Photographier la vie, l’amour et les rires en Palestine

Jen Tse – Time – 12 octobre 2015   « Plaisirs occupés », de Tanya Habjouqa, présente une portrait nuancé, multidimensionnel, de la capacité humaine à trouver du plaisir face à des circonstances difficiles.

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Tanya Habjouqa—Panos

Une femme à Gaza, sans permis pour voyager, passe par un passage souterrain pour se rendre à une fête en Égypte, emportant un bouquet de fleurs.

C’est comme dans un film de Bollywood, dit l’homme. Lui, un jeune marié palestinien, fait passer clandestinement sa future épouse de Jordanie dans la bande de Gaza. Toute la noce est avec eux, sous terre, dans les tunnels. Et elle, elle se tient là, tremblante, dans sa robe blanche et sous un éclairage incertain, de la poussière tombant sur ses cheveux, alors qu’il court vers elle et l’embrasse.

La photographe, jordanienne et texane, Tanya Habjouqa, écoutait ces exaltations romantiques affectées, quand soudain son narrateur s’est interrompu. « Vous savez », a dit l’homme, « peu importe ce que cette occupation peut faire de nous, nous trouverons toujours un moyen pour vivre, aimer, et même rire. Nous trouverons toujours un moyen pour garder notre dignité et faire plus que survivre ».

Quelque chose à cet instant, se rappelle Habjouqa, l’a frappée profondément et est resté en elle, encore un an après. C’était en 2011, et elle attendait son enfant palestinien. Elle avait travaillé comme photojournaliste au Moyen-Orient, plongeant et replongeant sans arrêt dans le conflit israélo-palestinien, avant de revenir officiellement à Jérusalem-Est et d’épouser un Palestinien.

Alors qu’elle se débattait avec sa propre réalité vécue, ruminant toujours les mêmes mots, elle ne put s’empêcher de voir son nouveau foyer différemment. « C’est au cours d’une multitude de ces moments à attendre aux check-points, des moments du genre sombre, d’opéra, kafkaïen, que j’ai vu vraiment des scènes drôles autour de moi, comment les gens se sortent du stress » dit-elle au Time.

Et puis, à un moment eurêka, Habjouqa a son titre – « Plaisirs occupés » –, un titre qui chevauche les sentiments de passivité et d’action : être occupé sous Israël et s’occuper, avec joie et avec défi, en passe-temps et simples plaisirs. À partir de là, dit-elle, le reste du projet photos s’est mis en place.

Aujourd’hui, « Plaisirs occupés » a fait ses début sous la forme d’un livre, une poésie tourbillonnante, des proverbes, des essais, et de nouvelles images dans les séries photos lauréates du World Press Photo de 2014. Avec le soutien du Fonds d’urgence de la Fondation Magnum, de FotoEvicence, et de la campagne Kickstarter, Habjouqa présente un portrait nuancé, multidimensionnel de la capacité humaine à trouver des plaisirs – ce qui est en soi une forme de résistance – face à des circonstances difficiles, plutôt qu’en leur absence.

Le travail dans le livre se focalise sur des photos, prises en 2009 et 2015, de la vie quotidienne en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est. Des photos saupoudrées de petites joies et chagrins : « Demain, il y aura des abricots », promet un proverbe arabe (mais en voulant dire, « jamais » ou, « dans tes rêves ») ; « Je vous écris depuis un pays lointain, un endroit où les lettres n’arrivent jamais, un endroit où les facteurs sont morts », dit un autre texte, du poète Sousan Hammad.

En ajoutant les mots au rythme et à l’humeur, les images de Habjouqa se mettent à exécuter des danses complexes, subtiles. Chaque scène se déroule dans le contexte de l’occupation israélienne, et vibre ainsi de ses implications amères. Mais c’est seulement avec cette toile de fond que la curieuse lumière de ces instants est visible. Ce sont des photos de petites libertés, majestueuses dans leur humour, fortuites dans leur rébellion et significatives dans leur globalité.

Des femmes, intimidées par les tentatives des colons pour les empêcher de se regrouper, se replient dans des poses de yoga, devant des oliviers desséchés, à la périphérie de Bethléhem, doublant leur pratique de « résistance intérieure ». Une étudiante universitaire en Cisjordanie lance un javelot dans le ciel lors du dernier exercice en équipe de l’été, sa pointe pénétrant dans la paroi dure du mur de séparation derrière elle. Un petit enfant, conçu avec du sperme sorti clandestinement d’une prison israélienne, apparaît comme un petit trésor tranquille dans une photo de Habjouqa, mais rien ne permet d’entendre le moment extatique où il entre dans le monde, hurlant le mépris de son existence même.

Habjouqa espère que les Palestiniens fatigués de voir leurs tropes habituels du conflit se reconnaîtront dans son travail, et surtout que le livre aura une résonance entre les points de vue occidentaux, locaux et régionaux. « J’espère que les gens qui croient s’être fait déjà une opinion très politisée seront interpellés et envisageront autre chose… », ajoute-t-elle. « …ou même les gens qui ne s’y intéressent pas du tout, et ne sont pas du poulailler d’Israël et de Palestine. J’espère simplement que ce livre pourra ouvrir la voie vers la curiosité, pour envisager d’en débattre. »

« Plaisirs occupés » est disponible en pré-commandes via FotoEvidence.

Tanya Habjouqa est photographe chez Panos, elle est basée à Jérusalem-Est.

Jen Tse est une éditrice en photographie et coopère avec le Time LightBox. La suivre sur Twitter @jentse et Instagram.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Times.com

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