Assassinat de Nizar Banat : Le monde doit cesser de permettre les crimes de l’AP

Par Alaa Tartir, 25 juin 2021

Les acteurs internationaux ont investi des milliards dans le secteur sécuritaire palestinien, alors qu’ils ont totalement échoué à protéger la population palestinienne.

Après ce qui semble avoir été jeudi l’assassinat politique du militant palestinien et critique de l’Autorité Palestinienne (AP), Nizar Banat, les acteurs internationaux se sont précipités dans l’émission de déclarations le condamnant. Ce fut un ultime exercice d’hypocrisie et d’insincérité, alors que ces mêmes acteurs ont soutenu – à la fois financièrement et politiquement – ces organismes mêmes de sécurité de l’AP qui ont arrêté et tué Banat.

En réalité, ces acteurs ont investi des milliards de dollars dans le projet de réforme du secteur sécuritaire de l’AP et ont parrainé un processus visant à renforcer la mise en place sécuritaire de l’AP, à professionnaliser l’autoritarisme et à criminaliser la résistance.

Les manifestants dans les rues de Palestine et leur colère contre l’AP et ses forces de sécurité amplifient la voix de Banat.

A la suite de l’assassinat de Banat, la délégation des Palestiniens à l’Union Européenne a annoncé qu’elle était « choquée et attristée par la mort du militant et ancien candidat à l’élection législative Nizar Banat après son arrestation la nuit dernière par les forces de sécurité de l’AP ». Le Bureau de Représentation du Canada à l’Autorité Palestinienne a déclaré qu’il était « profondément choqué et attristé », tandis que le Coordinateur Spécial des Nations Unies pour le Processus de Paix au Moyen Orient était « inquiet » et « attristé », exhortant à une « enquête transparente ».

Cependant, ces acteurs occidentaux et d’autres, sont complices, à la fois directement et indirectement, de l’assassinat de Banat.

L’assassinat de Banat, qui avait été arrêté au moins huit fois par les forces de sécurité de l’AP au cours de la dernière décennie et avait survécu à de nombreuses tentatives d’assassinat, offre une illustration dramatique et dévastatrice de la doctrine sécuritaire de l’AP, adoptée dans le cadre de son projet soutenu internationalement de construction d’un État depuis 2007.

Cette doctrine a non seulement induit l’échec d’un État (ou fait de l’idée d’un État un simple mythe ou une illusion), mais elle a par ailleurs abouti à la croissance des tendances autoritaires et des structures de répression, plutôt qu’à un processus de démocratisation, d’inclusion et de responsabilité.

Autoritarisme structurel

Les processus, internationalement parrainés, de réforme de la sécurité – pilier du projet post-2007 de l’AP de construction d’un État – ont fait de l’autoritarisme structurel une part intégrante du système politique palestinien, tandis que la prédominance de l’établissement sécuritaire de l’AP s’est étendue aux cercles politiques, les rendant encore plus non démocratiques. Tout ceci a été parrainé et financé par l’aide américaine et européenne.

Sous prétexte du projet d’établissement d’un État, une totale synchronisation a émergé entre la gouvernance politique et sécuritaire, par laquelle les dirigeants politiques justifient les actions des agences de sécurité qui, à leur tour, protègent les dirigeants politiques. Ce nœud, c’est ce qui a tué Banat : sa critique de l’AP a conduit à son assassinat par les forces de sécurité de l’AP.

Cette domination et cette synchronisation ont surajouté un autre niveau au maintien de l’ordre de la population palestinienne, affectant de nombreux aspects de leur vie quotidienne. « Après 2007, les rassemblements publics ne sont autorisés que pour les mariages, les obsèques ou les rassemblements en prison », m’a dit un réfugié du camp de Balata en Cisjordanie occupée

Même si c’est quelque peu exagéré, cela illustre clairement les transformations autoritaires qui ont pris place en Palestine avec la domination croissante des forces de sécurité de l’AP et leur installation dans presque tous les aspects de la vie, de l’emploi aux opérations bancaires, au militantisme politique dans les universités, aux réseaux sociaux et au-delà.

La communauté internationale est aussi coupable que l’AP dans la création et l’alimentation d’un contexte aussi répressif, et il est plus que temps de faire endosser leur responsabilité à ces deux acteurs.

La communauté internationale a renforcé, à la fois intentionnellement et involontairement, les institutions palestiniennes faussement nationales soumises au système colonial de peuplement israélien. Elle a renforcé les structures et les institutions de sécurité qui consolideraient les matrices de contrôle existantes plutôt que d’élargir la marge étroite vers la liberté.

Couches de répression

Le secteur palestinien de la sécurité comprend environ 83.000 individus en Cisjordanie et à Gaza occupées. Ce secteur, qui emploie près de la moitié de l’ensemble des fonctionnaires, représente près d’un milliard de dollars du budget de l’AP et absorbe environ 30 % du total de l’aide internationale versée aux Palestiniens.

Le secteur sécuritaire consomme une plus grande partie du budget de l’AP que les secteurs combinés de l’éducation et de l’agriculture. Le ratio du personnel de sécurité par rapport à la population s’élève à un pour 48, parmi les plus hauts du monde.

Mais tout ceci échoue à se traduire dans une meilleure protection de la population palestinienne, spécialement en ce qui concerne leur principale cause d’insécurité : Israël et son projet colonial de peuplement et son occupation militaire. Et pire encore, les chiffres ci-dessus se traduisent en couches supplémentaires de suppression, de répression et de dispositifs de contrôle.

L’augmentation des structures de gouvernance autoritaire, l’absence de processus politique démocratique et l’installation de la doctrine sécuritaire de l’AP – qui a cherché à assurer un monopole d’« État » sur l’utilisation de la violence dans la société palestinienne – tout cela a contribué au déni des droits des Palestiniens, y compris le droit à la sécurité fondamentale de l’être humain. L’assassinat de Banat en est un parfait exemple.

Les déclarations d’inquiétude des principaux acteurs internationaux ne peuvent servir de feuille de vigne à leur complicité dans cette tragédie. Il faut y mettre fin, et la solution est de tenir ces acteurs pour responsables de tous les dommages qu’ils ont causés au long des années en investissant dans des approches « sécurisées » qui ne font qu’entraver le parcours du peuple palestinien vers sa libération et la liberté.

Banat a dit : « Si mon corps vous quitte, ne laissez pas ma voix s’éteindre. » Les manifestants dans les rues de Palestine et leur colère contre l’AP et ses forces de sécurité amplifient la voix de Banat – et la communauté internationale serait sage de l’écouter.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale du Middle East Eye.

Alaa Tartir est conseiller de programme à Al-Shabaka, le Réseau Politique Palestinien, chercheur et coordinateur académique à l’Institut des Hautes Études Internationales et de Développement (IHEID) à Genève, Suisse, et membre mondial de l’Institut d’Oslo de Recherche pour la Paix (PRIO). Tartir est corédacteur de La Palestine et la Règle du Pouvoir : Désaccord Local avec la Gouvernance Internationale (Palgrave Macmillan, 2019) et corédacteur de L’économie Politique de Palestine : Perspectives Critiques, Interdisciplinaires et Décoloniales (Palgrave Macmillan, 2021). On peut accéder aux publications de Tartir sur www.alaatartir.com.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Middle East Eye

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