Par Nora Barrows-Friedman, 30 décembre 2019
L’année passée a vu la croissance régulière de la campagne non violente de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) visant à faire pression sur Israël pour qu’il respecte les droits palestiniens.
Il y a eu des victoires importantes de BDS en 2019 malgré l’augmentation des calomnies, des attaques ciblées et des tentatives directes pour criminaliser le mouvement.
Des Etats-Unis au Canada ou à l’Europe, les gouvernements ont approuvé les efforts d’Israël, depuis des années, pour que le militantisme en faveur des droits palestiniens soit confondu avec de l’antisémitisme, afin d’étouffer les campagnes BDS.
Des reportages d’investigation ont démasqué en 2019 les efforts anti-BDS d’Israël, exposant les réseaux d’espions israéliens et de surveillance à la pointe de la technologie fondés et orchestrés par le ministère israélien des Affaires stratégiques.
Ce département est consacré à une « guerre globale » contre BDS et tente de cacher son implication en utilisant comme couverture des groupes qui « ne veulent pas exposer leurs relations avec l’état ».
En février, des reportages dans The New Yorker ont révélé que Psy-Group, une compagnie privée israélienne de renseignements maintenant disparue, était payée pour espionner des étudiants et militants américains impliqués dans BDS.
Confirmant ce que The Electronic Intifada a signalé depuis des années, des médias israéliens ont rapporté en juin que le Mossad – la violente agence d’espionnage d’Israël – est aussi impliqué dans la guerre contre BDS.
Mais la réaction des défenseurs des droits humains, palestiniens et internationaux, a été inébranlable.
L’année a commencé par des attaques sans relâche contre Ilhan Omar, une congressiste américaine qui a dit la vérité à propos de l’influence du lobby pro-Israël sur la politique des Etats-Unis. Omar n’a pas seulement été attaquée par les Républicains de droite, mais aussi par des membres de son propre parti démocrate qui ont continué à l’accuser faussement d’antisémitisme parce qu’elle critique la relation entre les Etats-Unis et Israël. Malgré les calomnies, Omar a présenté une résolution en juillet soutenant le droit au boycott et a explicitement offert son soutien à BDS. Le refus d’Omar de se taire sur Israël et sur le droit de la société civile à s’engager dans le mouvement croissant de boycott a reflété la résolution des militants du monde entier à amplifier leurs campagnes.
Voici quelques-unes des victoires majeures pour les droits palestiniens qui ont été couvertes par The Electronic Intifada en 2019 :
Les colonies sont confrontées à des défaites juridiques et financières
Les experts juridiques de l’Union européenne et la Cour européenne de justice ont statué cette année que les biens des colonies israéliennes en territoire palestinien occupé doivent être étiquetés de manière à indiquer qu’ils proviennent des colonies.
C’est un coup de pouce aux efforts déployés en Europe pour restreindre ou bannir le commerce des biens des colonies.
En janvier, un projet de loi pour interdire le commerce des biens issus des colonies israéliennes a été voté par la chambre basse du parlement d’Irlande, une étape majeure dans son chemin pour devenir une loi. A l’été, malgré la pression d’Israël et de ses lobbyistes pour le contrecarrer – y compris par des membres du Congrès des Etats-Unis— le soutien à ce projet de loi était resté solide parmi les représentants élus à Dublin.
En octobre, Oslo, la capitale de la Norvège, a banni des contrats publics les biens et les services des colonies israéliennes. Les partis politiques de gauche gouvernant la ville se sont engagés pour garantir que les marchés publics n’incluent pas de « biens et de services produits sur un territoire occupé en violation du droit international ».
De manière analogue à la décision historique de la Cour européenne de justice, la Cour fédérale du Canada a décidé en juillet que les vins produits dans des colonies sur le territoire palestinien occupé ne peuvent pas être étiquetés « Made in Israel » [Produit en Israël]. Affirmant le droit des citoyens à s’impliquer dans des boycotts, la cour a décidé que les personnes qui souhaitent exprimer leurs opinions politiques par leurs décisions d’achat « doivent recevoir une information exacte sur la source des produits en question ». Immédiatement après la décision, les groupes de lobby pro-Israël et le gouvernement israélien ont commencé à faire pression sur le gouvernement de Justin Trudeau pour faire appel, ce qu’il a fait en septembre. Les militants et experts juridiques continuent à combattre la procédure d’appel.
Des corporations internationales de premier plan se sont retirés d’appels d’offres lucratifs pour étendre les voies ferrées des colons israéliens en mai. Israël construit le tramway de Jérusalem pour relier les colonies en Cisjordanie occupée les unes aux autres et à Jérusalem-Est occupé. Le constructeur de trains français Alstom s’est retiré d’un consortium de soumissionnaires à l’appel d’offres pour étendre le tramway colonial, en mentionnant ses inquiétudes vis-à-vis des droits humains. Avec l’effondrement de l’offre impliquant Alstom, une autre compagnie européenne – l’opérateur de transport de Barcelone Moventia – a aussi été contrainte de se retirer, parce qu’elle faisait partie du même consortium. Le géant canadien d’ingénierie Bombardier s’est aussi retiré d’un appel d’offres pour étendre et faire opérer le tramway – ainsi que Macquarie d’Australie et Siemens d’Allemagne. Un consortium mené par une compagnie grecque a aussi échoué à répondre à l’appel d’offres pour étendre le tramway, malgré un fort soutien du gouvernement grec. Il a été confronté à une ferme opposition des ouvriers grecs. Le consortium gagnant, cependant, inclut un constructeur de train basé en Espagne, CAF, mais les maires, les ouvriers et les militants de la région basque se battent encore pour stopper toute implication dans la voie ferrée de l’apartheid israélien.
Le refus des produits israéliens
Des compagnies en affaires avec l’armée israélienne ont été abandonnées par un syndicat important et par une équipe américaine professionnelle de basketball, et des militants britanniques ont arrêté des usines d’armes israéliennes.
Pendant l’été, Unite the Union – le deuxième plus important syndicat britannique et irlandais, se targuant de plus d’un million de membres — a résolu de mettre fin aux achats de produits Hewlett-Packard.
En commémoration du cinquième anniversaire des attaques israéliennes sur Gaza en 2014 — qui ont tué plus de 2200 Palestiniens dont 550 enfants — des militants du Royaume-Uni ont organisé une manifestation de trois jours début juillet. Ils ont occupé le toit de l’usine d’armes Elbit-Ferranti à Odlham, près de Manchester, usine qui est une propriété israélienne. Ils ont demandé au gouvernement britannique d’imposer un embargo des armes de la compagnie et de fermer les usines israéliennes Elbit basées au Royaume-Uni. Elbit est le plus grand fabriquant d’armes d’Israël. La compagnie décrit ses drones comme l’« épine dorsale » du parc israélien. La manifestation a effectivement bloqué les opérations de l’usine pendant deux jours, ont dit les militants. Un mois plus tard, des militants de Sandwich ont fermé une usine appartenant à Elbit pendant deux autres jours.
Et à Portland, dans l’Orégon, l’équipe de basketball des Portland Trail Blazers a mis fin à son partenariat avec Leupold & Stevens, un constructeur de viseurs qui fournit les armées américaines et israéliennes. Les Blazers avaient subi des pressions pour qu’ils coupent leurs liens avec cette compagnie basée dans l’Orégon, à cause de l’utilisation par Israël de son équipement pour tuer et mutiler des manifestants palestiniens non armés à Gaza.
Pendant l’été, des Palestiniens ont organisé des campagnes de boycott internationales pour appeler la marque de sportswear Puma à mettre fin à son soutien d’équipes de football basées dans les colonies israéliennes.
Les lois anti-BDS contestées
Aux Etats-Unis, alors que l’état et les législateurs fédéraux promouvaient des mesures draconiennes pour protéger Israël des campagnes de boycott, les défenseurs des droits civiques ont riposté et gagné d’importantes victoires juridiques.
Un tribunal fédéral du Texas a émis une injonction temporaire en avril contre la loi de cet état de 2017 qui requiert des employés publics et des entrepreneurs sous contrat avec l’état de ne pas boycotter Israël. Cette loi du Texas fait partie des tentatives à l’échelle nationale pour stigmatiser et mettre hors la loi les campagnes BDS. Avec l’encouragement d’Israël et de son lobby, 27 états américains ont adopté des mesures anti-BDS. La décision du tribunal texan suit des décisions similaires par des juges fédéraux contre des lois anti-BDS en Arizona et au Kansas, décisions qui se fondent sur la violation du premier amendement [de la constitution des Etats-Unis, portant sur la liberté d’expression]. Des actions en justice contre des lois anti-BDS sont aussi en cours au Maryland et en Arkansas.
Une enquête a montré que les Américains rejettent à une très grande majorité les lois destinées à punir les supporters de BDS. Plus de 70% s’opposent aux lois qui ciblent le militantisme par le bocyott, en tant qu’elles restreignent le droit à la libre expression. Des mesures similaires encore en attente au Congrès sont confrontées à la forte opposition des groupes de défense des libertés civiques.
Au Canada, le conseil municipal de Calgary a rejeté une tentative par des groupes de lobbying pro-Israël de stigmatiser la critique d’Israël, en particulier les actions militantes de boycott, comme étant de l’antisémitisme. Les dirigeants de la ville ont voté en novembre pour amender une motion portant sur la lutte contre l’antisémitisime et incluant des formulations qui auraient pu amener à caractériser les campagnes en faveur des droits palestiniens comme du sectarisme anti-juif.
Etudiants et universitaires ne se laissent pas décourager
Malgré les attaques brutales contre des étudiants par les législateurs locaux et fédéraux – et des programmes d’état qui osent mentionner les campagnes pour les droits palestiniens – le militantisme en faveur du boycott a continué à fleurir sur les campus et dans les milieux universitaires en 2019.
En août, après une bataille de trois ans, les étudiants de l’université Fordham ont gagné une victoire juridique historique contre l’interdiction unilatérale par l’université d’une branche locale de l’association Students for Justice in Palestine [SJP, Etudiants pour la justice en Palestine]. Après avoir essayé de lancer une branche de SJP en 2015, les étudiants ont été soumis à une enquête d’un an. Ils ont été interrogés à de nombreuses reprises sur leurs opinions politiques, leurs affiliations et leurs opinions sur BDS.
En février, il y a eu une victoire critique pour la liberté universitaire lorsqu’un juge fédéral a rejeté une action contre l’American Studies Association [Association des études américaines] à propos de sa décision de 2013 de soutenir le boycott des institutions universitaires israéliennes.
Les étudiants de l’université Brown à Rhode Island sont devenus les premiers dans une institution de la Ivy League [groupe d’universités privées prestigieuses de la côte est des Etats-Unis] à voter dans un référendum un appel au désinvestissement des entreprises complices des violations des droits humains d’Israël. Le vote de Brown suit une résolution similaire votée par le conseil des étudiants de Swarthmore College début mars.
En février, les étudiants de l’université de Manchester au Royaume-Uni ont fait irruption à une réunion du conseil d’administration pour demander aux administrateurs de désinvestir l’université de Caterpillar, une entreprise impliquée dans les crimes de guerre israéliens. Caterpillar fournit des bulldozers que l’armée israélienne utilise pour démolir les maisons palestiniennes.
Le boycott culturel prend de l’essor
Des artistes variés ont non seulement abandonné des concerts en Israël, mais aussi résisté aux pressions pour garder le silence sur la violence d’Israël.
En juin, le rappeur américain Talib Kweli a refusé de céder aux demandes de deux festivals allemands pour qu’il condamne le mouvement BDS. Il a été désinvité des festivals à cause de son refus de répudier son soutien aux droits palestiniens. Kweli a dit qu’il ne voudrait pas « s’auto-censurer et mentir à propos de BDS pour un chèque ». La chambre basse du parlement d’Allemagne, le Bundestag, a voté une résolution en mai égalant faussement BDS à de l’antisémitisme. La calomnie contre un mouvement non violent qui rejette toutes les formes de racisme a suscité des protestations et des appels de Palestiniens en Cisjordanie occupée et dans la Bande de Gaza à annuler des spectacles en solidarité avec Kweli.
Des personnes de toute l’Europe sont intervenues en réponse à l’appel palestinien à boycotter le Concours de chansons de l’Eurovision qui était organisé à Tel Aviv en mai. Des dizaines de groupes LGBTQ avaient appelé à un boycott de l’Eurovision, et beaucoup ont organisé des fêtes « sans apartheid » la nuit de la finale de l’Eurovision en guise d’alternatives. Dans la période précédant le concours, plus de 100 artistes français ont dénoncé le fait que l’Eurovision ait lieu à Tel Aviv, mentionnant les crimes d’Israël, y compris la destruction délibérée en 2018 de la principale salle de spectacles de Gaza, le Centre culturel Said al-Mishal. Des dizaines d’anciens participants au mouvement irlandais contre l’apartheid sud-africain ont repris des appels à la candidate de l’Irlande, Sarah McTernan, pour qu’elle se retire de l’Eurovision. Des militants à Genève ont remis au siège de l’European Broadcasting Union, l’organisme organisateur du concours, une pétition contre l’organisation de l’Eurovision à Tel Aviv qui avait recueilli 136 000 signatures. L’Eurovision n’a pas répondu aux espoirs d’Israël, à savoir que le concours amènerait un afflux de touristes. Le flot de visiteurs espéré à Tel Aviv ne s’est pas matérialisé et des milliers de tickets n’ont pas été vendus, obligeant les organisateurs à offrir des sièges.
Et en juin, George P. Smith, chimiste récipiendaire du prix Nobel, et 19 autres scientifiques ont signé un appel aux étudiants et à leurs mentors pour boycotter les Olympiades internationales de physique en Israël, « soutenir les droits humains des jeunes élèves et étudiants palestiniens, en particulier leurs droits à l’éducation ».
Voici les actions militantes et les victoires de 2019, et d’autres viendront en 2020.
Nora Barrows-Friedman
Nora Barrows-Friedman est rédactrice et éditrice adjointe à The Electronic Intifada et l’auteure de In Our Power: US Students Organize for Justice in Palestine (Just World Books, 2014).
Trad. CG pour Agence Media Palestine
Source: Electronic Intifada