Lettre de Palestine : ‘Quand le génocide rend le journalisme de base impossible’

Le génocide israélien à Gaza a fait du journalisme un métier mortel. Mais même les aspects les plus banals du journalisme, comme la recherche de personnes à interviewer, sont devenus une tâche monumentale face aux déplacements et aux destructions de masse.

Par Tareq S. Hajjaj, le 18 décembre 2024

Des Palestiniens déplacés du nord de Gaza montent des tentes au stade de Yarmouk, dans la ville de Gaza, le 5 novembre 2024. (Photo : Hadi Daoud /APA Images)

Auparavant, il était très facile de trouver quelqu’un à interviewer à Gaza ; tout ce dont j’avais besoin, c’était le nom de la personne, puis je savais où je pouvais aller pour poser des questions sur elle et sa famille, jusqu’à ce que je finisse par trouver la personne que je devais contacter.

En tant que journalistes de Gaza, nous savons où se trouvent la plupart des familles. Par exemple, si j’ai le nom d’une personne à interviewer et que son nom de famille est Najar, je me rendrai à Khan Younis, où se trouve cette famille, et je poserai des questions sur la personne que je veux interviewer. Ses proches me conduiront jusqu’à lui, même s’il a déménagé dans une autre région, ils le sauront parce que nous avons des adresses et que la communication est facile.

Aujourd’hui, tout cela a changé et une tâche journalistique aussi simple est devenue presque impossible à cause du génocide.

Aujourd’hui, les familles sont dispersées, les adresses sont inexistantes car la plupart des bâtiments ont été détruits, et les gens vivent maintenant au milieu des décombres ou dans une mer de tentes.

Tous les habitants de la bande de Gaza ont été déplacés au moins plusieurs fois au cours de l’année écoulée. Les adresses et la connaissance de l’emplacement des familles dans la bande de Gaza ne sont plus utiles, car plus personne ne se trouve dans sa propre maison, ni même dans son quartier ou sa ville.

J’ai commencé à prendre conscience de ce problème lorsque j’étais à Gaza pendant le génocide et que j’ai entendu l’histoire d’un homme âgé, Bashir Hiji. L’histoire de Hiji est devenue virale lorsqu’une photo de lui a fait surface sur les médias sociaux en novembre 2023, montrant des soldats israéliens essayant de l’« aider ». La photo de l’armée israélienne aidant les Palestiniens a été largement partagée et utilisée par Israël comme propagande. Mais une fois ce moment capturé, lorsque les militaires ont terminé les photos, ils ont tué Hajji et l’ont laissé sur le sol.

Nous connaissions le nom de l’homme plus âgé figurant sur la photo publiée par l’armée israélienne. Il vient d’une famille du quartier d’al-Zaytoun, dans la ville de Gaza, et j’étais à Khan Younis au moment où l’affaire a éclaté. Après avoir passé de nombreux appels, j’ai appris que sa famille avait peut-être été évacuée de Zaytoun vers Khan Younis. Je me suis donc rendu dans plusieurs centres de déplacés à Khan Younis pour demander s’il y avait des membres de la famille Hiji. J’espérais que quelqu’un me mettrait en contact avec la famille du vieil homme afin que je puisse l’interviewer pour raconter au monde la véritable histoire de ce que l’armée israélienne a fait à leur père.

J’ai traversé la mer de tentes et les différents centres de déplacés, tente par tente, en demandant des nouvelles de cette famille. Ce faisant, j’ai entendu d’innombrables autres histoires qui méritaient certainement d’être racontées. Mais en fin de compte, je n’ai pu trouver aucun membre de la famille Hiji, et je me suis rendu compte que l’une des choses les plus simples pour être journaliste – contacter des personnes pour les interviewer – était devenue impossible.

Je raconte cette histoire parce que j’ai été confronté au même problème récemment. J’essayais de joindre deux familles pour leur demander des nouvelles de leurs proches tués et retrouvés dans un camion rempli de corps en décomposition renvoyé à Gaza par l’occupation israélienne.

En temps normal, je me serais rendu à Rafah ou à Khan Younis, où se trouvent ces deux familles. Mais ce n’est plus le cas. Les habitants de Radah sont dispersés, et ceux de Khan Younis se trouvent peut-être à Rafah. Sont-ils encore en vie ? Je n’en sais rien. Personne ne le sait.

Il nous a fallu des mois, à moi et à l’équipe de journalistes avec laquelle je travaille, pour essayer de retrouver les familles de ces deux martyrs, et jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à les joindre.

Non seulement les histoires que nous racontons sont tragiques, mais même le processus que nous devons suivre pour les raconter est un rappel douloureux de ce que ce génocide a fait de nous. Le génocide a fait de la majorité des Palestiniens de la bande de Gaza des sans-abri, des déplacés et des dispersés.

Tareq S. Hajjaj est correspondant de Mondoweiss à Gaza et membre de l’Union des écrivains palestiniens. Suivez-le sur Twitter à @Tareqshajjaj.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss

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