Israël se sert de l’apartheid pour exclure les Palestiniens. Quand Washington va-t-il regarder cela en face ?

Par H. A. Hellyer, le 28 avril 2021

Le checkpoint de Bethléem en Cisjordanie (photo: Porter Speakman, Jr.)

Mardi, l’organisation internationale Human Rights Watch a publié un rapport de 213 pages dans lequel elle déclare, pour la première fois de son histoire, que le gouvernement israélien commet deux crimes contre l’humanité dans son traitement des Palestiniens : le crime de persécution et l’apartheid. 

Certains peuvent penser que Human Rights Watch va trop loin, mais en réalité il est en retard. À la fin de l’année dernière, j’ai constitué un groupe de travail avec des vétérans de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, qui savent bien à quoi ressemble l’apartheid ; parmi eux figurait l’ancien ambassadeur de l’Afrique du Sud aux États Unis. Ils n’avaient aucun doute sur le fait que ce qu’il se passe dans les territoires occupés est évidemment de l’apartheid. D’autres organisations de défense des droits humains, dont des israéliennes comme B’tselem, sont également parvenues à cette conclusion.

Mais le rapport ajoute aux appels d’urgence l’idée de modifier le débat politique à Washington et au-delà. Comme un rapport conjoint publié la semaine dernière par la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale et le Projet États-Unis/Moyen Orient l’a établi, la seule voie pour résoudre le conflit israélo-palestinien doit être basée sur les droits humains fondamentaux.

Le débat autour des crimes d’Israël se produit alors que les dirigeants israéliens s’efforcent de repousser le moment de solder les comptes en toute justice avec les Palestiniens avant de normaliser les liens avec les gouvernements de la région. Ils désignent les accords de normalisation avec les Émirats Arabes Unis et Bahreïn, présentés comme les Accords d’Abraham et les dispositions moins significatives prises avec le Maroc et le Soudan, comme preuves que le conflit avec les Palestiniens n’est pas un obstacle insurmontable sur la voie de la stabilité.

Cela ne tient pas vraiment debout. Après tout, Israël a eu des accords de paix avec l’Égypte pendant 40 ans ; avec la Jordanie pendant plus de 20 ans ; et pourtant, aucun Égyptien ou Jordanien ne dirait que les relations de son pays avec Israël sont « normales ». En fait, le mot même de normalisation est un anathème dans les sociétés civiles égyptienne et jordanienne quand il est question d’Israël. 

Les Soudanais, qui souffrent d’une crise économique dévastatrice, ont essentiellement subi un chantage dans cette affaire, qui peut ou non durer lorsqu’aura été installée une assemblée nationale soudanaise. Les Marocains ont échangé des liens diplomatiques limités pour un gros coup : la reconnaissance par les États Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Même avec la participation émiratie et bahreïnie aux accords, la société civile arabe au sens large est catégoriquement opposée à la normalisation parce que la question palestinienne reste irrésolue. 

D’un autre côté, l’opinion publique américaine est bien plus équilibrée que le débat politique, les avis critiques sur Israël étant mieux acceptés. Les réseaux sociaux ont peut-être renforcé les échanges de vues qui ont conduit à ce type de changement – ces deux récents rapports le reflètent aussi.

Le mouvement Black Lives Matter et les appels à une forme d’égalité plus profonde entre Américains ont capté l’attention et l’énergie de nombreux Américains, ce qui a eu un certain impact. Après tout, il est difficile d’argumenter que les droits civiques devraient avoir de l’importance chez nous tout en rejetant l’option, à l’étranger, d’une approche basée sur les droits pour résoudre le conflit entre les Palestiniens et les Israéliens. 

Pendant des années, la politique extérieure américaine a fourni un soutien inconditionnel aux dirigeants israéliens en les protégeant même de la censure de la plupart des alliés occidentaux. Les actions d’Israël dans les territoires occupés et la poursuite de l’occupation elle-même étaient traitées comme la dernière roue du carrosse – mais ce n’est plus le cas. L’approche américaine s’est érodée, y compris au Congrès. 

Il peut se passer des années avant que l’évidence n’éclate contre Israël et ne produise une nouvelle politique étatsunienne prenant en compte la réalité indéniable du terrain. Mais dix ans plus tôt, je n’aurais pu rêver qu’un quelconque rapport de ce genre soit publié par une respectable institution de D.C. (Washington D.C.)

En 2021, au cœur du milieu des décideurs politiques de Washington, un des think tanks les plus influents du monde  a non seulement publié un tel rapport mais en a fait une vigoureuse promotion. L’orientation du débat politique est en train de changer – la question est simplement de savoir combien de temps cela va prendre au reste de l’establishment politique de DC pour rattraper son retard. 

H. A. Hellyer est un expert de la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale de Washington et un associé principal attaché au Royal United Services Institute de Londres.

Source : The Washington Post

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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