Gidéon Levy: Le boycott est le seul moyen pour arrêter l’occupation israélienne

Gideon Levy – Ha’aretz – 1er mai 2016

Le rédacteur en chef de Ha’aretz, Aluf Benn, nous demande de ne pas être trop enthousiastes à propos des effets d’un boycott d’Israël (Ha’aretz, 28 avril 2016). Je suis d’accord avec lui, mais même si nous ne sommes pas enthousiastes à ce sujet, c’est que nous n’avons pas d’autre choix que de reconnaître que ces boycotts, désinvestissements et sanctions représentent le seul moyen existant, le dernier espoir, pour le changement que Benn veut aussi. C’est le seul moyen pour empêcher Israël de persister dans ses crimes. Sa seule alternative, c’est l’effusion de sang, dont personne ne veut.

Sanctions et boycott sont les moyens légitimes les plus non-violents qui existent (Israël ne cesse de prêcher au monde de les utiliser contre ses ennemis) et qui ont fait la preuve de leur efficacité. Même les gens qui partagent les réserves de Benn, et je partage certains de ses doutes, doivent admettre qu’il ne propose aucune autre alternative. Sa proposition pour que la gauche établisse une base pour un soutien national à ses positions est sans espoir au regard du bourrage de crâne, de l’ignorance, de l’aveuglement, de la dolce vita, de l’absence d’opposition et de la montée de l’extrémisme dans la société israélienne.

Parce que c’est une situation qui est criminelle et qui ne doit pas être autorisée à persister, nous ne pouvons pas ne pas agir, rester à attendre que l’opinion publique aie la bonne grâce de changer. Elle ne le fera jamais de son propre chef, elle n’aura aucune raison de le faire aussi longtemps qu’elle n’aura pas à payer pour ses crimes et qu’elle n’en sera pas punie. Les gens qui le prétendent sont arrivés à un nouveau sommet dans le culot israélien : permettre à la tyrannie, aux sévices et à l’oppression de se poursuivre au nom de la démocratie.

Benn commence son article en décrivant un rêve – que le monde impose des sanctions à Israël. La vérité c’est que parfois j’en rêve moi aussi, en une manifestation du désir primitif de quelqu’un qui voit les péchés chaque jour, et qui aspire à voir aussi leur sanction. Quand un agent de la police des frontières exécute une femme enceinte et son frère, prétendant qu’ils « avaient jeté un couteau », et que la société baille d’ennui, ce désir rend conscient qu’il faut réagir et le punir. Ce n’est pas un désir de vengeance, mais plutôt un désir de changement. Benn croit qu’un boycott amènerait Israël à durcir sa position. Le passé a montré que c’est le contraire qui est vrai. Israël a toujours fait ses rares concessions seulement après avoir payé un lourd tribut, ou s’être trouvé face à une menace manifeste.

Il est vrai que la Corée du Nord et Cuba n’ont pas cédé à des boycotts, mais ce ne sont pas des démocraties et l’opinion publique dans ces pays n’a que peu de poids. Les Israéliens, basés sur l’expérience du passé, sont beaucoup plus privilégiés. Fermez l’aéroport international pendant deux jours et vous verrez qui est pour la colonie d’Yitzhar ; exigez un visa pour toute les petites vacances à l’étranger et vous verrez qui dira « la terre d’Israël pour le peuple d’Israël ». Et nous n’avons même pas commencé à parler des conditions continues de pénuries et de crise économique qui forceront Israël à se demander finalement : tout ceci est-il vraiment nécessaire pour satisfaire un appétit de biens immobiliers, tout ceci est-il vraiment nécessaire pour le caprice de l’occupation, sont-ils prêts à payer de leur propre poche et de leur mode de vie pour des régions du pays que la plupart d’entre eux n’ont jamais vues et dans le sort desquelles ils n’ont aucun intérêt ?

La première réponse au boycott sera celle que décrit Benn : Masada, se coaliser, prendre une ligne plus dure. Mais en un clin d’œil, les questions vont commencer à monter, suivies de protestations. Les Israéliens de 2016 ne sont pas bâtis pour vivre à Sparte, pas même à Cuba, pour circuler dans des voitures des années 1950, pour faire de longues queues pour avoir de la viande, tout cela pour garder la colonie d’Esh Kadosh en vie. Ils vont vendre Elkana pour garder Varna, et c’est une bonne chose. Et si cela laisse Elkana dans un unique État démocratique, ce sera mieux encore. Marwan Barghouti comme Premier ministre d’un gouvernement démocratique, ça ne me fait pas peur, Benn.

BDS n’a pas encore commencé à effleurer nos vies ici. En attendant, il n’y a pas de véritable guerre économique, simplement des mouvements qui font que, petit à petit, le discours international est en train de changer à propos d’Israël. Sur les bords, il y a peut-être quelques rares éléments d’antisémitisme, mais, fondamentalement, c’est un mouvement de protestation, par des gens de conscience qui veulent faire quelque chose. Un déclin économique en conséquence de cela pourrait se produire rapidement, pas nécessairement de façon progressive. En Afrique du Sud, la communauté des affaires est venue voir le gouvernement et lui a dit : cela suffit, cela ne peut pas continuer. Cela pourrait aussi se produire comme cela ici. Cela m’imprègne vraiment d’un grand espoir, Benn, je ne vois pas d’autre alternative.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.717090

 

Le boycott d’Israël n’est pas un remède miracle

Un État unique enterrerait à la fois le mouvement national palestinien et la vision sioniste. Les gens qui considèrent le boycott comme « sauvant Israël de lui-même » pourraient eux-mêmes vivre dans un Masada.

Aluf Benn – Ha’aretz – 28 avril 2016

Commençons par rêver. La communauté internationale en a assez de la conduite d’Israël et impose des sanctions économiques et culturelles au pays. Les investissements se tarissent, le tourisme se réduit, les subventions pour la recherche sont supprimées et les athlètes israéliens interdits de Jeux olympiques. Le voyage à l’étranger avec un passeport israélien nécessite de se mettre dans une file pour obtenir un visa et de se plier à un interrogatoire approfondi. Les politiciens israéliens et les gens de l’armée ne peuvent se rendre à l’étranger que sous de fausses identités ou clandestinement.

Les défenseurs du boycott croient qu’Israël, qui dépend du soutien international, ne résisterait pas à une telle pression. Ils espèrent qu’il suffirait simplement de menacer de telles sanctions pour obtenir que le gouvernement proclame aussitôt un retrait des territoires, une évacuation des colonies et la création d’un État palestinien.

Encore un peu de pression, et Jérusalem sera à nouveau divisée et l’armée se retirera de la vallée du Jourdain. L’occupation aura pris fin et l’État juif, démocratique, demeurera en sécurité derrière sa nouvelle frontière – une fin heureuse suivie d’honneurs.

Mais la capitulation d’Israël devant le boycott n’est pas assurée. Il est plus raisonnable de supposer que le gouvernement raidira sa position et qu’il se renforcera dans les territoires plutôt que de s’en retirer, comme d’autres pays confrontés à un embargo international l’ont fait, telles l’Afrique du Sud, la Corée du nord et Cuba.

Une telle situation est caractérisée par une austérité économique, des restrictions aux voyages à l’étranger, une suppression de l’opposition, et la nécessité de mettre de côté les pièces de rechange pour les avions, de créer des alternatives nationales pour les importations. Plus il y aura de pressions, plus Israël ressemblera à Masada, pas à Tel Aviv.

Les mesures qui, dans le passé, auraient été considérées comme taboues, telles qu’une construction massive dans les colonies, une modification dans le statu quo sur le mont du Temple, et même l’expulsion des Palestiniens, seraient mises en œuvre avec le sentiment qu’il n’y avait rien à perdre.

Et si les meneurs du mouvement de boycott renonçaient à l’exigence de la partition de la terre et à l’indépendance palestinienne, et demandaient à tous les résidents du pays, y compris de la Cisjordanie et de Gaza, de jouir des mêmes droits dans un seul État partagé ?

Il serait plus facile pour eux d’obtenir un soutien de l’opinion publique occidentale à un principe démocratique de base comme, une personne une voix, que la création d’une autre dictature arabe à proximité d’Israël. Cet État unique enterrerait à la fois le mouvement national palestinien et la vision sioniste.

Comment les Israéliens, libéraux, laïques, qui luttent pour construire un pays développé quasi-occidental respectant les droits humains et civils réagiraient à de tels scénarios ? Attendraient-ils, avec un niveau de vie affaibli et une liberté politique réduite, pour voir si le boycott fait plier Israël, ou partiraient-ils à l’étranger à la recherche d’une opportunité économique et d’une liberté individuelle ?

Les passionnés du boycott aiment comparer Israël à l’Afrique du Sud et décrivent l’effondrement de l’apartheid comme un modèle de réussite pour la pression internationale. Mais ils oublient que l’apartheid n’a pas disparu du jour au lendemain, mais après des années d’une répression croissante. Beaucoup de juifs sud-africains qui s’opposaient au racisme officiel n’ont pas attendu la chute du pays pour immigrer en Grande-Bretagne, en Australie, aux États-Unis, et en Israël.

Un phénomène semblable se produirait en Israël si des sanctions lui étaient imposées. Ceux qui ont de l’argent et un passeport étranger et qui recherchent la liberté s’en iraient, laissant derrière eux un pays plus pauvre, plus à droite, plus religieux.

Les gens qui voient dans le boycott un remède miracle « pour sauver Israël de lui-même » doivent se demander s’ils veulent vivre dans un pays de Masada du style d’un Bezalel Smotrich encore plus à droite, ou dans un État de tous ses citoyens, avec un Premier ministre palestinien comme Khaled Meshal du Hamas, ou peut-être Mohammed Dahlan ou Marwan Barghouti. Ils doivent se demander si pour la possibilité de mettre fin à l’occupation, ils veulent sacrifier la perspective d’un Israël prospère, libéral, démocratique dans des frontières reconnues.

Pour changer la situation, la gauche doit apprendre de la droite, et établir une base pour un soutien national à ses positions. Les gens qui renoncent à une initiative politique sur le raisonnement que le public est stupide, raciste et sous le charme du Premier ministre Benjamin Netanyahu, sacrifient le pays dans lequel ils souhaiteraient vivre.

Ils font le choix de l’illusion que leur salut viendrait du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions. Et si le boycott réussit, la plupart d’entre eux ne resteront pas ici pour éteindre le feu.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.716688

 

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