Un adieu à Ezra Nawi, un juif mizrahi qui refusa de vivre selon les règles du sionisme

Par Orly Noy, le 31 janvier 2021

Nawi a fait don de son corps, de son esprit, et de ses biens aux Palestiniens les plus vulnérables. Cela en a fait une menace pour le régime israélien – et sa proie la plus facile.

Ezra Nawi arrive au tribunal de police de Jérusalem, le 16 juillet 2019. (Yonatan Sindel/Flash90)

La nouvelle n’a surpris aucun d’entre nous. Nous savions qu’Ezra Nawi était sur son lit de mort ; certains d’entre nous dans ses amis les plus proches avions même réussi à lui faire nos adieux, avant qu’il ne décède d’un cancer, le 9 janvier, à l’âge de 69 ans. Et pourtant, la nouvelle nous a assommés. Peut-être parce qu’il n’y en avait aucun, parmi nous, qui ne pouvait ou ne voulait imaginer une gauche radicale en Israël sans lui.

Ezra, qui était plombier, mizrahi, et homosexuel, a consacré sa vie à la lutte contre l’occupation israélienne, contre la suprématie juive, et à la défense des Palestiniens. Il a été l’un des fondateurs de Ta’ayush (mot arabe pour « coexistence »), un groupe d’action directe contre l’occupation. Pendant des années, il a mis son corps en jeu – et le peu de biens qu’il possédait – dans la lutte aux côtés des personnes les plus vulnérables vivant sous le contrôle israélien, particulièrement les Palestiniens dans les collines du sud d’Hébron, en Cisjordanie occupée. Cela, il l’a fait avec grâce et rudesse, avec humour et rage. Il l’a fait avec une intégrité, une bravoure et un cœur absolus.

Quand le groupe anti-occupation des « Femmes en noir » – qui proteste depuis trente ans contre la domination militaire d’Israël sur les territoires occupés à Jérusalem – a été agressé par des passants, Ezra est venu et il a distribué des roses à ces femmes. Quand il voyait une injustice, il n’hésitait pas à affronter les soldats ou les colons, où à se mettre lui-même en danger pour essayer d’empêcher un bulldozer israélien de démolir une maison palestinienne.

Il avait cessé de compter le nombre des fois où il a été arrêté. Les militants de Jérusalem se souviennent, avec un sourire, qu’il y avait toute une bibliothèque de classeurs consacrés aux dossiers juridiques d’Ezra dans le bureau de la légendaire avocate des droits humains, Leah Tsemel.

Les Mizrahim de gauche comme cible

Plus que tout, Ezra était le parangon d’une alternative politique mizrahi en Israël-Palestine. Alors que la gauche mizrahi avait du mal à imaginer notre vision, Ezra a simplement personnifié cette alternative. Il n’était pas un « militant mizrahi » ; son identité mizrahi n’a jamais nécessité de titre particulier.

Ezra parlait couramment l’arabe, né à Jérusalem de parents ayant immigré en Israël depuis l’Irak. Son arabe n’était pas le produit de l’université, ni du service militaire – il coulait dans ses veines, sans effort. Ezra ne parlait pas de l’identité mizrahi ; il la vivait. Il était l’un des rares Mizrahim que je connaisse à avoir vécu sa vie comme un natif de cette terre, plutôt que comme un sujet mizrahi dans la « villa sioniste dans la jungle ».

Des sympathisants se tiennent aux côtés d’Ezra Nawi devant une prison israélienne où il a purgé une peine d’un mois, le 23 mai 2010. Nawi a été arrêté en 2007 alors qu’il tentait de façon non violente de bloquer la démolition d’une maison dans les collines du sud d’Hébron, puis il a été condamné pour avoir agressé un policier et participé à une émeute. (Oren Ziv/Activestills.org)

Dans la pétition mizrahi contre la loi sur l’État-nation juif, les signataires se sont concentrés sur deux clauses particulières : la rétrogradation de l’arabe par Israël de langue officielle à langue avec un « statut spécial », et l’encouragement de la colonisation de peuplement juive en tant que valeur nationale. Ezra personnifiait l’opposition à ces deux clauses : un Juif dont la langue maternelle était l’arabe, et qui s’est battu avec acharnement contre les démolitions de maisons qui avaient pour seul but de construire à la place des colonies juives israéliennes.

La relation d’Ezra avec les Palestiniens en Cisjordanie a paradoxalement fait de lui à la fois une menace majeure pour le régime israélien, et une proie facile. L’establishment sioniste n’a jamais été tolérant à l’égard de la solidarité mizrahi-palestinienne, et Ezra a payé le prix fort sous cette intolérance. Il n’est pas étonnant que les deux autres militants juifs des droits humains qui ont subi une même persécution sévère sous l’establishment israélien – Mordechai Vanunu et Tali Fahima – soient tous deux des Mizrahim.

Une persécution cauchemardesque

Il y a cinq ans, le principal programme télévisé d’investigation d’Israël, « Uvda », a diffusé un reportage basé sur une enquête préparée par le groupe d’extrême droite Ad Kan, qui avait infiltré des taupes dans des groupes de gauche en Israël. Il s’agissait à l’époque d’une tactique populaire pour essayer d’incriminer des militants de gauche.

L’une de ces taupes, qui se faisait passer pour un militant des droits de l’homme, s’était infiltrée dans Ta’ayush et il passait du temps avec ses militants, dont Ezra. Le reportage a accusé Ezra d’avoir identifié des courtiers fonciers palestiniens qui étaient prêts à vendre des terres à des courtiers israéliens – ce qui est passible de la peine capitale dans la loi palestinienne – et d’être allé les livrer à l’Autorité palestinienne.

Le « reportage » d’Uvda exigeait un prix élevé. Israël a immédiatement arrêté Ezra et l’a maintenu en prison pendant deux semaines, la plupart du temps sans qu’il puisse rencontrer son avocate. Ezra a été attaqué par l’ensemble de l’establishment politique et accusé de certaines des infractions criminelles les plus graves de la législation du pays, notamment d’avoir pris contact avec un agent étranger, d’avoir été complice d’un homicide involontaire, et d’avoir conspiré pour commettre un meurtre. Les accusations étaient factices dès le départ, et toutes, finalement, ont été abandonnées, sauf une : d’avoir violé les Accords d’Oslo, une accusation pour laquelle aucun Israélien n’a jamais été jugé.

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Ezra Nawi affronte un colon israélien lors d’une manifestation contre l’expansion des colonies de peuplement et l’accaparement des terres, à Susya, Cisjordanie, le 13 janvier 2007. (Oren Ziv/Activestills.org)

La persécution cauchemardesque subie par Erza a transformé sa vie en un véritable enfer. Il est ressorti de cette affaire un homme différent.

Poursuivre, en son nom

Après l’émission d’Uvda, Ezra, toujours aussi plein d’entrain, drôle, et charismatique, a eu une attaque. Sa situation financière déjà précaire en a pris un sérieux coup, et sas santé a continué de se détériorer jusqu’à ces derniers jours. Beaucoup lui avaient tourné le dos, même à gauche.

Même si Ezra n’a jamais recouvré toutes ses forces, il n’a pas cessé son travail inlassable. Il a poursuivi, du mieux qu’il pouvait, d’aller voir et d’aider les communautés palestiniennes de la Cisjordanie. Comme je me trouvais dans les collines du sud d’Hébron le mois dernier, en regardant les Palestiniens de Khirbet Tawamin, avec des militants israéliens de gauche, manifester contre des démolitions de maisons et la violence des colons, j’ai soudain ressenti la douleur de l’absence d’Ezra.

Dans ses derniers jours, Erza avait tendance à dire aux amis qui venaient lui faire leurs adieux qu’il « aurait pu faire beaucoup plus ». Peu de militants ont fait autant que lui. Mais il est vrai que la lutte contre l’injustice, à laquelle Ezra avait consacré sa vie, est longue, et farouche. Nous allons continuer la lutte, en son nom, parmi tant d’autres.

Orly Noy est rédactrice en chef à Local Call, militante politique, et traductrice de poésie et prose en langue farsi. Elle est membre du conseil exécutif de B’Tselem et militante du parti politique Balad. Ses écrits traitent des lignes qui se croisent et définissent son identité de Mizrahi, une femme de gauche, une femme, une migrante temporaire vivant à l’intérieur d’une immigrante perpétuelle, et le dialogue constant entre elles.

Source : +972 mag

Traduction : BP pour l’Agence média Palestine

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