Les expulsions de Jérusalem ciblent des militants et des leaders de quartier

Budour Youssef Hassan The Electronic Intifada 26 décembre 2015

 

mu_je00_4

La Porte de Damas à Jérusalem, où des mesures punitives draconiennes d’Israël visent à casser toute résistance organisée dans la ville occupée. Mahfouz Abou Turk APA images

Chaque fois que des Palestiniens se dressent pour leurs droits à Jérusalem, on peut sans crainte de se tromper faire le pari de la présence de Samer Abou Eisheh. On peut difficilement imaginer une manifestation aux abords de la Porte de Damas – une entrée dans la Vieille Ville – sans sa voix de stentor.

C’est néanmoins le militantisme sans relâche de ce jeune de 28 ans qui a pu l’arracher à sa maison. Après presque trois mois d’assignation à résidence, le producteur de télévision et leader de quartier s’est vu délivrer une ordonnance d’expulsion de Jérusalem pour cinq mois, cette semaine. Ordonnance qui émane d’un commandant israélien de district.

Abou Eisheh et un autre Palestinien sont actuellement dans les bureaux de la Croix Rouge de Jérusalem en protestation et défiance vis-à-vis de cette ordonnance.

L’ordonnance intervient à la suite de l’accentuation récente de la politique israélienne visant à annuler le droit de résidence des Palestiniens à Jérusalem. En septembre, Silvan Shalom, le ministre israélien de l’intérieur a souhaité résilier les droits de résidence de ceux qui seraient jugés pour avoir « enfreint l’allégeance à l’État d’Israël ».

Depuis, cinq ordonnances d’expulsion ont été prises.

Israël occupe Jérusalem Est depuis 1967 et l’a formellement annexé en 1980. Le résultat est que les Palestiniens qui y vivent ont été classés « résidants permanents », un statut sujet à révocation.

En même temps, Israël empêche les Palestiniens détenteurs de cartes d’identité de Cisjordanie, d’accéder à la ville.

En doit international, l’annexion de Jérusalem Est par Israël est nulle et non avenue.

De 1967 à 2013, plus de 14 300 Palestiniens ont vu leur statut de résidence révoqué pour des raisons principalement administratives selon les autorités israéliennes. Seul un petit nombre de Palestiniens a été menacé de révocation pour de supposés « actes terroristes ».

La dernière arrestation de Abou Eisheh date du 18 août. Il a été détenu et a subi un interrogatoire pendant plus d’un mois au célèbre Domaine Russe de Jérusalem, accusé de s’être rendu dans un État ennemi. Il était récemment rentré du Liban.

Le 1er octobre, Abou Eisheh a été libéré mais assigné à résidence. L’ordonnance d’expulsion lui a été délivrée le dernier jour de son assignation à résidence.

 

Une parodie de tribunal

Abou Eisheh est né et a été élevé dans la Vieille Ville et il insiste sur le fait qu’il ne la quittera jamais de sa propre volonté. On l’a vu défier les autorités israéliennes en se montrant avec des amis aux abords de la Porte de Damas, dès le lendemain de la réception de l’ordonnance d’expulsion.

Il peut présenter une requête à un tribunal israélien de district contre l’ordonnance, mais il s’attend à un rejet. L’ordonnance, rédigée en hébreu et en arabe, établit qu’Abou Eisheh représente une menace à la sûreté et à la sécurité publiques.

« Ce genre d’ordonnance n’est jamais annulée parce que, pour le système judiciaire israélien, la sécurité prend le pas sur tout le reste » a dit Mahmoud Hassan, un avocat de Abou Eisheh, à l’Electronic Intifada.

«  Ce sont des parodies de tribunaux où la justice est systématiquement refusée aux Palestiniens » a ajouté Hassan qui travaille avec Addameer, le groupe palestinien de défense des prisonniers politiques.

Après l’inévitable rejet par le tribunal de district, je ferai appel auprès de la Cour Suprême » a dit Abou Eisheh. La haute cour d’Israël est également connue sous le nom de Cour Suprême.

« Ensuite, j’utiliserai tous les canaux internationaux possibles pour pouvoir rester avec ma femme à Jérusalem » a-t-il dit.

Mais il ne s’agit pas que de lui. « Je veux utiliser mon cas pour mettre en lumière le problème de la déportation auquel sont confrontés les Jérusalémites. Il nous faut envoyer à l’occupation le message que nous ne succomberons pas docilement à leurs tentatives de nous expulser de notre propre ville ».

Abou Eisheh pense que la politique d’expulsion fait partie d’un plus vaste projet pour débarrasser Jérusalem de sa population indigène.

« Jusqu’à présent, cinq ordonnances de déportation ont été prises depuis octobre mais nous en attendons davantage » a-t-il dit. « De telles déportations représentent une violation évidente du droit international et en ce sens, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les tribunaux israéliens y mettent fin. Nous devrions présenter cette affaire dans l’arène internationale, notamment auprès de la Cour Pénale Internationale. Il faut à la fois une pression populaire et une pression politique ».

 

Les risques

Abou Eisheh a le soutien total de sa femme Rawan et de sa famille dans sa décision de combattre l’occupation israélienne. Le couple, qui s’est marié en 2012 est, en dépit d’un danger permanent d’arrestation, déterminé à vivre à Jérusalem.

Abou Eisheh est réconforté par le fait que sa femme et lui n’ont pas encore d’enfant. Au moins, dit-il, aucun enfant n’aura à supporter les conséquences d’une déportation, ce qui autorise Abou Eisheh à prendre plus de risques.

Pour Hijazi Abou Sbeih, un père de trois enfants et seul soutien financier de sa famille, prendre de tels risques n’était pas une option envisageable. Étant lui aussi un habitant de la Vieille Ville, Abou Sbeih s’est vu signifier une ordonnance d’expulsion de six mois, le 8 décembre, après avoir été arrêté et fouillé rue Salah al-Din, à proximité de la Vieille Ville.

Depuis, il vit dans le village proche de al-Eizariya, en se déplaçant d’une maison d’amis à une autre.

« J’ai laissé ma femme et trois enfants, parce qu’ils ne peuvent pas quitter leur école de Jérusalem et se joindre à moi », a dit Abou Sbeih, qui a 33 ans, à l’Electronic Intifada.

La femme d’Abou Sbeih, Tahani, est de Cisjordanie et vit à Jérusalem avec un permis de résidence temporaire renouvelable chaque année. Sa demande a été rejetée par le ministère israélien de l’intérieur après l’expulsion de son mari, aggravant ainsi le sentiment d’incertitude de la famille.

La famille vit de l’argent que gagne Abou Eisheh en vendant des vêtements et des friandises avec son frère dans la Vieille Ville. Son expulsion signifie qu’ils doivent dépendre de l’aide de ses parents.

« C’est évidemment insupportable. Je n’ai vraiment pas idée de comment nous pourrons nous en sortir pendant les six prochains mois » dit Abou Sbeih.

Abou Sbeih croit aussi que les expulsions sont une tactique d’Israël pour vider Jérusalem de militants politiques palestiniens et de leaders de quartier.

« Tout comme ils ont utilisé des arrestations massives, la détention administrative et des arrestations à domicile pour réprimer le soulèvement (depuis début octobre), ils ont recours à l’expulsion de la jeunesse active de Jérusalem » dit-il. « Ils pressurent les gens jusqu’à ce que ça explose ».

Vendredi, Abou Sbeih a décidé de défier l’ordonnance d’expulsion et de retourner à Jérusalem où il fait un sit-in au bureau du Comité International de la Croix Rouge à Cheikh Jarrah. Il a été rejoint par Samer Abou Eisheh.

En 2010, plusieurs juristes palestiniens de Jérusalem, affiliés au Hamas, avaient aussi cherché refuge au bureau du CICR, bravant ainsi des ordonnances d’expulsion. Israël les a arrêtés et expulsés.

 

Une chaîne humaine

Et en malgré le ciblage systématique de militants en vue, ceux qui restent continuent à manifester.

Samedi, un groupe de militants a formé ce qu’ils ont appelé « la plus longue chaîne humaine » autour des murs de la Vieille Ville.

Des centaines de personnes ont participé, en dépit de la présence massive des forces israéliennes qui ont lancé des grandes assourdissantes et des gaz lacrymogènes lorsque les manifestants ont commencé à marcher vers la Porte de Damas.

CXJdcxyUAAEmLII

View image on Twitter

La manifestation avait été appelée pour réclamer qu’Israël rende aux familles des victimes les corps de ceux qu’il avait tués.

La résolution des Palestiniens à maintenir une action directe malgré les mesures répressives d’Israël, montre qu’Abou Eisheh a raison lorsqu’il déclare que ni la déportation ni l’arrestation ne feront taire les Palestiniens de Jérusalem.

Mais Israël rend certes la vie difficile dans la ville occupée.

La vie de Muhammad Razem, de 24 ans, a été bouleversée par l’ordonnance d’expulsion qu’il a reçue le 16 décembre.

Père d’un bébé de 11 mois, Razem et sa femme étaient an location dans le quartier de Silwan. Au cours des derniers mois, il avait été interdit d’accès à la mosquée d’al-Aqsa à cinq reprises. Il se doutait que l’interdiction d’entrer à Jérusalem ne serait qu’une question de temps.

« Je n’ai pas été seulement chassé de Jérusalem ; la carte des lieux auxquels je ne peux accéder comprend aussi Abou Dis, un village où ma famille a une maison et où j’aurais pu rester », a dit Razem à l’Electronic Intifada. « Les services de renseignement savent tout sur nous et ils veulent que nous luttions le plus possible. Ainsi ils pourront m’interdire l’accès à tout le gouvernorat ».

Razem et sa famille ont maintenant loué un appartement à Abou Gosh, juste après les limites de la ville. Mais ils continuent à payer leur loyer de Silwan, dit-il, lors d’une pause après une longue journée de travail sur le chantier où il travaille à Abou Gosh.

C’est quelque chose qu’il a à faire. Israël insiste pour que les Jérusalémites palestiniens prouvent que « leur centre de vie – école, travail, logement – se trouve dans la ville, afin de pouvoir conserver leur titre de résidence.

«  Ne pas payer pas le loyer de notre maison de Silwan signifierait que je n’ai plus le droit de vivre à Jérusalem, qui est précisément ce que veut Israël », dit-il. Le jeune travailleur paie désormais plus de 3 000 shekels (700 €) rien que pour le loyer des deux logements. C’est plus de la moitié de son salaire mensuel.

« La vie à Abou Gosh est très chère et je ne peux même pas aller à Jérusalem ou à Abou Dis pour acheter les provisions quotidiennes » dit-il.

Il est prudent. Un officier de police israélien l’a appelé, dit-il, et l’a menacé de conséquences s’il n’obéit pas à l’ordonnance d’expulsion.

 

Tout est bon pour intimider

Le premier des cinq Palestiniens de Jérusalem à recevoir une ordonnance d’expulsion a été Anan Najib. Il vit maintenant avec sa femme et ses enfants à al-Eizariya.

Le plus jeune de ceux qui ont reçu de telles ordonnances est Obada Najib qui a tout juste 18 ans.

Selon Amjad Abou Asab, un porte-parole du Comité de Soutien indépendant aux prisonniers, anciens prisonniers et à leurs familles, six Palestiniens de Jérusalem ont été chassés vers la fin de 2014. Deux d’entre eux ont été arrêtés suite à des accusations de violation de l’ordonnance, tandis que les quatre autres ont été autorisés à retourner à Jérusalem à l’expiration de l’ordonnance.

« En dehors des déportations, une nouvelle tendance qui a refait surface lors de ce soulèvement, c’est la détention administrative de jeunes Palestiniens de Jérusalem » a dit Abou Asab à l’Electronic Intifada.

Selon les données dont il dispose, 31 Palestiniens de Jérusalem ont été placés en détention administrative – emprisonnés sans inculpation – depuis octobre. Ce nombre comprend quatre mineurs, tout récemment Muhammad al-Hashlamoun de 17 ans a été l’objet de cette sorte de détention au début de la semaine.

Al-Hashlamoun a d’abord été arrêté et interrogé au Domaine Russe pendant 20 jours. Et même si un tribunal israélien a pris la décision de le relâcher, du fait de l’absence de preuve permettant de l’inculper, le ministre de la défense, Moshe Yaalon a approuvé un ordre de détention administrative pris contre lui.

D’après sa famille, al-Hashlamoun a été gravement frappé lorsqu’il a été emmené de chez lui à Ras-al-Amoud, un quartier de Silwan, début décembre. Alors que la famille préparait la sortie de son fils en payant une caution de 5 000 shekels (1183 €), ils ont eu la surprise d’un appel de la police israélienne disant que leur fils avait été mis en détention administrative.

« Prendre une ordonnance de détention administrative pour des résidents de Jérusalem est supposé être plus difficile parce que cela nécessite l’approbation du ministre de la défense » dit Abou Asab. « Mais depuis le début du soulèvement, c’est devenu une simple formalité. Israël utilise littéralement toute méthode possible pour intimider les Palestiniens de Jérusalem et les punir de se soulever ».

Samer Abou Eisheh est pleinement conscient qu’il n’est pas inhabituel pour les Palestiniens d’être forcés à l’exil. Ceux qui ont été chassés durant la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine de 1948 et au cours de l’occupation de 1967 de la Cisjordanie et de Gaza, n’ont toujours pas été autorisés à rentrer chez eux.

« Nous savons que si nous n’agissons pas contre ces déportations » dit-il, « notre destin pourrait bien être le même que celui de nos grands parents qui ont été l’objet d’un nettoyage ethnique et rêvent toujours du retour ».

 

Budour Youssef Hassan est une diplômée en droit palestinienne basée à Jérusalem occupée Blog: budourhassan.wordpress.com. Twitter: @Budour48

 

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine

Source: Electronic Intifada 

Retour haut de page