Par Wajjeh Abu Zarifa, le 28 Novembre 2017
La réunion de réconciliation nationale qui a réuni toutes les factions politiques palestiniennes au Caire les 21 et 22 Novembre 2017, s’est achevée sur une déclaration qui se réfère aux précédents accords de réconciliation et demande l’activation de plusieurs comités, dont la capacité à produire des résultats significatifs reste à déterminer. C’est vrai, l’Autorité Palestinienne (AP) a repris ses fonctions dans les ministères de Gaza, conformément à l’accord d’Octobre signé par le Fatah et le Hamas au Caire, sous l’œil attentif du président égyptien Abdel Fattah el-Sisi, et le Hamas a fait preuve de bonne volonté.
Cependant, plus que tout autre chose, la réunion du Caire fut le signe de la faiblesse du mouvement palestinien et de son incapacité à gérer les pressions, qu’elles soient internes ou internationales. Excluant jusqu’à présent l’ouverture limitée du passage de Rafah par l’Égypte, il n’y a pas eu d’améliorations notables dans les vies des Palestiniens de la Bande de Gaza en terme d’accès aux services de base comme l’électricité, l’eau propre et l’assainissement, des soins médicaux ou la reconstruction. Pour comprendre pourquoi il est si difficile de parvenir à l’unité nationale, il faut se pencher sur les complexités des problèmes que le Fatah et le Hamas doivent résoudre, ainsi que les objectifs propres à Israël.
Que veut Israël ?
Israël pense que la tentative actuelle de réconciliation est vouée à l’échec comme les 11 précédentes (dont il a souvent contribué à assurer l’échec). Cependant, si jamais cette tentative devait réussir, Israël attend de voir comment le processus va être réalisé sur le terrain, et comment il peut le manipuler pour servir ses intérêts sécuritaires. Israël veut voir l’AP avoir les pleins pouvoirs sur la Bande de Gaza et mettre en place la même politique qu’en Cisjordanie, particulièrement en ce qui concerne la coordination de sécurité et la prévention des attaques.
Dans un tel scenario, Israël reprendrait véritablement le contrôle total, sur le plan de la sécurité, de Gaza et éviterait d’avoir à faire des concessions (même de courte durée) en échange d’une trêve avec le Hamas, le Jihad Islamique, et leur alliés. Le contrôle des passages de frontières par les forces de sécurité de l’AP garantirait la stabilité dans les colonies israéliennes voisines, empêcherait le trafic d’armes vers Gaza, et pourrait mener à ce que les Palestiniens fassent en sorte de désarmer les groupes de résistance.
Israël sait aussi que le président de l’AP, Mahmoud Abbas, n’autorisera pas la détention de prisonniers israéliens dans des territoires sous son contrôle. Ceci pourrait faciliter une avancée dans l’échange de prisonniers entre le Hamas et Israël, négocié sous l’égide de l’Égypte, ce qui serait une victoire pour le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Son gouvernement est accusé d’être indifférent au sort des citoyens israéliens retenus par le Hamas ainsi qu’à retrouver les corps des deux soldats israéliens tués pendant l’attaque israélienne de 2014 sur Gaza.
La position d’Israël dans l’échange de prisonniers a récemment été renforcée par le fait qu’il détient maintenant les corps de cinq des douze Palestiniens qu’il a tués lors du bombardement, fin octobre, d’un tunnel à l’Est de Khan Younis sous la large “zone tampon” qu’il a créée le long de sa frontière avec Gaza. Cette attaque avait aussi pour but d’envoyer un message israélien aux Palestiniens, celui que tout accord de réconciliation devrait s’attaquer au problème des tunnels.
Si l’AP échouait à désarmer le Hamas, Israël pourrait geler ses relations avec elle n’importe quand et prétexter l’absence de partenaire palestinien pour la paix. Israël pourrait même prétendre que l’AP est complice du Hamas. En bref, toute réconciliation ne suivant pas les conditions d’Israël seront confrontées à de graves difficultés et il est fort probable qu’elles devront reprendre à la case départ.
Les délicats problèmes du programme de réconciliation
Indépendamment des obstacles qu’Israël pourrait créer, les problèmes que doivent régler le Fatah et le Hamas pour parvenir à la réconciliation, n’ont fait que se complexifier. Ils tournent autour de quatre axes principaux.
Le premier est la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Il est peu probable que le Hamas se soumette aux conditions du Quartet (États-Unis, Russie, Union Européenne et Nations Unies) de reconnaître Israël, de s’engager à la non-violence et de reconnaître les précédents accords de paix. Certains Palestiniens craignent que si le Hamas continue de refuser les conditions du Quartet, tous les Palestiniens, pas seulement ceux de Gaza, subiront de nouvelles sanctions et un siège.
Même en imaginant le meilleur scenario dans lequel la communauté internationale et Israël seraient d’accord pour fermer les yeux sur la participation du Hamas au gouvernement d’unité, surtout si un tel gouvernement comprenait des personnalités proches mais pas membres du Hamas, il y a un risque que se mette en place un double système Fatah-Hamas pour gouverner les institutions, ce qui exclurait les expert.e.s indépendant.e.s palestinien.ne.s ainsi que les autres factions. Dans une récente note stratégique, Khalil Shaheen avertit des pièges de ce genre de régime et du risque de raviver la discorde lors d’opérations du gouvernement.
Il faut aussi pointer un autre nœud introduit dans la déclaration tout juste conclue lors de la réunion du Caire, qui stipulait que tout sera fait dans le plein respect du droit. Cependant, de nombreuses lois passées par le Hamas et les systèmes qu’il a mis en place pendant les 10 années de division violent le droit. Ceci sera une équation difficile à résoudre.
La tenue d’élections est le deuxième obstacle majeur à la réconciliation, bien qu’il soit en tête des priorités de l’accord. Le Hamas n’a pas encore oublié son expérience de victoire des élections législatives de 2006 sans avoir le droit d’exercer ses pouvoirs. En effet, plusieurs parlementaires incarcérés immédiatement après les élections sont encore captifs dans les prisons d’Israël. Il est probable que dans le cas où le Hamas participerait à des élections, il demandera des garanties sur la reconnaissance des résultats par l’AP et la communauté internationale, quels que soient les vainqueurs. Il est difficile de croire en de telles garanties étant donné que l’AP, contrôlée par le Fatah, miserait sur la défaite électorale du Hamas.
La réforme de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) est la troisième pierre d’achoppement. Le Document de Principes Politiques Généraux annoncé par l’ancien chef du Bureau politique du Hamas, Khaled Meshal, à Doha en Mai dernier présente une position positive envers l’OLP. Cependant, le Hamas tient à garder sa position de rejet d’Oslo, son droit à résister à l’occupation par tous les moyens, et son refus de coordination de sécurité avec Israël. Le Hamas pense également qu’à l’intérieur de l’OLP, le Fatah a monopolisé les prises de décisions palestiniennes depuis la création de l’organisation.
Quoi qu’il en soit, on n’atteindra pas une réelle réforme de l’OLP en incluant le Hamas et le Jihad Islamique, mais en réformant la structure de l’organisation et en assurant une pleine participation de tout.e.s les Palestinien.ne.s, en Palestine et à l’étranger, dans le processus de prise de décision. De véritables réformes exigent un programme de participation politique pour empêcher le monopole sur des décisions critiques et une direction équilibrée afin de remplacer l’ancienne direction qui gêne les réformes.
Le dernier obstacle, et non le moindre, est la question de la résistance armée. L’AP refuse l’existence de toute arme à feu qui ne serait pas sous son contrôle et rejette le modèle consistant à avoir un mouvement de résistance à l’intérieur d’un état, comme c’est le cas du Hezbollah au Liban. A l’inverse, le Hamas considère les armes à feu comme un instrument de libération et refuse le désarmement avant de parvenir à la libération et d’avoir établi un état palestinien. Ce problème sera un obstacle à la réconciliation si aucun accord n’est trouvé.
Comment protéger le projet national
La cause palestinienne se trouve à un tournant critique à cause des développement régionaux et internationaux. Les principaux désaccords entre les différentes parties concernent bien plus le programme politique que le partage du pouvoir et le gouvernement, même si aucun de leurs programmes n’a permis d’obtenir les droits palestiniens. Il est vital d’atteindre un consensus sur un programme politique commun sur lequel baser un accord national pleinement inclusif. Ci-après quelques propositions :
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Redessiner les relations entre les composantes du système politique palestinien afin de marquer clairement la limite du contrôle politique et des fonctions de l’OLP et de ceux de l’AP. Dans ce processus, revoir la représentation des factions et organisations palestiniennes dans le système afin d’assurer une vraie représentation et une plus grande participation dans l’élaboration des politiques.
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Introduire les mécanismes pour une participation politique à travers des élections. Des élections régulières, libres et équitables assureraient la responsabilité et empêcheraient le monopole du pouvoir et l’exclusion qui persiste depuis des décennies.
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Stimuler la participation de la communauté aux prises de décisions nationales palestiniennes en sollicitant les avis et les expériences de groupes de réflexions, des institutions de la société civile, des gouvernements locaux, des syndicats, des associations locales, et mettre en place des organisations qui s’assurent de la bonne gouvernance et des performances du gouvernement.
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Communiquer avec les Palestinien.ne.s de la diaspora, à l’intérieur des camps de réfugiés, et au-delà, afin de s’assurer que leur représentation soit proportionnelle à leur poids politique et économique, afin de renforcer les liens, et afin de les impliquer dans les programmes nationaux.
Le régime d’occupation d’Israël bénéficie de et exploite les divisions palestiniennes pour opprimer encore plus le peuple palestinien et éviter ainsi tout engagement vers la paix. Pour affronter l’occupation et restaurer le pouvoir palestinien dans la lutte pour le droit à l’autodétermination, la liberté et l’indépendance, et à un état souverain et indépendant ayant Jérusalem pour capitale, les Palestinien.ne.s ne doivent pas seulement mettre fin aux divisions mais aussi protéger le projet national palestinien. Il existe de sérieuses tentatives israéliennes et américaines, aux côtés de certains pays arabes, d’imposer des solutions régionales ou une “paix économique.”
Les travaux actuels pour unifier les institutions gouvernementales et le système politique palestiniens sont d’importantes premières étapes pour mettre fin aux divisions. Les deux parties doivent être comprendre que la division ne peut continuer, que la cause nationale fait face à de réels dangers, et que le peuple palestinien refuse la domination et l’oppression. Elles doivent continuer de résoudre les problèmes restants, aussi difficiles qu’ils soient.
Membre d’Al-Shabaka, Wajjeh Abu Zarifa est un journaliste, chercheur et professeur de science politique à Gaza, et membre de l’Université de Chicago. Il possède un PhD de l’Institut arabe de recherches et d’études de science politique basé au Caire et un master d’études israéliennes de l’Université de Jérusalem. Abu Zarifa a participé à nombre de conférences et séminaires internationaux et publié des articles et recherches scientifiques aussi bien que des articles politiques et des éditoriaux. Il travaille dans les médias depuis 30 ans avec des organes de presse locaux ou internationaux, dont récemment NBC News. Abu Zarifa a occupé de nombreux postes à responsabilités, dont celui de directeur du bureau national de l’OLP pour la défense de la terre et la résistance à la colonisation, et membre du Secrétariat du Syndicat des Journalistes Palestinien.ne.s.
Source : Al Shabaka
Traduction LGr pour l’Agence Média Palestine