Trois leçons qui montent de Palestine pour surmonter la pandémie

Des volontaires palestiniens distribuent des objets d’artisanat, des jouets pour enfants et du matériel pour les familles confinées en raison de la pandémie de coronavirus.
(Photo : Fawzi Mahmoud, The Palestine Chronicle)

Par Maren Mantovani, 21 avril 2020

Quand la pandémie de COVID-19 a commencé à paralyser le monde, un visuel simple sur internet avec des lettres blanches sur fond noir a commencé à circuler sur les médias sociaux : « Cher monde, comment se passe le confinement, signé : Gaza ».

Ce visuel soulève quelques questions de fond : l’apartheid israélien et ses pratiques autoritaires seront-ils un modèle pour des réponses mondiales à la pandémie ? Allons-nous accroître la division entre ceux qui doivent être sauvés et ceux qu’on laissera mourir derrière les murs, physiques ou virtuels ? Y a-t-il une leçon à tirer de la Palestine sur la façon de construire une réponse alternative qui crée un monde post-COVID19 plus juste, et plus viable ?

Des murs qui ne tueront pas le virus, mais la population

Ce que vivent la plupart des personnes vivant dans le Nord de la planète et qui sont confinées chez elles n’a que peu à voir avec les 13 années de siège militaire inhumain par Israël sur la bande de Gaza occupée et le peuple palestinien emmuré dans des ghettos et soumis aux agressions constantes de l’apartheid israélien. Et pourtant, ces migrants aux frontières de l’Europe qui ont été abattus, sous prétexte qu’elles sont fermées en raison du COVID-19, alors qu’ils tentaient de traverser la clôture qui militarise les frontières évoquent bien les images de ces centaines de Palestiniens qui ont été tués par des tireurs embusqués israéliens lors des manifestations près de la clôture autour de Gaza qui emmure la Bande.

La réalité à Gaza ou dans les communautés bédouines palestiniennes, où Israël continue de démolir des centres médicaux de première nécessité et où les accès à l’eau sont systématiquement coupés afin de les expulser, cette réalité fait écho à celle que connaît cette population entassée dans les favelas du Brésil, sans accès à l’eau courante ni au savon. Le peuple palestinien est très lié à tous ces millions de personnes en Inde que les mesures anti-COVID19 imposées par le gouvernement fasciste hindou ont expulsées de leurs villes où elles avaient leur travail, et qui ont été forcées de marcher des jours entiers, sans nourriture, pour se retrouver bloquées à des check-points militaires aux frontières inter-États.

Les murs idéologiques du nationalisme et du racisme suprémacistes se dressent au grand jour alors que le virus se répand. La salutation qui monte de Gaza nous rappelle que c’est exactement sur cette structure idéologique que s’est bâti l’apartheid israélien.

Un monde où certains sont à sauver et où les autres, dont on peut au mieux se passer, sont la plupart du temps abandonnés, un monde avec une nécropolitique omniprésente, avec un exercice du pouvoir où des populations entières en sont réduites à être des « morts vivants », un tel monde se manifeste aujourd’hui dans toute sa cruauté, en Palestine et dans le monde entier.

Etre « de l’autre côté du mur », cela veut dire que les mesures pour prévenir le COVID-19 cessent de vous être utiles ou ne vous sont plus destinées. Dans le cas de l’apartheid israélien, cela conduit à demander à la plupart des travailleurs israéliens de rester chez eux, pendant qu’il est demandé aux travailleurs palestiniens de rester loin de chez eux pendant des semaines, dans des conditions de vie inhumaines et sans équipement de protection, cela pour maintenir l’économie d’Israël à flot. Quand ils tombent malades, ils sont jetés telles des ordures de l’autre côté du mur. Même les citoyens palestiniens d’Israël ont dû se battre pour obtenir un accès suffisant à l’information en arabe – les réglementations, ne leur étaient apparemment pas vraiment destinées.

Des frontières sont fermées et des murs se dressent non seulement en Palestine mais encore dans le monde entier durant cette période, encore plus hauts, encore plus militarisés qu’auparavant. Ils tuent peut-être les exclus, mais ils n’arrêtent pas le virus.

La santé ou la guerre ?

La question qui monte de Gaza, « Comment se passe le confinement ? » s’adresse aussi à celles et ceux qui se trouvent à l’intérieur des murs.

Des confinements toujours plus stricts et l’état d’urgence qui prévaut ont suspendu les droits civils et les libertés et ouvert la voie à une période de formes extrêmes du biopouvoir, ou « une explosion de techniques nombreuses et diverses pour parvenir à l’assujettissement des corps et au contrôle des populations » comme l’a dit Michel Foucault

L’auto-isolement, la quarantaine et les contacts suivis à la trace sont des mesures importantes contre la propagation du coronavirus. Pourtant, il ne s’agit pas là de se préoccuper seulement de la santé publique.  

La façon dont Israël met ces mesures en application consiste en des paradigmes répressifs et en des méthodes de son industrie militaire, qui sont testées depuis longtemps sur les Palestiniens.

Israël a été l’un des tous premiers pays dans le monde à promouvoir son opération d’espionnage numérique, sous l’autorité de son agence de sécurité militaire, le Shin Beit, en tant que mesure anti-COVID19. Il n’a pu agir aussi rapidement que parce qu’il disposait déjà d’un système de surveillance quasi illimité, à cette échelle jusqu’alors inacceptable dans les États démocratiques.

La société qui a fait avancer l’idée de l’opération d’espionnage anti-COVID19, avec le ministre de la Défense, est NSO Groupe, une société israélienne de cyber-technologie qui entretient des relations étroites avec l’agence d’espionnage militaire du pays, Unit 8200, et qui est bien connue pour son logiciel malveillant de piratage et d’espionnage, Pegasus. Pegasus transforme les téléphones en dispositifs d’espionnage et il a été utilisé par certains des gouvernements les plus répressifs à travers le monde pour cibler des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes.

Aujourd’hui, NSO Groupe fait la promotion de sa technologie comme moyen de lutte contre la pandémie de COVID-19. Apparemment, un certain nombre de pays effectuent déjà des études pilotes. John Scott Railton, de Citizen Lab, un organisme de surveillance de la vie privée basé à Toronto, a déclaré que « la dernière chose dont nous avons besoin est une société secrète prétendant résoudre une pandémie tout en refusant de dire qui sont ses clients ».

Une nouvelle structure de « consentement volontaire » pour le suivi des applications est actuellement testée sur les Palestiniens ayant un permis de séjour en Israël. Il leur est demandé de télécharger une nouvelle application qui évite les rendez-vous au bureau pour contrôler ou renouveler les permis. Cette application suit à la trace leur localisation et peut accéder à pratiquement toutes les informations sur leur téléphone, y compris sur leur appareil photo. Afin d’installer l’application, les utilisateurs doivent accepter de fournir des informations qui seront utilisées « à toutes fins utiles, y compris sécuritaires », et de leur « libre arbitre ».

Si de telles opérations étaient effectivement en mesure de sauver des vies, il y aurait alors un dilemme moral. Mais ce n’est pas le cas. Privacy International démontre que de tels systèmes ont été testés lors d’éruptions précédentes, telles que MERS et Ebola, et  qu’ils n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.

Alors que les confinements sont progressivement levés, nous devons nous assurer que ce ne sont pas les paradigmes de surveillance, les sociétés militaires et de sécurité intérieure d’Israël qui vont définir les orientations politiques. Nous ne ferions pas alors que financer l’occupation militaire israélienne de la Palestine, mais nous importerions certains de ses aspects dans nos propres vies.

Faire progresser la solidarité

La question de Gaza « Comment se passe le confinement » nous envoie un troisième message : comment résister et construire des alternatives de solidarité.

Le coronavirus a mis sur nos épaules une bataille, bien plus importante que la crise sanitaire qu’il a provoquée. Des injustices économiques, politiques et sociales font leur apparition.

Si nous voulons sortir de la crise avec plus d’égalité, de droits, de solidarité et de services de santé, alors il ne faut pas compter sur les moyens et les méthodes répressifs, il nous faut couper les liens de complicité entre ceux qui approfondissent la courbe de l’injustice sans stratégie de sortie, et construire à la place une chaîne de solidarité.  

Le peuple palestinien est un exemple de cette lutte, un exemple de la volonté robuste non seulement de survivre mais de vivre dans la dignité. Il prouve au monde que les peuples ont le pouvoir collectif de s’en sortir pour aller dans la bonne direction.

Les Palestiniens ont commencé dès le premier jour à s’organiser contre la pandémie. Habitués aux confinements et aux catastrophes, et sûrs de ne pouvoir compter sur le pourvoir d’un État pour les protéger, dans les villages, les camps et les villes palestiniens, des comités populaires d’urgence fournissent des informations, des trousses de sanitaire et de la nourriture aux plus vulnérables.

Partout dans le monde, les populations développent des alternatives. Dans les favelas brésiliennes, des groupes d’action semblables aux comités de Palestine sensibilisent et apportent leur soutien. Le Kerala, un État du sud de l’Inde, avec un gouvernement de gauche, a obtenu d’excellents résultats en matière de protection de la population contre le virus, démontrant que même une coopération au niveau institutionnel, avec des patients avec un suivi des contacts, est plus efficace que la surveillance, qu’une mobilisation à la base et un système de soins et une politique sociale qui fonctionnent bien sont plus efficaces que la répression dans la lutte contre la pandémie.

Le nombre croissant des séminaires et des conversations en ligne nous a rapprochés plus que jamais. Le confinement s’est ouvert comme un espace de réflexion pour repenser radicalement nos orientations politiques. L’impact de la pandémie a placé l’urgence d’une unité et d’une lutte commune en premier point de l’ordre du jour. L’internationalisme n’est pas un ajout à une politique locale et nationale, il est l’essence même de la capacité à remettre en question le système qui nous a desservis, tous, d’une manière ou d’une autre.

La perspective qui monte de la Palestine nous enseigne qu’une coopération et la solidarité sont la voie pour en sortir, et qu’il nous faut gagner cette bataille des idées. Nous avons besoin d’une politique de soins et d’une politique sociale, pas d’une sécurité intérieure et ni d’une industrie de l’armement, ni de systèmes de surveillance et d’une militarisation prête à réprimer les mouvements, et justement ceux qui exigent ces politiques sociales.

« Cher monde, comment se passe le confinement – Gaza » nous rappelle que la liberté, la justice et l’égalité pour tous sont urgentes, nécessaires et indivisibles.

Maren Mantovani est la coordinatrice des relations internationales de la Campagne Stop the Wall et de la Coalition palestinienne pour la défense de la terre. Elle fait partie du secrétariat international du Comité national palestinien du BDS (BNC).

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

Source : The Palestine Chronicle

Retour haut de page