cellules de résistance à l’intérieur du camp sont dispersées dans les ruelles et les venelles, et qu’elles défendront ce camp et surprendront l’occupation israélienne, si celle-ci lance une offensive sur le camp.

Il ajoute également que la résistance au camp de Jénine est différente des autres. “Au camp de Jénine la résistance est diligente ; de toutes les maisons, de tous les balcons, nous faisons feu sur l’occupation. Chacun ici résiste dans le camp de Jénine, la femme palestinienne résiste, l’enfant palestinien résiste, le sheikh résiste et l’imam de la mosquée résiste.”

Abou Muhammad a mis en garde les forces israéliennes contre “le fait de commettre un acte fou envers le grand dirigeant national, le major-général Fathi Hazem, père du martyr Raad, fils du mouvement Fatah” car un tel acte, dit-il, “mettrait le feu à la région, ce qui provoquerait un bain de sang, et aucune trêve ne sera conclue avec cette occupation”. “Major-général”, c’est un surnom que Hazem a reçu dans une prison israélienne en raison de sa forte personnalité, et du rôle de leader qu’il a joué dans les combats du camp de Jénine en 2002.

Abu Muhammad ajoute : “Fathi Abu Raad, un homme tenace et réfléchi, poursuivi par l’occupation qui utilise tous ses moyens et ses techniques, un homme qui a survécu en prison et qui a fait don de son fils il y a quelques jours en tant que martyr, que les avions de l’occupation pourchassent, et dont la femme a été visée par l’occupation, comme la sœur des deux martyrs et ses deux fils à lui. Cette occupation est sans pitié et ne manifeste aucune clémence à l’égard d’une femme, ni d’un jeune homme, ni d’un enfant, ni d’un vieil homme.”

Une resistance unifiée

La caractéristique la plus importante du camp de Jénine, selon Abu Rmeileh, est l’unité entre les habitants et les factions. « L’occupation vient au camp pour tuer, et ne fait pas de différence entre telle ou telle organisation ; de ce fait, nous comprenons parfaitement que nous devons nous rendre sur le champ de bataille » dit-il. 

Abu Rmaileh a souligné que les factions du camp agissent pour venir à bout de leurs différences partisanes et personnelles aussi vite que possible. Les dirigeants des factions comprennent bien qu’il leur faut être solidaires face à tout obstacle ou conflit interne, et donc qu’il n’y ait pas de querelles familiales au sein de la résistance dans le camp de Jénine, ce qui les encourage à rester concentrés sur leur objectif et être solidaires. 

Le 11 avril, les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa ont annoncé une mobilisation générale dans la région de Jénine et dit que leurs membres se joindraient aux combattants de la résistance du camp de Jénine contre les incursions et les menaces des forces israéliennes. Abu Muhammad dit à Mondoweiss que la résistance est en état d’alerte permanent et que la décision de se confronter à l’occupation ne sera pas remise en cause. 

Il a dit qu’à l’heure actuelle,  mettre le feu à la Cisjordanie conduira à de grandes pertes pour Israël. « Cette occupation doit comprendre que mettre fin à l’occupation de notre terre constitue la seule sécurité pour l’occupation et ses colons ». 

Vendredi dernier, les forces nationales et islamiques du camp de Jénine ont organisé une fête pour commémorer les martyrs du Gouvernorat de Jénine, en présence des familles des martyrs et des résidents du camp. Dans le cadre de cette fête, des dizaines d’hommes armés de toutes les factions palestiniennes sont apparus ensemble en public pour la première fois. 

Ils ont dit, dans une déclaration commune qu’ils tiennent pour pleinement responsable l’occupation israélienne des dommages causés par l’assassinat des combattants de la résistance du camp de Jénine. La déclaration a poursuivi : « Nous ne permettrons absolument pas la politique d’assassinats et nous traduirons cela sur le terrain de façon militaire ». Il n’y a pas de force sur le terrain capable de maîtriser les forces d’occupation israéliennes et ils ont affirmé que la résistance palestinienne tiendra toujours son engagement et sa promesse de servir de bouclier protecteur à la Palestine. 


Shatha Hanaysha est un journaliste palestinien de Jénine en Cisjordanie occupée.

Source : Mondoweiss

Traduction SM et SF pour l’Agence média Palestine.

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