Un rapport montre que les forces israéliennes ont abattu délibérément la journaliste palestino-américaine

Par Alice Speri, le  20 septembre, 2022

Une nouvelle analyse médico-légale prouve qu’un tireur d’élite israélien a pu voir que Shireen Abu Akleh était journaliste avant de tirer la balle qui l’a tuée.

Un nouveau rapport publié ce mardi a conclu que la journaliste palestino-américaine, Shireen Abu Akleh, qui a été tuée par les forces israéliennes en mai alors qu’elle faisait un reportage depuis la ville occupée de Jénine en Cisjordanie, a été délibérément et à plusieurs reprises ciblée, avec ses collègues, bien qu’elle eut été clairement identifiée comme membre de la presse.

Le rapport, une collaboration entre le groupe palestinien de défense des droits de l’homme Al-Haq et l’agence de recherche britannique Forensic Architecture, confirme les conclusions de la demi-douzaine d’enquêtes indépendantes qui l’ont précédé, y compris celle  des  Nations unies, qui ont conclu que les forces israéliennes étaient responsables du meurtre d’Abu Akleh, notant que la balle qui l’a tuée était « clairement dirigée ». Mais le nouveau rapport, qui comprend une reconstruction numérique détaillée de l’incident, basée sur des images inédites enregistrées sur les lieux  par le personnel d’Al Jazeera, en plus de témoignages, de vidéos « open source » et d’une vue générale par drone de la région, offre le  récit le plus définitif de ce qui s’est passé ce jour-là.

Le rapport contredit directement les conclusions finales d’une enquête menée par les autorités israéliennes publiée plus tôt ce mois-ci où il fut admis la « forte possibilité » qu’Abou Akleh ait été « accidentellement touché par des coups de feu [des Forces de défense israéliennes] ». Dans ce rapport, des responsables israéliens ont affirmé que les soldats de Tsahal tiraient sur « des suspects identifiés comme étant des tireurs palestiniens armés, lors d’un échange de tirs au cours duquel des coups de feu potentiellement mortels, généralisés et aveugles ont été tirés sur des soldats de Tsahal».

Mais la nouvelle reconstruction montre clairement qu’il n’y eut ni hommes armés ni coups de feu dans les minutes qui ont précédé le meurtre d’Abu Akleh. En outre, la reconstruction montre que les insignes « PRESS » d’Abu Akleh et de ses collègues étaient clairement visibles depuis la position du tireur de Tsahal , que le tireur avait une « ligne de tir dégagée » permettant« une visée précise »,  et que les tirs se sont poursuivis alors que les journalistes cherchaient un abri. Après qu’Abu Akleh ait été touché, un civil tentant de lui porter secours fut l’objet de tirs chaque fois qu’il tentait de l’approcher.

Cette simulation montre une reconstitution de la lunette de visée d’un tireur d’élite de Tsahal avec une vue dégagée sur les journalistes d’Al Jazeera portant des gilets de presse bleus et tournés vers l’avant, dans les instants avant que la journaliste Shireen Abu Akleh ne soit prise pour cible et abattue 
Photo: Al-Haq and Forensic Architecture

« C’est pour tout dire le dernier clou dans le cercueil de l’argument de l’armée », a déclaré à The Intercept le chercheur de Forensic Architecture chargé de l’enquête, qui, travaillant dans la région, a souhaité rester anonyme par crainte pour sa sécurité. 

« Nous pouvons prouver de manière certaine qu’il n’y avait personne – aucune – entre les forces d’occupation et Shireen », a-il ajouté. « Il n’y avait aucune trace sonore ou visuelle de balles, il n’est donc pas possible que l’armée ait riposté. Nous pouvons également montrer, à l’aide de l’analyse de visibilité que permet notre modèle, que les tirs ne se sont produits que lorsque les journalistes devenaient visibles pour l’armée, ce qui signifie qu’ils étaient forcément intentionnels. »

Tsahal n’a pas immédiatement répondu aux questions soulevées par ces nouvelles preuves qui contredisent ses affirmations. Al Jazeera n’a pas souhaité commenter, y compris à propos  des images qu’elle avait tardivement rendu publiques et qui montrent le dernier moment où Abu Akleh était encore en vie. La chaîne envisage une action en justice dans cette affaire.

Le nouveau rapport fut présenté lors d’une conférence de presse à La Haye, siège de la Cour pénale internationale. Mardi, la Fédération internationale des journalistes, le Syndicat des journalistes palestiniens et le Centre international de justice pour les Palestiniens ont déposé plainte auprès du tribunal au nom de la famille d’Abu Akleh et du journaliste Ali Al Samoudi, qui a également essuyé des tirs lors du même incident. En avril,  ces mêmes groupes avaient déjà soumis au tribunal une autre demande, celle d’ouvrir une enquête sur le ciblage, mutilation et assassinat systématiques de journalistes en Palestine. Le meurtre d’Abou Akleh est survenu quelques jours seulement après que la CPI ait accusé réception de cette plainte.

« L’incapacité d’Israël à mener une enquête efficace sur le meurtre de Shireen équivaut à protéger les auteurs et souligne la nécessité pour le procureur de la Cour pénale internationale d’accélérer l’enquête sur la situation en Palestine », a déclaré Susan Power, la responsable chez Al-Haq. des départements de recherche juridique et du plaidoyer politique, a déclaré dans un communiqué, faisant référence à une enquête que le tribunal a ouverte l’année dernière. Al-Haq est l’une des six organisations palestiniennes de la société civile et des droits de l’humain qu’Israël a ciblées au cours de l’année dernière, après les avoir désignées sans fondement  comme « organisations terroristes ». En août, les forces israéliennes ont fait effraction et vandalisé plusieurs bureaux, dont celui d’Al-Haq. Une enquête sur le raid fut publiée par Forensic Architecture plus tôt ce mois-ci.

Des membres de la famille d’Abu Akleh se sont également rendus mardi  à La Haye pour déposer plainte. « Les preuves sont accablantes. Cela fait plus de quatre mois que Shireen a été tuée. Notre famille ne devrait pas avoir à attendre un jour de plus pour que justice soit rendue », ont-ils écrit dans un communiqué. « Il est évident que les criminels de guerre israéliens ne peuvent pas enquêter sur leurs propres crimes. Les États-Unis ont évidemment  l’obligation d’enquêter et de prendre des mesures significatives pour une de leurs propres citoyennes. Mais lorsqu’un État individuel se montre incapable de protéger les siens, il revient à la communauté internationale de prendre le relais. »

On voit ici les membres de la famille et les amis de Shireen Abu Akleh alors que Betsy McCollum, élue Démocrate de l’état de Minnesota à la Chambre des représentants des États-Unis, réclame une enquête à Washington, D.C., le 28 juillet 2022.
 Photo: Nathan Posner/Anadolu Agency via Getty Images

Depuis le premier jour, la famille d’Abu Akleh, ainsi qu’un certain nombre de législateurs américains, ont appelé le gouvernement américain à mener sa propre enquête indépendante sur le meurtre. Certains membres du Congrès cherchent à forcer le gouvernement américain à enquêter sur l’incident en introduisant une législation obligeant le département d’État et le FBI à le faire. Mais jusqu’à présent, les responsables américains se sont contentés de seulement examiner les conclusions des enquêteurs israéliens et palestiniens sans parvenir à une « conclusion définitive ».

Alors que le secrétaire d’État, Antony Blinken, a également appelé à une  « enquête indépendante et crédible » à la suite du meurtre d’Abu Akleh, rien n’indique que le Département ait fait quoi que ce soit pour en obtenir une. Dans une déclaration cinglante la semaine dernière, Patrick Leahy, sénateur Démocrate de l’état de Vermont, a critiqué l’administration pour son incapacité à faire plus alors qu’il s’agit du meurtre d’une citoyenne américaine.

« Personne ne peut penser de manière crédible que, pour déterminer et rendre public ce qui s’est réellement passé dans cette affaire, l’on puisse faire confiance — que cela soit à [l’Autorité palestinienne], qui n’a ni accès au soldat de Tsahal qui aurait tiré la balle qui a tué Madame Abu Akleh ni à d’autres membres de Tsahal susceptibles de donner des informations, ou a fortiori à Israël, notoire pour des  enquêtes sur les fusillades par ses soldats qui n’aboutissent que rarement à une attribution juste des responsabilités, » a déclaré Leahy dans un communiqué. « Il y a un pressentiment croissant que, comme dans tant d’autres cas, comme pour le meurtre de Jamal Khashoggi par exemple, l’enquête indépendante, crédible et pointant les responsabilités que la famille de Me Abu Akleh, le secrétaire d’État, moi-même et d’autres avons réclamée n’aura jamais lieu. »

Source : The Intercept

Traduction BM pour l’Agence média Palestine

Retour haut de page