Une famille française demande la justice à Israël

Par Ali Abunimah, le 13 Janvier 2021

Le hacker Grégory Chelli – dit Ulcan – recherché en France dans le cadre de l’enquête concernant la mort de Thierry Le Corre, s’adonne à ses nombreux hobbies tout en vivant dans un luxueux appartement en Israël avec vue sur la mer. (via Instagram)

Alors qu’il profite de ses journées de détente sur une plage israélienne, le hacker sioniste Ulcan a réussi à repousser pour l’instant tout rendez-vous avec la justice dans son pays d’origine, la France.

Mais la famille de l’une de ses victimes présumées reste déterminée à obtenir gain de cause devant le tribunal.

En juin 2019, un juge de Paris a ordonné le juement d’Ulcan, de son vrai nom Grégory Chelli, pour un canular qui aurait causé la mort de Thierry Le Corre, le père du journaliste Benoit Le Corre, en 2014.

Grégory Chelli a terrorisé la famille Le Corre en représailles aux reportages de Benoit Le Corre sur lui. La situation s’est aggravée avec un faux rapport de Chelli à la police qui a déclenché un raid armé au domicile des Le Corre.

Les procureurs affirment que le stress et le choc causé par les actions de Chelli ont provoqué la crise cardiaque qui a coûté la vie à Thierry.

Le 16 décembre, la Cour de cassation, la plus haute juridiction pénale française, a annulé l’ordonnance de première instance.

La Cour a décidé qu’en raison d’une erreur – la délivrance d’un mandat d’arrêt avant de déterminer si l’accusé était prêt à se présenter au tribunal pour faire face aux accusations – la juridiction inférieure devait désormais répéter certaines procédures légales avant de passer au jugement.

Cette décision n’affecte pas la demande d’extradition de juillet 2015 envoyée aux autorités israéliennes. La France a exigé que Chelli soit renvoyé chez lui pour faire face à des dizaines d’accusations liées à ses attaques de piratage.

Cette demande d’extradition reste valable.

« Un crime dégoûtant »

Antoine Comte, l’avocat de la famille Le Corre, a qualifié l’arrêt de la Cour de cassation de détail technique.

« L’affaire n’est pas terminée du tout », a déclaré Comte à Electronic Intifada par téléphone depuis Paris.

« Bien sûr, il est très triste pour la famille à ce stade d’attendre encore avant que cette personne soit jugée », a ajouté M. Comte.

« Chelli, que ce soit par contumace ou en France, devrait être jugé devant un tribunal pénal parce que ce qu’il a fait est un crime et que c’est un crime dégoûtant ».

Pendant que les rouages juridiques se mettent en place, Chelli passe ses journées dans un appartement luxueux avec vue sur la mer d’Ashdod, enprofitant du jacuzzi sur le toit, à poster des photos de lui-même et de ses chiens sur Instagram et à s’adonner à ses nombreux passe-temps, notamment à faire du VTT et du buggy de plage, à faire voler des modèles réduits d’avions, faire des courses de voitures télécommandées et fumer de l’herbe.

Chelli est accusé d’une série de canulars qui ont conduit la police à faire de violentes descentes dans les maisons d’innocents – des attaques nommées « swatting » qui peuvent s’avérer mortelles.

Son attaque la plus notoire a visé la famille Le Corre.

Les actions de Chelli étaient des représailles suite au reportage de Benoit Le Corre pour la publication Rue89 sur les attaques de Chelli contre les sites web pro-palestiniens.

En juillet 2014, Chelli, se faisant passer pour un policier, a appelé les parents de Benoît Le Corre pour leur dire que leur fils avait été poignardé à mort à cause d’un de ses articles.

Après cet incident bouleversant, Benoît a espéré que Chelli serait satisfait de sa vengeance.

« Vous vous dites, OK, il a passé son coup de fil. Maintenant, ils sont avertis. Vous espérez que ça n’ira pas plus loin », se souvient Benoît dans un documentaire de 2020 diffusé par la télévision publique canadienne Radio-Canada.

Mais Chelli ne s’est pas arrêté là.

« Il a continué à m’appeler pour me dire, changez de journal, changez d’article », raconte Benoît.

« Rétractez-le ou on va continuer à pirater le site de Rue89 et on va vraiment tout foutre en l’air dans votre famille. »

Le journaliste Benoit Le Corre dans une capture d’écran tirée d’un documentaire de Radio-Canada de 2020 sur Grégory Chelli. Chelli est recherché en France en relation avec la mort du père de Benoît, Thierry.

Appel mortel

Quelques jours après son appel aux parents de Le Corre, Chelli a appelé la police en se faisant passer pour Thierry, le père de Benoît, affirmant avoir tué sa femme et son fils et menaçant de se livrer à un carnage.

Chelli a fait croire à la police que l’appel provenait du domicile des parents de Benoît. Mais, selon le récit de Benoît, quand la police a rappelé, il n’y a pas eu de réponse : ses parents avaient débranché leur ligne fixe pour pouvoir dormir sans être harcelés.

Mais, au lieu de cela, la police a fait une descente dans la maison au milieu de la nuit. Le couple a été entouré d’officiers avec des armes à feu dégainées, alors que la police faisait une descente dans la maison.

Quelques jours plus tard, selon Benoît, ses parents ont décidé de prendre des vacances pour se remettre du stress qu’ils avaient subi. Mais, le premier jour de leurs vacances, Thierry Le Corre a eu une crise cardiaque qui l’a plongé dans le coma et devait s’éteindre le dernier jour de septembre 2014, à l’âge de 56 ans.

Thierry était un ancien élu de Le Mée-sur-Seine, une municipalité située à environ 50 km au sud de Paris.

Un hommage a souligné que l’église Notre Dame de Melun, où s’est tenu l’office de Thierry, était trop petite pour accueillir tous les endeuillés. L’ensemble du conseil municipal et une vingtaine de journalistes de Rue89 ont assisté aux funérailles.

Suite au décès de Thierry Le Corre, le parquet de Paris a ouvert une enquête contre Chelli pour violences volontaires ayant entraîné involontairement la mort.

Ce chef d’accusation est à lui seul passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison.

Une enquête médicale, publiée en partie par Rue 89, a déclaré que la maladie mortelle de l’aîné Le Corre découlait des conséquences d’un incident traumatisant, preuve d’un lien avec le harcèlement de la famille par Chelli.

La France doit agir

Malgré l’arrêt de la Cour de cassation, Chelli est toujours confronté à une demande d’extradition active de la France à laquelle Israël n’a pas donné suite.

Bien que la France et Israël n’aient pas de traité d’extradition bilatéral, des extraditions ont lieu.

M. Comte, l’avocat de la famille Le Corre, note également qu’Israël est signataire de la Convention européenne d’extradition.

Selon M. Comte, cela oblige Israël à ouvrir un dossier d’extradition devant les tribunaux israéliens.

Mais quelque cinq ans après la demande de la France pour le retour de Chelli, « les Israéliens n’ont en aucune façon mis en œuvre une quelconque procédure d’extradition », a déclaré Comte.

Les autorités israéliennes « semblent le considérer comme une sorte d’allié dans leur lutte contre les critiques de la politique israélienne », a ajouté M. Comte.

L’avocat reconnaît que l’affaire est « sensible » car elle implique Israël. Néanmoins, la France a le devoir d’agir.

« Nous aimerions que le gouvernement français oblige les Israéliens à examiner le cas d’extradition », a déclaré M. Comte.

Mais la réalité politique est que le gouvernement français résolument pro-israélien – qui poursuit ses propres citoyens pour avoir soutenu les droits des Palestiniens – n’a fait aucune déclaration publique soutenant la quête de justice de la famille Le Corre.

Interrogé sur ce que fait le gouvernement français pour faire pression sur Israël, le Comte a répondu qu’il ne savait pas ce qui se passait « derrière les rideaux ».

« Il pourrait y avoir des négociations, des pressions sur le gouvernement israélien », a-t-il dit. « Il se pourrait aussi qu’il n’y ait aucune pression du tout, et aucune négociation sur l’extradition de Chelli. »

La seule chose qui soit certaine, c’est que cinq ans plus tard, aucun dossier d’extradition n’a été ouvert par Israël.

« C’est une réponse à votre question qui, je pense, est la seule qui vaille la peine », a déclaré le Comte.

Le ministère des Affaires étrangères à Paris a déclaré à Electronic Intifada : « Nous ne commentons pas les procédures judiciaires en cours. »

« Fanatiquement, obsessivement pro-Israël »

L’avocat de Chelli est Gilles-William Goldnadel, qui se dit un “ami personnel” de Benjamin Netanyahou. (Chelli est lui aussi un fervent partisan du Premier ministre israélien).

Goldnadel est décrit comme « fanatiquement, obsessivement pro-Israël » dans un profil de 1010 du quotidien Libération.

Ardent défenseur de la droite, il dirige également sa propre chaine de télévision sur Internet consacrée à la lutte contre ce qu’il appelle « l’islamo-gauchisme ».

Goldnadel est également bien connu en France : il s’est rendu en Israël en tant qu’invité personnel du président Nicolas Sarkozy en 2008.

En 2010, il a été élu au conseil d’administration du CRIF, le principal organisme communautaire juif de France et groupe de pression pro-israélien, et a passé plusieurs années à ce poste. Les galas du CRIF accueillent régulièrement les présidents français.

Il ne fait aucun doute qu’une telle proximité avec des politiciens de haut niveau ne nuirait en rien aux efforts déployés pour repousser une demande d’extradition, dont l’avancement pourrait nécessiter une action politique.

Goldnadel n’a pas répondu à la demande d’interview de The Electronic Intifada.

Un refuge pour les criminels

L’affaire Chelli a contribué à la réputation d’Israël en France en tant que refuge pour les criminels, selon un rapport de mai 2020 dans Libération.

L’article se concentre sur la recrudescence des escroqueries et des fraudes visant les entreprises françaises, apparemment commises par des citoyens français ayant émigré en Israël.

Les Juifs français qui s’installent en Israël – encouragés par les organisations sionistes – ont notoirement du mal à s’y intégrer.

Beaucoup choisissent de rentrer chez eux en France.

Selon Libération, certains émigrants français en Israël sont attirés par l’industrie de la fraude parce qu’ils ont du mal à apprendre l’hébreu et ne veulent pas prendre des emplois légitimes moins bien payés qu’en France.

La fraude des entreprises et des particuliers français leur permet de mettre leurs compétences linguistiques et leur connaissance de la France à profit, de manière malhonnête mais lucrative.

Deux de ces suspects, Fabrice Avraham Benini et Yann Moshe Zouaghi, ont été arrêtés par les autorités israéliennes en avril dernier et sont en attente d’extradition vers la France.

Les enquêteurs affirment que les deux hommes ont escroqué des centaines de milliers de dollars à des entreprises françaises, qu’ils ont ensuite blanchis via plusieurs pays européens.

Selon Libération, les arnaqueurs français en Israël profitent maintenant de la pandémie COVID-19 en se faisant passer pour des fournisseurs de médicaments et d’équipements de protection.

Nettoyer l’image d’Israël

Si les fraudeurs existent bien sûr dans tous les pays et concernent toutes les nationalités et religions, le contexte de l’article de Libération est important.

La pièce maîtresse de l’article est une interview de « David K. », un attaché de police israélien en poste en France, qui s’est adressé au journal à condition que son nom complet ne soit pas utilisé.

Libération reconnaît que l’une des raisons pour lesquelles le fonctionnaire israélien a accepté de parler au journal « est de combattre l’idée persistante que les criminels trouvent refuge en Israël ».

David K. rappelle consciencieusement l’étroite coopération entre les autorités israéliennes et la police en France et dans d’autres pays européens pour sévir contre les escrocs financiers présumés.

En 2019, Israël a extradé vers la France un binational accusé d’une autre fraude fiscale majeure, ainsi qu’un complice qui s’était enfui en Israël plusieurs années auparavant alors qu’il était en permission de sortie d’une prison française.

Cependant, Libération observe que « ces dernières années, plusieurs Franco-Israéliens recherchés ou condamnés en France ont donné l’impression de narguer leurs victimes depuis l’État juif ».

Elle en cite deux en particulier : Ulcan – Grégory Chelli – et Gilbert Chikli.

Chikli a été condamné en mars dernier pour avoir escroqué plusieurs personnes riches et célèbres de dizaines de millions de dollars en se faisant passer pour le politicien de haut rang Jean-Yves Le Drian, actuellement ministre français des Affaires étrangères.

Et on trouve plusieurs autres affaires très médiatisées en dehors du contexte français.

Ce n’est que le mois dernier que le ministre israélien de la Justice a signé un ordre d’extradition de Malka Leifer vers l’Australie pour répondre à des accusations d’abus sexuels sur des enfants.

Cette décision fait suite à une décennie d’efforts déployés par ses accusateurs pour faire rapatrier Leifer, ancienne directrice d’une école juive de Melbourne.

Comme l’a noté le Guardian, Israël a été « sous pression pour montrer qu’il prend l’affaire au sérieux après des reports répétés de tribunaux, dont plus de 70 audiences, et des allégations d’ingérence aux plus hauts niveaux du gouvernement ».

« A la plage »

Et depuis des décennies, deux des hommes soupçonnés d’avoir perpétré l’attentat à la bombe de Los Angeles de 1985 qui a tué le leader de la communauté arabo-américaine Alex Odeh vivent ouvertement en Israël.

Les assassins présumés d’Odeh étaient membres de la Jewish Defense League, le groupe anti-arabe violent fondé par Meir Kahane, et sont restés impliqués dans l’extrémisme anti-palestinien.

Grégory Chelli était lui aussi membre de son équivalent français, la Ligue de Défense Juive.

Il se peut, comme le souligne l’attaché de police israélien, que la France et Israël coopèrent plus étroitement dans la lutte contre les crimes financiers – car les deux parties y voient un intérêt.

Et si Israël peut être disposé à extrader rapidement des escrocs présumés comme Benini et Zouaghi, en partie pour améliorer son image internationale, les personnes accusées de violence politique pour la cause sioniste semblent bénéficier d’une immunité.

« Il est à la plage. Il est protégé à Ashdod », déclare Benoit Le Corre à propos de Chelli dans le documentaire de Radio-Canada. « Il n’a peur de rien. »

Mais, pour la famille Le Corre, renoncer à la justice n’est pas une option.

Que Chelli revienne en France ou qu’il soit traduit en justice par contumace, « ils veulent un procès », a déclaré l’avocat Antoine Comte. « C’est ce dont ils ont vraiment besoin. »

Source : The Electronic Intifada

Traduction JPB pour l’Agence média Palestine

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