Par Abdel Qadder Sabbah, Mohammad Al Sawalhi, Tareq El Helou, Kareem Khadder, Sana Noor Haq, Paula Hancocks, Jo Shelley et Byron Blunt, le 26 juin 2024
Younis est allongé, désorienté, sur un matelas vert de l’hôpital Nasser, dans le sud de Gaza. Ses longs cils bruns reposent délicatement sur son visage pâle et creusé, tandis qu’il oscille entre l’éveil et l’évanouissement.
Le garçon palestinien de 9 ans est allongé dans les bras de sa mère, visiblement amaigri par une malnutrition sévère et souffrant de déshydratation. Son bas de jogging bleu pend sur ses jambes décharnées, sa petite cage thoracique saillit sous son T-shirt orange bouffant.
« J’en appelle aux gens qui ont une conscience pour m’aider à trouver des soins de santé pour mon fils, afin qu’il puisse retrouver une vie normale », a déclaré sa mère, Ghanima Juma’a, à CNN la semaine dernière à l’hôpital de Khan Younis. « Je suis en train de perdre mon fils sous mes yeux. »
Il y a deux mois, la famille a été contrainte de fuir la ville de Rafah, dans le sud du pays, alors qu’Israël y intensifiait ses attaques. Aujourd’hui, ils luttent pour survivre, vivant le long de la côte polluée d’Asda’a – près du camp de tentes d’Al-Mawasi – où ils ne trouvent pas assez de nourriture, d’eau, ni même d’ombre pour se protéger de la chaleur de Gaza.
« Nous devons sans cesse nous déplacer d’une zone à l’autre à cause de la guerre et de l’invasion… La vie est difficile », a déclaré sa mère. « Nous n’avons même pas de tente au-dessus de nos têtes. »
La guerre d’Israël à Gaza a épuisé le système de santé du territoire, laissant le personnel dans l’incapacité de soigner les enfants souffrant de malnutrition. Des médecins ont raconté à CNN qu’ils étaient obligés de refuser des parents qui mendiaient du lait pour bébé, incapables même de traiter les jeunes patients atteints de maladies chroniques aggravées par la faim sévère.
Alors qu’Israël poursuit son siège sur Gaza, empêchant les organisations humanitaires d’acheminer suffisamment de nourriture dans l’enclave, les parents disent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de regarder leurs enfants mourir de faim. Plus de huit mois de bombardements ont détruit les infrastructures, anéanti les communautés et dévasté des quartiers entiers. Selon les Nations unies, les systèmes d’assainissement, déjà mis à rude épreuve par les pénuries d’eau dues à la chaleur extrême, ont été lourdement détruits, ce qui réduit l’accès à l’eau potable.
Un rapport publié mardi par l’organisme Integrated Food Security Phase Classification (IPC), qui évalue l’insécurité alimentaire et la malnutrition dans le monde, avertit que la quasi-totalité de la bande de Gaza sera confrontée à la famine au cours des trois prochains mois.
L’agence alimentaire des Nations unies avait déjà alerté que le sud de la bande de Gaza pourrait bientôt connaître les mêmes « niveaux catastrophiques de famine » que ceux enregistrés dans le nord, où Israël a concentré son offensive militaire dans les premiers jours de la guerre.
Au moins 34 enfants sont déjà morts de malnutrition à Gaza, a rapporté le bureau des médias du gouvernement le 22 juin. Le chiffre réel pourrait être plus élevé, car l’accès limité à Gaza a entravé les efforts pour évaluer pleinement la crise. Plus de 50 000 enfants ont besoin d’un traitement contre la malnutrition aiguë, a déclaré l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) au début du mois.
Israël a lancé son offensive militaire à Gaza après les attaques du 7 octobre menées par le Hamas contre le sud d’Israël, qui ont fait au moins 1 200 morts et plus de 250 personnes ont été enlevées.
Depuis, les attaques israéliennes à Gaza ont tué 37 658 Palestiniens et blessé 86 237 autres personnes, selon les autorités sanitaires de Gaza.
Graves pénuries d’eau
Alors que Younis souffre dans les bras de sa mère dans le sud de Gaza, les enfants du nord sont confrontés à des pénuries alimentaires depuis encore plus longtemps. Dans le camp de réfugiés de Jabalya, ils font la queue devant un camion d’eau, des perles de sueur perlant sur leur visage, alors qu’ils se faufilent dans les rues remplies de décombres.
Des dizaines d’autres habitants de Gaza se pressent pour obtenir de l’eau, tandis que des travailleurs humanitaires distribuent à proximité une soupe rouge épaisse et fumante dans de grandes casseroles.
L’accès à la nourriture et à l’eau potable est rare. Les habitants du nord ont déclaré à CNN qu’ils se contentaient dernièrement de boire de l’eau polluée, ce qui n’aide guère à lutter contre la déshydratation et propage les maladies infectieuses.
Israël insiste sur le fait qu’il n’y a « aucune limite » à la quantité d’aide qui peut entrer à Gaza, mais son régime d’inspection des camions, les restrictions imposées aux routes terrestres et l’intensification des bombardements compromettent sérieusement l’arrivée de l’aide. Même lorsque l’aide entre dans le territoire assiégé, le risque que des Palestiniens affamés se ruent sur les convois entrave les efforts de distribution. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a récemment mis en garde contre l’absence d’autorités policières à Gaza pendant le conflit, qui conduit à une « anarchie totale ».
Au début de l’année, les Nations Unies ont averti qu’Israël était en train de créer une « catastrophe entièrement provoquée par l’homme » à Gaza. Le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu a nié les allégations du procureur général de la Cour Pénale Internationale selon lesquelles il aurait utilisé « la famine des civils comme méthode de guerre ».
« La seule eau dont nous disposons est celle que nous recevons en tant qu’aide. Les gens souffrent, c’est indescriptible », a déclaré un civil, Hassan Kalash. « Nous sommes malades et n’avons pas la force de transporter l’eau… La conduite d’eau est cassée. Nous n’avons pas d’infrastructure pour l’eau. »
Les civils sur place ont expliqué à CNN qu’ils n’avaient pas accès à l’eau courante et qu’ils dépendaient des maigres aides qui entraient dans la zone. L’UNRWA a déclaré la semaine dernière qu’au moins 67 % des installations d’approvisionnement en eau et d’assainissement de la bande de Gaza ont été détruites ou endommagées au cours des huit mois de bombardements. Selon le programme des Nations unies pour l’environnement, les cinq stations d’épuration de Gaza ont cessé de fonctionner.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a accusé les autorités israéliennes d’entraver l’accès de l’aide humanitaire au nord de la bande de Gaza. Au cours des trois premières semaines de juin, 36 camions transportant de l’aide – dont l’acheminement a été facilité par Israël – ont été autorisés à atteindre Gaza, tandis que 35 autres se sont vu refuser l’accès, ont été entravés ou annulés pour des raisons logistiques, opérationnelles ou de sécurité.
L’impact sur le terrain est viscéral. À l’hôpital Al-Aqsa Martyrs, dans le centre de Gaza, Razan, 5 ans, porte une bague en or à son doigt, qui est couvert de plaies rouges. La fillette palestinienne est affalée sur un chariot dans l’établissement du centre de Gaza, ses yeux gris fatigués par l’épuisement.
« Elle a changé après la guerre. Elle est devenue faible », a déclaré sa tante, Um Razan Mheitem, à CNN, ajoutant que sa nièce avait développé une inflammation de la peau due à la malnutrition. « Nous ne pouvons rien trouver pour elle. Tout ce qui se trouve sur le marché est cher, ou n’est pas disponible. »
Attendre qu’ils meurent, un par un
Les nouveau-nés et les femmes enceintes sont parmi les plus exposés aux risques de malnutrition et de déshydratation à Gaza, selon les organisations humanitaires et les professionnels de la santé. Les mères sous-alimentées sont plus susceptibles d’accoucher prématurément, et les nouveau-nés meurent parce qu’ils pèsent trop peu.
À l’hôpital Kamal Adwan, dans le nord de la bande de Gaza, les médecins n’ont pas réussi à maintenir le bébé Amal en vie quatre jours seulement après sa naissance.
CNN a filmé les instants qui ont précédé sa mort, montrant Amal respirant bruyamment dans une couveuse, alors que sa mère, Samaher, avait accouché deux mois avant terme. Ses petits orteils roses sont recouverts de tubes en plastique.
« Ces bébés sont en train de mourir. C’est la décision de Dieu, mais c’est causé par les gens », a déclaré son père, Ahmed Maqat, à CNN, après sa mort samedi. Samaher a enduré des mois de grossesse sans dormir, manger ou boire, a expliqué M. Maqat.
« Tous ceux qui se trouvent dans ces lits aujourd’hui risquent de mourir. Nous attendons qu’ils meurent l’un après l’autre », a-t-il ajouté, la voix tremblante de douleur. « Nous n’avons pas de vie. »
Le docteur Ahmed Kahlot, chef du service des couveuses à Kamal Adwan, a déclaré à CNN que le mauvais état de santé de Samaher signifiait que sa fille ne faisait qu' »attendre la mort ». Beaucoup de celles qui survivent sont trop déshydratées et mal nourries pour allaiter leurs enfants. Mais les agents de santé ont déclaré à CNN qu’il y avait peu d’alternatives, avec des pénuries de lait sans lactose ou de lait de soja pour les nourrissons.
Une autre Palestinienne de l’hôpital Kamal Adwan a déclaré à CNN que son fils, qui souffre d’une inflammation de l’œsophage, n’a pas accès au lait de soja dont il a besoin dans son état. « Il s’assoit à peine », a-t-elle déclaré à propos de son enfant de 2 ans. « Il ne peut même pas ramper, il ne peut pas marcher. »
Environ 250 patients sont traités pour malnutrition à l’hôpital, et il n’y a que deux centres de stabilisation fonctionnels pour les enfants souffrant de malnutrition sévère à Gaza, a rapporté OCHA au début du mois, ce qui met en danger le près de 3 000 enfants qui recevaient un traitement pour malnutrition aiguë dans le sud avant l’escalade militaire à Rafah.
Les médecins disent qu’ils sont souvent incapables de traiter les bébés qui présentent des symptômes de malnutrition, notamment des problèmes respiratoires, des infections thoraciques et une déshydratation sévère, en raison de la diminution des fournitures médicales. Les patients mal nourris souffrant de maladies chroniques ou infectieuses ont moins de chances de se rétablir, a déclaré un pédiatre local à CNN, alors que la propagation des maladies s’intensifie dans les abris pour personnes déplacées. Les autorités de Gaza ont enregistré plus de 1,4 million de cas de maladies infectieuses depuis le 7 octobre, selon le ministère de la santé.
Alors que la faim s’aggrave et que certaines parties de l’enclave s’acheminent vers une famine généralisée, les organisations humanitaires ont demandé à plusieurs reprises l’ouverture de points de passage terrestres vers Gaza, qu’elles considèrent comme le moyen le plus efficace d’acheminer l’aide dans la bande. Un ponton flottant construit par les États-Unis pour acheminer l’aide par voie maritime a été confronté à de nombreux problèmes, qu’il s’agisse des conditions de mer défavorables ou de problèmes de distribution une fois l’aide transférée sur la terre ferme, ce qui n’a pas permis de faire une différence significative dans la crise.
De retour à Khan Younis la semaine dernière, Ismail Madi a déclaré à CNN qu’il était inquiet pour son fils de 4 ans, Ahmad, qui souffrait d’une jaunisse due à la malnutrition.
« Mon fils ne pourra pas survivre à cette situation », a-t-il déclaré. « J’appelle le président américain Joe Biden à intervenir pour sauver cet enfant qui n’a rien à voir avec un quelconque conflit politique », a ajouté M. Madi.
Quelques jours plus tard, l’enfant est décédé. Avec d’autres jeunes enfants à charge, la vie de Madi en tant que parent est pleine de stress.
« Il est très difficile de nourrir une famille de dix personnes en ces temps difficiles. »
Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : CNN
https://edition.cnn.com/2024/06/25/middleeast/israel-gaza-children-starvation-malnutrition-intl/index.html