Tenez vous prêts à combattre le Président Joe Biden au sujet d’Israël-Palestine

Par Sumaya Awad et Hadas Thier

Une présidence Joe Biden va tenter de revenir au statu quo des Faucons Démocrates au sujet d’Israël. Les militants de gauche et les représentants élus doivent se préparer à l’arrêter.

Tandis que le monde pousse un soupir de soulagement collectif devant la défaite de Donald Trump et rit de ses tentatives pour rester au pouvoir, nous devons nous préparer au « retour à la normalité » qu’on nous a promis. Joe Biden, faucon doté d’une longue histoire de « grand ami » d’Israël tout au long de sa carrière politique, occupera la Maison Blanche dès janvier.

Le sioniste de droite Zev Chafets a récemment réfléchi à sa rencontre en Israël il y a quelques décennies avec le sénateur Biden, les yeux pleins d’étoiles, qui s’était enflammé en parlant de son amour pour Israël. Maintenant, Chafets rapporte :

[Biden] a gardé de l’affection pour Israël, mais ce n’est plus un néophyte. Comparé à George W. Bush, Barack Obama ou Donald Trump, c’est un vieux connaisseur du Moyen Orient, un Démocrate mais pas un idéaliste. Tandis qu’on parle beaucoup de la proximité entre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et Donald Trump, Biden se différenciera vraisemblablement plus dans le ton que dans le contenu.

Chafets rassure les lecteurs sur le fait qu’un Président Biden ne fera vraisemblablement pas plus « que de restaurer l’aide à Ramallah, rouvrir le bureau de [l’Organisation de Libération de la Palestine] à Washington et peut-être renouveler le consulat américain à Jérusalem Est. Sans réelle pression cependant (d’un genre que même Obama n’a pas exercé), Israël ne fera pas de concessions qui aillent beaucoup plus loin que le Plan Trump ».

Durant son mandat à Washington, Trump a pris des mesures sans précédent pour soutenir les éléments les plus droitiers d’Israël. Il a déménagé l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem, a interrompu toute aide américaine aux Palestiniens, a fermé la mission diplomatique des Palestiniens à Washington, s’est retiré de l’accord nucléaire avec l’Iran, et (sous prétexte de combattre l’antisémitisme) a signé un ordre exécutif qui a donné pouvoir au gouvernement fédéral de retenir l’argent des institutions d’éducation qui ne sévissent pas contre le militantisme palestinien.

Cependant, le lobby pro-israélien a largement soutenu Biden – et pour une bonne raison. Comme l’a expliqué Ross Barkan : « Si Biden s’est orienté à gauche sur certaines politiques intérieures, y compris l’adoption possible d’un accroissement des dépenses de relance, il n’a cédé aucun terrain aux progressistes sur le Moyen Orient. Pour les faucons israéliens, sa présidence ne représentera pas un éloignement significatif de l’approche incendiaire de l’administration Trump.

« Résolument » Pro-Israël

Le dossier pro-israélien de Biden est aussi constant que pour n’importe quel autre dans le courant dominant du Parti Démocrate, et ses liens avec les lobbyistes d’Israël aussi anciens. Il a affirmé aux responsables politiques israéliens qu’il ne ferait aucune critique publique sur leurs actes, a soutenu les assassinats extra-judiciaires par l’État d’Israël, et s’est vanté de sa longue amitié avec Benjamin Netanyahou.

A l’approche de l’élection, le PDG de Raytheon Technologies, Gregory Hayes, a dit à CNBC : « Il existe évidemment une crainte que les dépenses de défense baissent dans le cas d’une administration Biden, mais franchement, je pense que c’est ridicule. » Raytheon est connu pour fournir à Israël des obus au phosphore blanc et il est le principal pourvoyeur du projet Dôme de Fer de l’armée américaine sur la frontière américano-mexicaine.

Le dossier belliciste de l’administration Obama-Biden en direction d’Israël est bien connu. Après tout, C’est Barack Obama qui a doublé le soutien de son parti à Israël lors de trois agressions majeures sur Gaza en 2009, 2012, et 2014. La dernière, l’Opération Bordure Protectrice, a duré cinquante jours et a causé la mort de 2.000 Palestiniens, dont 551 enfants.

Cette agression a coïncidé avec le Soulèvement de Ferguson de 2014. La réponse de l’administration Obama a été la même dans les deux cas : la Maison Blanche a insisté pour condamner les manifestants, tout en exprimant des reproches creux contre la violence d’État. Deux ans plus tard, l’administration Obama, Biden jouant un rôle majeur dans les négociations, signait un programme de financement militaire de 38 milliards de dollars sur dix ans avec Israël.

Visite du vice-président le 13 janvier 2014 en Israël. (Ambassade américaine de Tel Aviv / Wikimedia Commons)

Au cas où il y aurait quelque question que ce soit sur la direction que prendra une présidence Biden, le site internet Biden/Harris 2020 a qualifié le soutien de Biden à Israël d’ « inébranlable », « ferme », « résolu », « constant », « incassable ». Le site a réitéré le soutien de Biden à la fourniture à Israël de ces « technologies salvatrices » telles que les systèmes de défense anti-roquette et anti-missile, Dôme de Fer, Fronde de David, et Flêche 3.

Biden s’est félicité de son rôle dans la sécurisation du « Protocole d’accord décennal sans précédent de 38 milliards de dollars pour l’aide à la défense d’Israël … ensemble d’aide militaire le plus important de l’histoire des Etats Unis ». Et bien sûr, il s’est fièrement efforcé de conduire une opposition au mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

Un Lobby Réunifié

Mais Biden a fait la preuve d’un avantage majeur sur Trump pour les supporters d’Israël. La présidence de Trump, en s’alignant agressivement et publiquement sur les causes sionistes les plus droitières, avait sapé un consensus pro-israélien bipartite. Son approche provocatrice avait provoqué la consternation de Sionistes tels que Abraham Foxman, de la Ligue Anti-Diffamation, qui a argumenté dans le Times of Israel :

Il est vrai que Trump a pris des décisions que beaucoup dans notre communauté attendaient, dont sa décision sur Jérusalem, que je soutiens. Mais ces décisions ont été prises au coût d’un assaut frontal de Trump sur le soutien bipartite à Israël, et certaines ont été habillées de stéréotypes profondément offensants sur les Juifs et leurs liens avec l’État juif… Notre communauté a un énorme intérêt au bipartisme. C’est le seul moyen pour combattre l’antisémitisme et le fanatisme. C’est ainsi que nous avons construit une alliance solide Etats Unis-Israël… Trump a mis à mal ce consensus nécessaire, et nous ne pouvons permettre que les Juifs et Israël soient armés pour les intérêts politiques étriqués de quiconque.

Maintenant, le lobby pro-Israël s’est réunifié grâce à la campagne de Biden, des sionistes libéraux de J Street, à la Majorité Démocratique pour Israël (un rejeton de l’AIPAC), aux néoconservateurs Jamais Trumpistes comme Bill Kristol (qui avait critiqué Obama pour ne pas avoir fait preuve d’un soutien suffisant à Israël, mais n’a pas la même équivoque à propos de Biden).

Joe Biden, pensent les supporters d’Israël, est en meilleure position pour calmer le désaccord dans les rangs du Parti Démocrate et ressusciter un consensus libéral derrière le soutien à Israël. Comme l’a démontré le journaliste Philip Weiss : « Biden s’est tranquillement vendu comme un Faucon qui mettra fin à la politisation d’Israël. Il promet de rétablir le consensus sur le soutien à Israël à l’intérieur du périphérique et de réaffirmer l’utilisation de la force américaine au Moyen Orient. »

« Joe Biden, pensent les supporters d’Israël, est mieux placé pour calmer le désaccord dans les rangs du Parti Démocrate et ressusciter un consensus libéral derrière le soutien à Israël. »

Pendant la campagne, Biden a assumé ce rôle, organisant une conférence d’Alexandria Ocasio-Cortez pour le lancement d’un événement de commémoration de l’ancien premier ministre d’Israël Yitzhak Rabin.

Le Consensus Pro-israélien se Brise

L’establishment du Parti Démocrate s’appuie sur l’acceptation tacite des échelons les plus bas du parti et sur sa base libérale pour maintenir son soutien inconditionnel à Israël. Ce ne sera plus une question simple et sans détours. Un changement significatif de position se produit dans les sections du Parti Démocrate sur nombre de sujets, des soins de santé et de la justice environnementale à la Palestine, sujet qui a longtemps été évité et mis à l’abri de toute question.

Mais au cours de ces quatre dernières années, les rangs des Démocrates ouvertement socialistes et de plus en plus à gauche, comme les membres de « the Squad » (l’Equipe), ont de plus en pus grossi dans les salles du Congrès. Des représentantes de l’État Betty McCollum et Ilhan Omar à une nouvelle vague de représentants élus, les députés de gauche s’emparent de la question de la Palestine – non en tant que mantra humanitaire dépolitisé, mais en tant que partie intégrante de leurs message contre le racisme et l’austérité.

Prenez par exemple Zohran Mamdani, dans un groupe de socialistes en route vers l’Assemblée de l’État de New York. Dans une campagne de courriels lancée en mai, quelques semaines seulement avant la primaire, Mamdani a ouvertement commémoré la Nakba, le nettoyage ethnique de 1948 sur 700.000 Palestiniens afin d’établir l’État israélien, et a directement apostrophé le gouvernement américain pour sa « défense sans nuances d’Israël ».

Dans une autre argumentation convaincante, Cori Bush, membre des Socialistes Démocrates d’Amérique qui se présente pour les élections au Parlement dans le district du Missouri, a battu William Lacy Clay, titulaire de dix mandats (et fervent défenseur d’Israël). Bien que concourant en tant qu’outsider dans une course disputée – qu’elle avait perdue en 2018 – sa campagne a publié une déclaration audacieuse réaffirmant son engagement envers la justice pour les Palestiniens quelques jours seulement avant la primaire en août : « Cori Bush a toujours eu de la sympathie pour le mouvement BDS, et elle est solidaire du peuple palestinien comme ils ont été solidaires des Noirs Américains qui se battaient pour leur propre vie. »

Des manifestants se sont rassemblés à Times Square dans la ville de New York avant de défiler jusqu’au consulat général d’Israël pour protester à l’occasion du soixante-dixième anniversaire d’al-Nakba. (Joe Catron / Flickr)

L’engagement de Cori Bush pour la libération des Palestiniens peut remonter aux manifestations de Ferguson, où Bush faisait partie des premiers organisateurs et a été témoin de première main des effusions de solidarité de la part des Palestiniens aux Etats Unis et en Palestine. Le soutien des Palestiniens au mouvement naissant Black Lives Matter (la Vie des Noirs Importe) s’est construit sur un héritage de décennies de solidarité entre Noirs et Palestiniens. Le programme politique de 2016 de Black Lives Matter a ouvertement dénoncé le soutien financier des Etats Unis à Israël et leur complicité « dans le génocide qui prenait place contre le peuple palestinien ».

Bush, Mamdani et autres socialistes démocrates qui ont récemment gagné les élections vont rejoindre un chorus, petit mais croissant, de représentants élus qui défendent les droits des Palestiniens, qui ont déjà fait beaucoup pour modifier le terrain du discours public. Ilhan Omar et Rashida Tlaib, les deux premières femmes musulmanes élues au Congrès, sont toutes deux d’ardentes supportrices de BDS et parmi les critiques les plus virulentes de l’impérialisme et israélien et américain.

A côté d’elles, la Représentante Alexandria Occasio-Cortez (AOC), femme portoricaine de la classe ouvrière, venue du Bronx, qui connaît bien les ramifications étouffantes de l’impérialisme américain, a avancé que « la politique étrangère est aussi la politique intérieure ». Elle a poussé à une action législative pour retirer le financement de l’annexion continue de la terre palestinienne par Israël.

La croissance et la visibilité d’un flanc gauche du Parti Démocrate qui soutient les Palestiniens témoignent d’une importante radicalisation dans le mouvement progressiste. Un mouvement qui commence à voir la Palestine comme intrinsèquement connectée au combat pour la justice sociale.

« Nous sommes à un moment où nous pouvons et devrions attendre des représentants élus qu’ils aillent plus loin que la rhétorique humanitaire creuse et fassent pression pour une transformation politique plus solide. »

Les luttes contre le racisme et pour les immigrants, ainsi que les exigences d’Accès à la Santé pour Tous et le Green New Deal (Nouvelle Donne Verte), sont retenues en arrière par le budget gonflé du Pentagone et le vaste réseau américain de projets militaires à l’étranger. Et en même temps, le genre de solidarité que nous avons vue entre les manifestants de Ferguson et les militants palestiniens renforce le pouvoir et l’efficacité de la Gauche. AOC a raison : la politique étrangère des Etats Unis n’existe pas toute seule dans une sphère isolée, mais est en fait inséparable de sa politique intérieure.

Les fissures qui émergent à l’intérieur du Parti Démocrate sur la question de la Palestine reflètent – et aussi aident à faire avancer – les changements souterrains dans l’opinion publique. Le Vote de l’université du Maryland en 2018 sur les Questions Critiques mettent à nu certaines de ces fissures. Parmi les questions les plus parlantes de cet aperçu, il y en a une qui demandait si ceux qui répondaient préféraient un Etat juif plutôt qu’un seul Etat démocratique avec égalité des droits. Soixante-dix-huit pour cent des Démocrates qui répondaient étaient en faveur d’un seul Etat démocratique. De façon significative, les Juifs américains, eux aussi, ont abandonné leur identification avec l’État juif, malgré certaines affirmations récentes pour le contraire.

Les avancées dans le discours public, bien que significatives, ne sont pas semblables à une victoire. Mais elles pointent les ouvertures vers une approche plus audacieuse en vue de la libération des Palestiniens. Comme nous l’avons argumenté : « Il est temps que nous nous intéressions au fait qu’aujourd’hui, la plupart des gens sont beaucoup plus près que jamais auparavant de la compréhension des liens intégraux qui existent entre les injustices dont ils souffrent chez eux et celles dont ils ont entendu parler en Palestine. »

Les personnalités au coeur de l’establishment du Parti Démocrate, de Joe Biden et Kamala Harris à Nancy Pelosi et Chick Schumer, restent attachées au soutien bipartite à Israël et à l’indifférence à la vie des Palestiniens. Leur mission, avec de nouveaux groupes tels que la Majorité Démocratique pour Israël, consiste à renforcer et à assurer la continuité de l’allégeance au projet colonial de peuplement isaélien. Ils essaieront d’aligner le flanc gauche, comme ils l’ont toujours fait. Mais trop de choses ont changé pour que ce soit garanti.

Nous sommes à un moment où nous pouvons et devrions attendre des représentants élus qu’ils aillent plus loin que la rhétorique humanitaire creuse et qu’ils fassent pression pour une transformation politique plus solide. La Gauche doit faire de la Palestine l’une de ses priorités alors que la prochaine présidence tente de revenir au statu quo belliciste.

LES AUTEURS :

Sumaya Awad est Directrice de la Stratégie et des Communications du Projet pour la Justice d’Adalah. Son prochain volume Palestine : A Socialist Introduction sortira en décembre 2020, édité par Haymarket Books.

Hadas Thier est un militant de New York et l’auteur de A People Guide to Capitalism : An Introduction to Marxist Economics.

Source: Jacobinmag

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

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