Boycotts et manifestations : comment les peuples du monde entier défient-ils Israël ?

Al Jazeera se penche sur les mouvements contre Israël et les colonies illégales en Palestine.

Par Ali Chugtai, Marium Ali, Delanoey Nolan, le 15 décembre 2023

De Jakarta à San Francisco, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues au cours des deux derniers mois pour protester contre l’attaque israélienne contre Gaza, qui a tué plus de 18 700 personnes, dont plus de 7 700 enfants.

Selon le Armed Conflict Location & Events Data Project, une organisation non-gouvernementale spécialisée dans la collecte de données sur les conflits, du 7 octobre au 24 novembre, au moins 7 283 manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu dans plus de 118 pays et territoires.

Beaucoup d’autres ont choisi d’exprimer leur condamnation par le biais de leur pouvoir d’achat, en choisissant de boycotter les produits et services pro-Israël, apportant ainsi leur soutien au mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) créé en 2005 par une coalition de groupes de la société civile palestinienne. .

Censure des voix sur le campus

Aux États-Unis, des étudiant.e.s de plusieurs universités, dont la Columbia University à New York, ont déclaré que leurs tentatives de dénoncer le bombardement israélien de Gaza se sont heurtées à l’intimidation et à la censure.


Des étudiants de l’Université de Columbia se rassemblent le 12 octobre 2023 pour soutenir le peuple palestinien confronté aux bombardements israéliens à Gaza [Jeenah Moon/Reuters]

« En tant qu’étudiante dans une université telle que Columbia qui a tant de pouvoir dans le monde, j’ai ressenti le besoin d’agir. Je pense aussi tout simplement que cette question est reliée à beaucoup d’autres comme la violence policière, le colonialisme de peuplement, des questions qui ont leur importance aussi en Amérique », a déclaré Daria Mateescu, étudiante en droit à l’Université de Columbia.

Mateescu, 25 ans, est une américano-roumaine de la première génération qui dirige les étudiants en droit de la Columbia University pour la Palestine.

Elle a déclaré qu’elle et ses pairs avaient le sentiment que l’université n’écoutait pas les voix des étudiant.e.s lorsqu’ils et elles appelaient, par exemple, au désinvestissement du campus que maintient l’U de Columbia à Tel Aviv (auquel les Palestiniens et les Arabes ne peuvent pas assister), à la réaffirmation de la liberté d’expression sur le campus, et à la réintégration des deux groupes étudiants – Étudiants pour la justice en Palestine et Jewish Voice for Peace (JVP) –exclus de l’Université en novembre.

Mateescu a déclaré qu’en plus des manifestations sur et hors du campus, les membres de la communauté font désormais des choix de consommation liés à leurs convictions.

« Les gens respectent vraiment les boycotts ciblés de lieux comme McDonald’s ou Starbucks : Nous n’achetons pas dans ces endroits. C’est incroyable à entendre ! », s’est-t-elle exclamée à Al Jazeera.

Mateescu a déclaré qu’il existe une liste des boycotts spécifique à l’U de Columbia qui est partagée sur les réseaux sociaux pour aider à faire ses choix de consommation locale.

De l’autre côté de l’Atlantique, au Royaume-Uni, un groupe d’étudiants et d’étudiantes de l’Université de York a également organisé des événements pour sensibiliser l’opinion aux événements en Palestine.

Les étudiants ont demandé que leurs identités ne soient pas révélées en raison des réactions négatives suscitées par leur soutien public à la Palestine.

 » Je trouve que beaucoup de gens s’abstiennent de prendre position là-dessus et beaucoup de gens que je connais ne semblent pas vraiment comprendre ce qui se passe à cause de toute la désinformation. Je pense que c’est de notre devoir de faire entendre des voix qui ne sont pas nécessairement entendues », a déclaré l’un des membres du groupe.

« Pour moi, même un petit geste comme ne pas prendre son café dans un certain resto de chaîne, c’est déjà s’assurer que moins d’argent va à la violence », expliqua-t-elle.

Un autre membre du groupe a affirmé qu’ils se focalisaient sur l’éducation des personnes qui manquent de moyens d’information pour se forger une opinion sur le conflit et sur les conditions de vie du peuple palestinien.

Des manifestants brandissent des drapeaux et des pancartes palestiniennes lors d’une manifestation de solidarité avec le peuple palestinien de Gaza lors d’une trêve d’une semaine entre le Hamas et Israël, à Londres le 25 novembre 2023 [Hollie Adams/Reuters]

Qu’est-ce que le BDS ?

Le mouvement BDS, créé par une coalition de groupes de la société civile palestinienne en 2005, a connu un regain d’intérêt mondial malgré son interdiction sur de nombreux campus américains et canadiens et dans au moins 35 états américains.

Le mouvement cherche à contester le soutien international à ce qu’il appelle l’Apartheid israélien et le colonialisme de peuplement – ​​qui voit les colons remplacer la communauté autochtone – , et à défendre le principe selon lequel «le peuple palestinien doit avoir les mêmes droits que le reste de l’humanité ».

Inspiré par le mouvement anti-apartheid sud-africain, le mouvement américain pour les droits civiques et la lutte anticoloniale indienne, BDS vise à rendre les boycotts efficaces en se concentrant sur des entreprises et des produits sélectionnés qui jouent clairement un rôle dans la politique israélienne contre le peuple de la Palestine.

Leur campagne se décline en quatre catégories :

Boycotts des consommateurs : Boycotts de marques qui ont des antécédents avérés de complicité dans les abus contre le peuple palestinien.

Désinvestissements : Pression sur les gouvernements et les institutions pour qu’ils cessent de faire des affaires avec les entreprises qui admettent l’occupation israélienne des terres palestiniennes.

Pression : Appel aux personnes et aux institutions à faire pression sur les marques et les services pour qu’ils mettent fin à leur complicité dans les abus contre le peuple palestinien.

Boycotts de terrain : Boycotts populaires de marques qui soutiennent ouvertement la violence israélienne contre le peuple palestinien.

Omar Bargouhti, l’un des cofondateurs du BDS, a déclaré qu’Israël consacre depuis de nombreuses années un ministère à part entière à la lutte contre le mouvement BDS.

Barghouti a déclaré à Al Jazeera que le mouvement BDS appelle à mettre fin à l’occupation militaire israélienne qui a commencé en 1967, à démanteler son « système d’Apartheid tel que documenté par Amnesty International et un consensus mondial d’organisations de défense des droits humains», et à respecter le droit des réfugiés palestiniens à retourner sur leurs terres d’où ils et elles ont été déplacé.e.s de force en 1948.

« Ancré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, le mouvement BDS s’oppose catégoriquement à toutes les formes de racisme, y compris l’islamophobie et l’antisémitisme. BDS cible la complicité, pas l’identité », a précisé Barghouti.

Le boycott actuel à travers le monde contre McDonald’s, Burger King, Pizza Hut, Papa John’s et d’autres entreprises, émane à vrai dire de campagnes spontanées de terrain, non-initiées par le mouvement BDS, a-t-il ajouté.

L’une des principales raisons de cette vague de boycott est que les succursales ou franchises de ces sociétés en Israël ont ouvertement soutenu l’armée israélienne pendant son offensive et fourni de généreux dons en nature, a-t-il expliqué.

Impact sur les franchises locales

De nombreuses marques occidentales, en particulier celles perçues comme pro-israéliennes, ont ressenti l’impact des boycotts. Les propriétaires de franchises locales – notamment ceux de McDonald’s en Égypteà Omanau Pakistan et aux Émirats arabes unis – ont publié des déclarations prenant leurs distances par rapport aux mesures prises par leurs homologues israéliens.

Par ailleurs, de nombreuses franchises appartiennent à des propriétaires locaux qui craignent les dommages économiques et le chômage que pourraient entraîner les boycotts.

Barghouti estime qu’il y a un intérêt accru pour le mouvement BDS : « De voir de nombreux militant.e.s du boycott spontané du départ se tourner maintenant vers le mouvement BDS pour apprendre à mieux construire des campagnes stratégiques et durables nous donne l’espoir qu’en effet, au-delà de l’arrêt de la guerre génocidaire actuelle d’Israël à Gaza – soutenue par les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et d’autres – nous pourrons canaliser toute cette indignation sans précédent dans des campagnes stratégiques qui peuvent vraiment réduire la complicité actuelle dans les crimes israéliens. »

Entreprises liées aux colonies israéliennes illégales

En plus de la liste des cibles du BDS, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a publié en 2020 une liste de 112 entités commerciales ayant des liens avec les colonies israéliennes, considérées comme illégales au regard du droit international. L’article 49 de la Quatrième Convention de Genève stipule en effet : « La Puissance occupante ne déportera ni ne transférera une partie de sa propre population civile dans le territoire qu’elle occupe. » Il interdit également les « transferts forcés individuels ou massifs, ainsi que les déportations de personnes protégées hors des territoires occupés ».

Selon Amnesty International, la complicité de crimes de guerre est un délit pour lequel les individus, y compris les PDG et managers d’entreprises, peuvent être tenus pénalement responsables.

Quatre-vingt-quatorze des entreprises citées sont basées en Israël. Les 18 autres se trouvent dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en France, au Luxembourg et en Thaïlande.

Le professeur Joseph Sonnenfeld de l’Université de Yale suit à la trace les grandes entreprises du monde entier qui ont exprimé leur soutien et leur solidarité avec Israël.

De nombreuses entreprises ont fait des dons à des groupes d’aide internationale qui servent également l’enclave assiégée de Gaza, de nombreuses entreprises expriment uniquement leur soutien, certaines ont exprimé leur soutien et leur aide à Israël et/ou à Gaza.

À partir de cette liste, Al Jazeera a classé les 212 entreprises selon les critères suivants :

  • Ont dénoncé les attentats du Hamas du 7 octobre (184 entreprises),
  • Ont déclaré qu’ils « étaient aux côtés d’Israël » (62 entreprises),
  • Ont promis de l’argent à Israël ou à des groupes israéliens (35 entreprises),
  • Ont promis de l’argent pour aider des groupes spécifiquement pour la Palestine (3 entreprises),
  • Ont promis de l’argent à des groupes d’aide internationaux (26 entreprises).

Sur les 212 entreprises figurant sur la liste de Sonnenfeld, au moins 30 ont fait des promesses financières à Israël et à ses groupes affiliés. Certaines des promesses les plus importantes incluent : Michael Bloomberg (25 millions de dollars), Jefferies (13 millions de dollars), Blackstone (7 millions de dollars), Salesforce (2,4 millions de dollars), Boeing (2 millions de dollars), Disney (2 millions de dollars), Johnson & Johnson (2 millions de dollars). Plusieurs entreprises se sont en outre engagées à doubler les dons faits par leurs employés.

Au moins 16 entreprises ont promis de l’argent à des groupes humanitaires internationaux. Parmi eux figuraient UBS (10 millions de dollars), Chanel (4 millions de dollars), Salesforce (2,3 millions de dollars), Verizon (2 millions de dollars) et un montant non divulgué de Capri Holdings, propriétaire de Jimmy Choo, Versace et Michael Kors.

Au moins trois entreprises ont spécifiquement promis de l’argent à des groupes d’aide palestiniens, parmi lesquels Accenture (1,5 million de dollars) pour le Croissant-Rouge palestinien.

« Faire plus attention au BDS »


 A’siah Abdalah [Delaney Nolan/Al Jazeera]

Pour A’siah Abdalah, 21 ans, le boycott fait partie intégrante de son quotidien, et ce, bien avant le 7 octobre.

Née et élevée au Nicaragua, Abdalah s’était déjà mobilisée contre la censure de la presse et le féminicide lorsqu’elle était lycéenne, des efforts qui faisaient parfois craindre à ses parents pour sa sécurité.

L’arrière-grand-père d’Abdalah était palestinien, mais elle ne l’a jamais rencontré. Son intérêt pour son héritage s’est accru lorsqu’à l’âge de 14 ans, certains garçons essayaient de s’en prendre à elle à l’école en lui clamant « tu n’as pas de pays ». Pour leur montrer leur erreur, elle a commencé à en apprendre davantage sur l’histoire de la Palestine.

Abdalah nous informe que lorsqu’elle dit aux gens qu’elle est une Palestinienne chrétienne, ils se montrent souvent surpris — ce qui ouvre la porte à des conversations plus larges que celles que l’on peut avoir avec ceux et celles qui supposent que tous les Palestiniens sont musulmans.

Le meurtre de Palestiniens chrétiens à Gaza, a-t-elle dit, est « un génocide dans un génocide… Il reste entre 800 et 1 000 Palestiniens chrétiens. Des lignées qui remontent littéralement aux premiers croyants – complètement effacées. Des lignées, des familles entières disparues », a-t-elle déclaré à Al Jazeera.

C’est pourquoi elle tient à dire qu’elle est chrétienne. « Mon identité palestinienne n’existe pas séparément de mon identité chrétienne. … Il est important que les gens voient et comprennent, surtout dans un pays qui confond profondément christianisme et sionisme.»

Abdalah est actuellement étudiante à l’Université de la Nouvelle-Orléans, dans l’État américain de Louisiane, et espère faire des études de droit.

« J’ai toujours boycotté certaines marques, je le sais parce que je garde une trace de la liste », dit-elle, insistant sur l’importance de consulter le site officiel de BDS pour écarter la fréquente désinformation sur les boycotts.

Cependant, Abdalah se trouve confronté à un obstacle unique en Louisiane. En 2018, le gouverneur Bel Edwards a signé une loi anti-BDS interdisant à l’État de conclure des contrats avec toute entreprise qui soutiendrait la campagne BDS.

Abdalah espère néanmoins que le gouvernement étudiant de son université publiera une déclaration symbolique en faveur de la Palestine. Pour l’instant, elle se concentre sur le boycott de McDonald’s, Starbucks et Disney.

« Je n’avais même pas compris que j’étais sioniste »

 Koda Sokol [Delaney Nolan/Al JAzeera]

Koda Sokol, organisateur pour Jewish Voices for Peace, est un descendant de survivants de l’Holocauste. Ses grands-parents se sont réfugiés en Israël pour fuir le génocide, « et donc l’attachement à Israël comme solution nécessaire à la sécurité des Juifs est très fort dans ma famille ». Ses parents l’ont même exhorté à s’enrôler dans l’armée israélienne lorsqu’il était plus jeune. « J’ai été élevé dans un sionisme obligatoire », a-t-il expliqué. « Et il m’a fallu beaucoup de temps pour en prendre conscience. »

Après le lycée, il a déménagé en Israël et a vécu dans un kibboutz, une communauté juive collective. Mais au bout de quelques mois, le kibboutz a été bombardé. Soudain, il a été contraint de fuir Israël.

Il considère qu’il s’agit d’un carrefour sur la route – un événement qui aurait pu le pousser dans une direction radicalement différente, plus conservatrice. Au lieu de cela, a-t-il déclaré : « J’avais la chance d’être impliqué dans d’autres espaces d’organisation qui m’ont exposé à l’organisation antisioniste. »

Sokol, qui est queer et trans, compare cette expérience à celle d’« être dans le placard ». Avant ma transition (de genre), « je n’avais même pas réalisé que j’étais ‘dans le placard’ parce que je n’avais pas encore connu la possibilité d’être autrement —  et je pense que j’ai ressenti la même chose avec le sionisme, où je ne comprenais même pas que j’étais un Sioniste. J’ignorais qu’il existait une alternative. »

Sokol est aujourd’hui doctorant à l’Université de Californie à Santa Cruz, où sa thèse aborde les liens entre « l’ être trans » et l’antisionisme en tant qu’identités politiques. De nombreuses sections du JVP aux États-Unis, a-t-il souligné, sont dirigées par des personnes trans, « et je pense que ce n’est pas une coïncidence ».

« La machine de propagande sioniste est extrêmement puissante et efficace pour convaincre les gens qu’il n’y a pas de quoi se mobiliser », mais les réseaux sociaux ont exposé les gens à de nouvelles informations, a déclaré Sokol, y compris des informations sur le rôle des États-Unis. « Je pense que nous voyons beaucoup de gens comprendre, depuis peu et pour la première fois, qu’il s’agit d’une situation coloniale, d’apartheid et de génocide, même si ce n’est pas d’aujourd’hui. Et je pense que cela a beaucoup à voir avec les réseaux sociaux. »

Les actions telles que les boycotts sont importantes car elles permettent aux gens d’exercer un certain degré de pouvoir, a déclaré Sokol. «Je pense que la situation est particulièrement accablante, et que de se sentir autant dépassé peut être vraiment démobilisateur… Si les gens ne peuvent rien faire de tels sentiments, cela peut les rendre conservateurs.» C’est une des raisons pourquoi les boycotts sont « un élément vraiment essentiel du mouvement », dit-il.

Source : AL-Jazeera

Traduction : BM pour l’Agence Média Palestine

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