“Une ingénierie raciale” à l’origine des nouvelles restrictions d’entrée en Cisjordanie

Par Maureen Clare Murphy, le 26 Septembre 2022 

Des Palestiniens traversent le Pont d’Allenby en Août 2021. Sulaiman Mahmoud APA images

Mise en place le mois prochain, les nouvelles restrictions du ministère de la défense israélien concernant l’entrée des étrangers en Cisjordanie occupée vont se répercuter sur les droits fondamentaux des Palestiniens, en particulier sur leur vie de famille.

La procédure administrative de 97 pages servira à “l’ingénierie raciale” d’Israël sur la population de  Cisjordanie “dans le cadre de son régime d’apartheid, qui constitue un crime contre l’humanité,” explique une coalition d’organisations palestiniennes de défense des droits humains.

Ces organisations expliquent que ces restrictions “empiètent sur la liberté de mouvement des Palestiniens, qui reçoivent de l’aide humanitaire et au développement ainsi que des praticiens médicaux et d’autres. ”

“Ces mesures affectent les droits souverains du peuple palestinien, dont celui de recevoir des experts, des artistes, des athlètes, des étudiants, des touristes et des bénévoles.”

Ces organisations exhortent les pays de l’Union Européenne à faire pression sur Israël afin de “mettre fin à ses restrictions chaque jour plus importantes.” Elles demandent aussi à ce qu’une mission permanente d’établissement des faits soit mise en place par le Conseil des Droits Humains de l’ONU afin “d’enquêter sur cette mesure en tant que grave violation s’inscrivant dans la catégorie des discriminations raciales.”

Ces nouvelles restrictions, publiées plus tôt ce mois-ci, entreront en vigueur le 20 Octobre. Elles ne s’appliqueront pas aux étrangers visitant Jérusalem Est occupée, qu’Israël a illégalement annexée et qui est gouvernée par le droit civil de ce pays. 

Les étrangers désireux de se rendre en Cisjordanie, mise à part Jérusalem Est, devront le faire via le passage d’Allenby, à la frontière avec la Jordanie, plutôt que par l’aéroport international israélien près de Tel Aviv.  

Celles et ceux qui voudraient travailler ou étudier en Cisjordanie “devront faire une demande de visa, 45, 60, voire jusqu’à 153 jours avant leur arrivée et répondre à un questionnaire approfondi ajouté à leur CV, ainsi que toute accointance maritale en Cisjordanie,” explique la coalition d’organisations de droits humains. 

Une précédente version de ces restrictions exigeait des étrangers qu’ils/elles informent l’armée israélienne s’ils/elles entamaient une relation, se mariaient ou s’installaient avec un/une Palestinien.ne. 

“Cette condition scandaleuse a été retirée après pression internationale,” selon les organisations palestiniennes des droits. 

“Cependant, la nouvelle version de la procédure exige toujours que toute demande de renouvellement de visa de travail ou autre soit accompagnée d’informations concernant le fait d’être en couple avec un.e Palestinien.ne inscrit.e dans le registre de la population de Cisjordanie si tel est le cas.”

“Draconienne”

Cette “nouvelle procédure pour l’entrée et le séjour des étrangers en Cisjordanie est draconienne” et  “met en danger la liberté académique des universités palestiniennes et met à mal l’économie locale et la société,” selon HaMoked, une organisation israélienne des droits humains qui avait intenté une action en justice contre une précédente version des restrictions. 

“Les courts séjours en Cisjordanie sont réservés aux proches parents des Palestiniens, aux entrepreneurs, investisseurs et journalistes reconnus,” explique HaMoked.

“La procédure ne permet pas à la famille élargie ou aux ami.e.s d’entrer en Cisjordanie, ni aux touristes, pèlerins ou artistes.”

Toute personne désirant entrer en Cisjordanie pour travailler, enseigner, étudier ou être bénévole, ainsi que les époux.ses étranger.es de Palestinien.nes devront payer “des garanties de sécurité prohibitives” allant jusqu’à 20 000 $, ajoute HaMoked.

Ces directives s’appliquent aux employé.es et aux volontaires des agences de l’ONU et des organisations internationales. Ces restrictions entravent par conséquent “la venue d’assistance humanitaire et au développement dont la population a besoin pour gérer les terribles conditions de vie infligées par les mesures discriminatoires d’Israël,” déclarent les organisations de droits palestiniennes. 

Ces nouvelles restrictions vont durement impacter la vie de famille de milliers de Palestinien.nes. 

Elles stipulent qu’Israël a l’autorité d’approuver ou non les demandes de conjoint.es étranger.es de résider en Cisjordanie et déclarent que ces demandes seront “sujettes aux considérations politiques du gouvernement israélien,” explique HaMoked.

Israël a gelé le processus d’unification familiale il y a plus de 20 ans, obligeant des milliers de personnes, particulièrement les conjoint.es étanger.es, à vivre en Cisjordanie sans statut légal.   

Avec ces nouvelles réglementations, les étranger.es marié.es à des Palestinien.nes seront inéligibles aux visas de travail ou étudiant.  

“En outre, tous les visas en cours de procédure seront évalués à travers le prisme ‘du risque de s’enraciner’ en Cisjordanie,” ajoute HaMoked.

Grâce à ces nouvelles restrictions, le ministère de la défense à Tel Aviv possède même l’autorité d’établir des qualifications académiques pour le corps professoral dans les institutions de Cisjordanie.

Les visas étudiants et enseignants ne peuvent être renouvelés au-delà de 27 mois et il est impossible d’assurer la titularisation d’un.e enseignant.e étanger.e. 

Ces nouvelles restrictions ne s’appliquent pas aux étrangers se rendant dans les colonies israéliennes en Cisjordanie. Quiconque désirant étudier ou enseigner à l’Université d’Ariel dans la colonie du même nom “continuera d’être assujetti à la une réglementation bien plus clémente établie par le ministère de l’intérieur israélien,” selon HaMoked.

Le ministère de la défense “déterminera aussi les critères économiques pour l’entrée des entrepreneurs et des investisseurs, et décidera quels projets et professions sont ‘importants dans la région,’” expliquent les groupes de défense des droits. 

Il sera possible à des étranger.es d’être bénévoles dans des institutions palestiniennes pour une durée de 12 mois mais ils/elles devront ensuite attendre une année pour pouvoir revenir en Cisjordanie. 

“Discriminatoire”

Dans le cadre de ces nouvelles restrictions, les citoyen.nes de Jordanie, d’Égypte, du Maroc, du Bahreïn et du Sud Soudan ne sont pas autorisé.es à entrer en Cisjordanie, malgré les liens diplomatiques de ces pays avec Israël. 

“Cette exclusion discriminatoire s’applique également aux binationaux ; par exemple, le détenteur d’un passeport états-unien et d’un passeport jordanien sera considéré comme jordanien dans le cadre de cette procédure,” déclare HaMoked.

Les citoyen.nes de ces états doivent passer par un “processus distinct, limité à des cas exceptionnels et humanitaires.”

Ces mesures créent des mécontentements à Washington, en ce qui concerne le traitement discriminatoire réservé par Israël aux Américains palestiniens voulant entrer en Israël et en Cisjordanie.

L’administration Biden s’efforce d’assurer le respect d’Israël au Programme d’exemption de visa des États-Unis. L’ambassadeur Tom Nides a déclaré en Juin “travailler sans relâche depuis que je suis arrivé afin d’aider Israël à  satisfaire toutes les exigences” du programme commun.

Le programme exige un traitement réciproque pour les citoye.nes états-unien.nes à tous les passages de frontière.  

Les organisations palestiniennes de défense des droits humains soulignent que ces nouvelles restrictions d’entrée en Cisjordanie coïncident avec “l’intensification sans précédent des violences à travers [les Territoires Palestiniens occupés], y compris des déplacements forcés et des transferts de population de chaque côté de la Ligne Verte.”

Les organisations de défense des droits humains expliquent que les mesures répressives d’Israël ont pour objectif de saper “le potentiel, la résilience et la survie de la société palestinienne ainsi que des organisations de la société civiles palestiniennes.” 

Trois de ces organisations – Al-Haq, Addameer et Defense for Children International-Palestine – ont été déclarées organisations terroristes l’année dernière par le ministère de la défense israélien. L’armée a fermé leurs bureaux en Cisjordanie en Août dernier.

Trad. L.G pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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