Larousse : retour vers le futur ?

Par André Rosevègue, 5 décembre 2014

Cher Larousse,

Je tiens à te féliciter pour ta capacité à dire le vrai des mots en peu de mots.

Depuis 1948, l’Etat d’Israël pratique une politique du fait accompli avec constance et détermination, mangeant le territoire de la Palestine historique mètre carré par mètre carré, puits par puits.

Face à lui, le peuple palestinien résiste avec ses forces devant cet Etat qui ne respecte ni le droit international, ni les résolutions de l’ONU, ni les accords qu’il signe. S’il ne résistait pas depuis 1948 et même avant, on en parlerait aujourd’hui comme des Indiens d’Amérique.

Alors, certes, devant ce déni de justice, devant l’exaspération de la société civile mondiale contre l’impunité accordée à cet Etat, devant le développement de la campagne de Boycott, Désinvestissement Sanctions par laquelle les peuples répondent à l’appel de la société civile palestinienne, le peuple palestinien a remporté ces derniers temps quelques succès diplomatiques notables : condamnation du mur d’apartheid par la Cour pénale Internationale, admission à l’UNESCO, admission comme Etat observateur à l’ONU, reconnaissance par les deux tiers des Etats membres .

Mais, cher Larousse, tu ne t’en laisses pas conter. Quand il faut définir la Palestine en trois lignes dans un dictionnaire de poche, tu sais aller à l’essentiel :

« Palestine, région de l’Asie occidentale, la Terre promise des Hébreux, divisée en 1947 en un Etat juif (Israël) et une zone arabe. »

Bien sûr, tu es conscient du raccourci que tu fais. La Palestine n’a pas été divisée en 1947, c’est la date à laquelle l’ONU croit devoir proposer un plan de partage entre un Etat juif et un Etat arabe.

L’Etat d’Israël que les sionistes proclament unilatéralement en mai 1948 promet d’accorder à tous les habitants, et pas seulement aux Juifs, les mêmes droits. Et c’est un Etat palestinien dont la perspective est avancée par les Accords d’Oslo, pas une zone.

Mais foin d’idéalisme. L’Histoire est écrite par les vainqueurs, et pour ne pas être dépassé tu prends les devants : oui, aujourd’hui un Etat juif domine toute la Palestine historique, annexant entièrement Jérusalem, assurant un sévère blocus à Gaza et poursuivant une occupation arbitraire de la Cisjordanie, tout en discriminant sur le territoire qu’elle administre directement les Palestiniens qui y vivent , non sans rêver de les transférer ailleurs. Plutôt qu’une zone arabe, si tu avais voulu être plus précis, tu aurais dû écrire quelques bantoustans palestiniens.

Mais oui, en faisant retour sur 1947 et en écrivant ce que tu écris, tu fais retour vers le futur proche tel qu’Israël entend l’écrire, et en niant l’existence du peuple palestinien tu apportes ta pierre à cette entreprise coloniale.

Je te prie d’agréer, cher Larousse, l’expression de mon plus profond mépris.

Je te prie de croire que tu renforces ma détermination, et la détermination de tous ceux à qui j’ai fait lire cette lumineuse définition, de te faire mentir le plus vite possible, en contribuant (modestement) au combat du peuple palestinien pour conquérir la plénitude de ses droits nationaux.

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