L’interdiction des défenseurs des droits de l’homme : comparaison entre Israël et l’Afrique du Sud

Par John Dugard, le 16 novembre 2021

Même le régime d’apartheid d’Afrique du Sud n’a jamais interdit les défenseurs des droits de l’homme comme vient juste de le faire Israël en déclarant six organisations palestiniennes comme « organisations terroristes ».

Un garçon palestinien passe devant une peinture murale de feu le leader Palestinien Yasser Arafat sur une section de la barrière de séparation israélienne au checkpoint de Qalandia, entre Jérusalem et Ramallah, le 6 juillet 2012. (Photo : Mahfouz Abu Turk/APA Images)

Israël a déclaré six organisations de Palestine occupée engagées dans la cause des droits de l’homme comme organisations « terroristes ». Ces organisations sont : Al-Haq, qui contrôle les violations des droits de l’homme en Palestine occupée et qui a joué récemment un rôle important en fournissant de l’aide au Procureur de la Cour Pénale Internationale dans son enquête sur les crimes commis par Israël en Palestine occupée ; Addameer, qui fournit de l’assistance aux prisonniers palestiniens et met en évidence la torture infligée par Israël aux prisonniers ; Défense des Enfants International (Palestine) qui défend le bien-être des enfants en Palestine occupée ; l’Union des Comités du Travail Agricole, l’Union des Comités des Femmes Palestiniennes et le Centre Bisan pour la Recherche et le Développement.

Cette déclaration, faite au nom d’une loi israélienne de 2016, autorise Israël à fermer leurs bureaux, à saisir leurs avoirs, à emprisonner les membres de leur personnel, à interdire leur financement et à punir le soutien public à leurs activités.

Aujourd’hui, on compare de plus en plus les lois et les pratiques de l’Afrique du Sud de l’apartheid et celles d’Israël en Palestine occupée. Deux organisations de défense des droits de l’homme grandement respectées, Human Rights Watch, basée aux États-Unis, et B’Tselem, ONG israélienne, ont récemment déclaré qu’Israël pratique l’apartheid en Palestine occupée. Le Procureur de la Cour Pénale Internationale mène actuellement une enquête pour savoir si Israël a commis le crime d’apartheid en Palestine occupée. En 2007, lorsque j’étais Rapporteur Spécial à l’ONU sur les Droits de l’Homme dans le Territoire Palestinien Occupé, j’ai rapporté que je n’avais aucun doute sur le fait que les lois et pratiques d’Israël constituaient un apartheid, évaluation fondée sur quarante ans de vie sous apartheid en Afrique du Sud et de direction d’un organisme de défense des droits de l’homme pendant plus d’une décennie.

Ceci me pousse à examiner la réponse de l’Afrique du Sud aux organisations qui s’y sont opposées ou qui ont contrôlé ses pratiques racistes et répressives.

L’Afrique du Sud avait une législation qui ressemblait à la loi israélienne de 2016 et qui lui a permis de déclarer des organisations illégales. En vertu de cette loi, le gouvernement d’Afrique du Sud a interdit, entre autres, le Parti Communiste, le Congrès National Africain, le Parti Libéral, l’Union Nationale des Étudiants d’Afrique du Sud et l’Institut Chrétien. Ces lois étaient clairement assez générales pour permettre au régime d’apartheid de fermer des organisations qui surveillaient les violations des droits de l’homme, défendaient les droits de l’homme et plaidaient en faveur des droits de l’homme.

L’apartheid consiste en des centaines de lois qui ont permis à la minorité blanche au pouvoir en Afrique du Sud de ségréguer et d’exploiter la grande majorité : les africains, principalement, mais aussi les asiatiques et les métis. Une plage de Durban réservée aux blancs, 1er janvier 1976. (Photo : Photo de l’ONU)

À la fin des années 1970 au plus haut de l’apartheid, un certain nombre d’organisations de défense des droits de l’homme ont été créées, principalement grâce au financement des États-Unis.

Elles avaient en commun de surveiller les violations des droits de l’homme, de défendre l’égalité raciale et la liberté politique, de s’opposer à la répression politique et de plaider pour un changement social. À beaucoup d’égards, le travail de ces organisations ressemblait à celui des six organisations palestiniennes récemment déclarées illégales. L’une de ces organisations était le Centre d’Études Juridiques Appliquées que je dirigeais.

Le régime d’apartheid d’Afrique du Sud a clairement indiqué qu’il n’aimait pas ces organisations de défense des droits de l’homme, particulièrement lorsque leurs publications et leurs plaidoiries attiraient l’attention sur la torture, la saisie de terres, les démolitions de maisons, la répression politique et l’apartheid – le genre d’activités pour lesquelles les six défenseures palestiniennes des droits de l’homme ont été interdites.

Mais il n’a pas interdit ces organisations bien qu’ayant des lois qui l’y auraient autorisé. Alors pourquoi pas ? Je suppose que la raison principale était que toutes ces organisations cherchaient à utiliser la loi pour faire progresser la justice raciale. Elles apportaient des preuves, particulièrement à une communauté internationale hostile, que l’Afrique du Sud respectait l’État de Droit. Et cette Afrique du Sud a réalisé qu’il était essentiel de maintenir un semblant de respectabilité avec les États occidentaux.

Israël a maintenant interdit six organisations de défense des droits de l’homme qui, comme leurs homologues sud-africaines, cherchent à obtenir justice pour les Palestiniens dans le cadre de la loi en mettant en évidence la torture, les démolitions de maisons, la saisie de terres, l’expansion coloniale, la violence des colons, la persécution raciale, le transfert forcé des Palestiniens – et l’apartheid israélien.

Ceci fournit la preuve qu’Israël ne se soucie pas de son image d’État qui respecte l’État de Droit. Il n’en a pas besoin parce qu’il sait que l’Occident n’agira pas contre lui quoiqu’il fasse de mal. L’exception israélienne, il le sait, est une valeur occidentale qui pardonne à Israël tous ses crimes.

Aujourd’hui, les personnes impartiales et informées ne posent plus la question, « Israël commet-il le crime d’apartheid en Palestine occupée ? » Elles admettent que les preuves montrent clairement que les Juifs israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem Est, qui représentent plus de 800.000 colons et soldats, constituent un groupe racial qui opprime systématiquement le groupe racial palestinien au moyen d’actes inhumains – définition du crime d’apartheid dans le Statut de Rome de la CPI. Elles demandent alors : « L’apartheid israélien est-il pire que celui d’Afrique du Sud ? » Au vu de la dernière action d’Israël contre les défenseurs des droits de l’homme, la réponse est forcément Oui.

Traduction : J.Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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