Dans les prochaines heures, ma vie est en danger concret. Je ne veux pas mourir, mais je n’abandonnerai pas.

Par Nir Gontarz, le 4 Novembre 2020

Une interview de Maher Akhras, un Palestinien qu’Israël emprisonne sans procès et qui fait une grève de la faim depuis 100 jours. Je ne choisis pas la mort. Mais je reste ferme jusqu’à ce que nous soyons tous libres, en tant qu’êtres humains ».

Source: Haaretz

L’interview, que cette chronique mène habituellement par téléphone, a été réalisée en face à face dans la chambre de la personne interrogée au centre médical Kaplan, à Rehovot, en raison de son état de santé.

Bonjour Maher Akhras, vous êtes le détenu administratif qui a entamé une grève de la faim depuis 100 jours. Je m’appelle Nir Gontarz et je suis journaliste au Haaretz. Parlez-vous hébreu ?

Un peu.

Je suis accompagné de Rajaa Natour, la rédactrice en chef du journal Haaretz’s, bilingue hébreu-arabe. Elle m’aidera à traduire. Comment allez-vous ?

Loué soit le Seigneur.

Quel âge avez-vous ?

Quarante-neuf ans.

Votre femme est ici à vos côtés. Combien d’enfants avez-vous ?

Six enfants. Trois filles et trois garçons.

D’où venez-vous ?

D’un village près de Jénine.

Il est évident que votre condition physique n’est pas bonne. Comment est votre état mental ?

Loué soit le Seigneur. En attendant, il est stable.

Pourquoi êtes-vous ici à l’hôpital Kaplan ?

C’est la décision de la cour, puis du commandant militaire.

Vous étiez là pour l’audience ?

Je n’étais à aucune des audiences. Elles ont toutes été faites par vidéo.

Même pas la première, lorsqu’ils ont voulu vous garder en détention pendant 96 heures pour un interrogatoire ?

Il y a eu une audience vidéo au tribunal militaire.

Avez-vous vu les yeux du juge ?

L’image vidéo n’était pas claire. Je n’ai pas pu.

Avez-vous été interrogé par le service de sécurité du Shin Bet après votre arrestation ?

Ils ont refusé de m’interroger. Une juge a dit, lors de l’audience de mise en détention provisoire, que les documents classifiés dont elle disposait n’étaient pas suffisants pour justifier une prolongation de ma détention. Elle m’a libéré. Le Shin Bet et le procureur de l’État ont demandé plus de temps pour m’interroger. Finalement, elle leur a donné six jours pour terminer l’interrogatoire. Mais ils ont refusé de m’interroger ces jours-là. Ils ne m’ont rien demandé. J’ai supplié d’être interrogé. Au bout de six jours, j’ai refusé d’entrer au tribunal, parce que je n’avais pas été interrogé. Ils m’ont placé en face d’un interrogateur de la police nommé Afif. Il m’a interrogé pendant dix minutes. Il m’a dit que l’on soupçonnait que j’étais lié à une organisation avec d’autres personnes. La juge a décidé de me libérer, parce qu’il n’y avait pas de raison pour que je sois arrêté. Mais elle a retardé la mise en œuvre parce qu’ils ont dit qu’ils envisageaient de me placer en détention administrative [incarcération sans procès]. Ensuite, le commandant militaire a signé un ordre de détention administrative de quatre mois à mon encontre.

Reprenons depuis le début. Un jour, le Shin Bet est arrivé et vous a enlevé à votre famille ? Que vous ont-ils dit ?

L’armée est venue et m’a emmené sur une base militaire près de Jénine.

Et ensuite ?

Ils m’ont donné un téléphone. En ligne, il y avait le commandant du Shin Bet dans le district de Jénine. Le capitaine « Rabia ». Je le connais personnellement.

Et puis ?

Il m’a menacé, il a ri hystériquement et m’a ridiculisé. Il m’a dit qu’il m’humilierait et me laisserait en prison. Il a dit qu’il détruirait ma famille et ma ferme.

Que faites-vous pousser dans votre ferme ?

J’ai une très grande ferme de vaches laitières.

Revenons à la conversation avec le capitaine Rabia.

Il m’a dit que même si j’étais libéré, je le regretterais.

Je ne comprends pas.

Il voulait dire qu’il allait me détruire et qu’il serait préférable que je sois en détention.

Que s’est-il passé après cela ?

On m’a emmené à Hawara [un grand poste de contrôle juste au sud de Naplouse].

Et ensuite ?

Ensuite, ils m’ont emmené au camp d’Ofer [une prison près de Ramallah].

Quand avez-vous commencé votre grève de la faim ?

Immédiatement après la conversation avec le capitaine Rabia.

Ont-ils essayé de vous nourrir de force ?

Ici, à Kaplan. Le directeur d’un des services a essayé de me faire manger le 42e jour.

Avec un tube ou une cuillère ?

Dans la veine. Ils ont essayé de m’attacher au lit. Mais j’étais fort et je ne les ai pas laissés faire. Cela m’a beaucoup fatigué. Jusque-là, je pouvais sortir du lit pour aller aux toilettes. Depuis lors et jusqu’à présent, je ne peux plus me tenir debout.

Selon les rapports, il y a quelque temps, le Shin Bet vous a proposé un accord selon lequel, si vous arrêtiez la grève de la faim, ils vous laisseraient sortir dans les deux mois. Comprenez-vous la logique ? Comment se peut-il qu’à l’heure actuelle, vous soyez si dangereux et que vous ayez besoin d’être en détention, et que juste comme ça, dans quelques semaines, vous ne soyez plus dangereux ?

Ils m’ont proposé de me libérer le 29 novembre.

Quelle est la logique ?

Ils veulent briser ma grève de la faim uniquement pour pouvoir me remettre en prison lorsque ma santé se sera améliorée. C’est ce que je crains.

Je ne me sens pas en danger à côté de vous, et ce n’est pas parce que vous êtes si faible. Mais je ne sais rien. Dites-moi, représentez-vous un danger pour quelqu’un en Israël ?

Non, je ne suis un danger pour personne. Ni pour les citoyens israéliens, ni pour aucun autre citoyen du monde. Je veux que nous vivions en paix, les Juifs et les Arabes. J’aspire à cela. Je ne veux pas que nous levions les armes et que nous nous battions les uns contre les autres.

Je comprends.

Mon état de santé actuel nécessite deux mois de rééducation, juste pour me remettre sur pied. Si rien ne m’arrive d’ici là.

Je comprends.

Je méprise le Shin Bet et les juges. Comment peuvent-ils dire des choses sur moi ? C’est inconcevable. Ma détention administrative est une honte pour le système judiciaire israélien.

Je pense aussi que maintenir une personne en détention sans procès et sans possibilité de se défendre est une honte pour l’État d’Israël. Combien de temps allez-vous poursuivre la grève de la faim ?

Jusqu’à ce qu’on me rende ma liberté et que je puisse rentrer chez moi avec mes enfants. L’intention de l’État est de m’exécuter et de me liquider. La décision n’est pas entre mes mains, elle dépend du système juridique israélien.

Il est possible que dans les jours à venir, votre conscience s’embrouille ou disparaisse. Avez-vous autorisé les médecins à vous donner des substances nutritives à ce stade ?

Je ne l’autorise pas.

Avez-vous peur qu’ils retirent votre femme de la pièce et vous gavent ?

Je suis certain qu’ils le feront.

Je suis désolé de vous dire cela, mais vous et votre état de santé n’intéressent pas la plupart des citoyens d’Israël. Pour eux, vous n’êtes qu’un autre Arabe palestinien dans le meilleur des cas et un terroriste dans le pire des cas. Pourtant, il y en a quelques-uns qui se soucient de vous et de votre condition. Cette minorité peut-elle faire quelque chose pour vous ?

Les médecins, les juristes et les militants des droits humains doivent s’opposer au système juridique et agir en tant que groupe de pression auprès des Nations unies et de toutes sortes d’autres organisations internationales qui soutiennent les droits humains. Dans les heures et les jours à venir, ma vie est concrètement en danger. C’est un moment critique. Je ne veux pas mourir. J’aime la vie. Je ne choisis pas la mort. Je veux vivre et retourner dans ma famille. Mais je reste ferme jusqu’à ce que nous tous, en tant qu’êtres humains, soyons libres, vivions dans la liberté et mettions fin aux guerres entre les nations et entre les États, quelle que soit la religion. C’est ma foi et c’est ainsi que j’éduque mes enfants, mes parents et mes voisins. J’espère que tous les êtres humains seront capables de réaliser leur liberté.

Je vous remercie. J’espère que vous irez mieux et que vous quitterez bientôt cet endroit pour retourner dans votre famille.

Je vous remercie beaucoup.

Un porte-parole de l’hôpital Kaplan a déclaré « L’hôpital n’a fourni aucun traitement contre la volonté du patient et ne l’a pas entravé physiquement. »

Source: Haaretz

Traduction GD pour L’Agence Media Palestine

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